Saturday, February 9, 2013

Fic : Défi n°3 : Le Moulin - Karell

3e Fic, texte de Louise

Cette fic est un peu différente des autres car on n'a eu qu'un sujet commun :

Un dimanche peu après l’arrivée de mélusine au manoir. Doit contenir un passage au vieux moulin.


Le Moulin



Aujourd’hui allait être exceptionnel. Les deux enfants étaient surexcités, chacun à leur manière. Père était parti il y a quelques nuits pour une affaire de haute importance, leur annonçant qu’il n’allait pas revenir les mains vides. Auparavant, le professeur Montigny ne s’éloignait jamais de ses « enfants » essentiellement car il était la seule personne qu’ils connaissaient dans ce monde, mais aussi par pure affection pour ces deux créatures qu’il avait recueillies et élevées selon les désirs de son propre père, l’archéologue Jules Montigny. Mais Père avait commencé à s’absenter ainsi depuis quelques années. Certainement car ils avaient grandi, seize longues années à vivre en autarcie, on finit par prendre quelques habitudes.

Et cette nuit, Père allait revenir, les bras chargés de cadeaux à chaque fois qu’il revenait. C’était sa façon à lui de se faire pardonner de ne pas avoir été là pendant ces longues journées et nuits. Delacroix espérait qu’il lui ramènerait une veste sans manche en peau de mouton, comme celle qu’ils avaient à la télévision, et Absinthe rêvait d’un beau bandeau qu’elle pourrait mettre dans ses cheveux, sans vraiment savoir encore comment elle le passerait derrière ses cornes. C’était comme le père de Belle dans la Belle et la Bête quelque part se disait-elle. Elle aurait du lui demander une rose, comme dans le conte. Elle avait passé la nuit précédente à se demander ce que leur père allait leur amener. Un échiquier ? Une pelote de laine ? Un chiot ou un chaton ?
Delacroix guettait à la fenêtre et Absinthe lisait comme à son habitude, bien confortablement assise dans le fauteuil. Elle n’eut pas besoin de se retourner car au bruit que faisait Delacroix qui s’agitait sur la fenêtre et les crissements des roues sur  le gravier de l’allée, elle sut que Père était revenu. Calmement, malgré l’excitation qui bouillait en elle, se referma le livre, sans avoir oublié de placer son marque page, le posa sur la petite table basse, puis se dirigea vers la porte d’entrée, précédée par son frère qui, d’excitation, se prit les pieds dans tous les tapis qu’il rencontrait.
La petite cloche de l’entrée retentit et les deux gargoyles accueillirent le professeur Montigny de retour à la maison. L’homme était de taille moyenne, dans la force de l’âge, toujours habillé avec classe mais simplicité, toujours en costume et veston qui lui donnait un air sorti tout droit du début du siècle. Il portait un vieux manteau long qui lui donnait l’air de porter une cape. Aussitôt arrivé, il ôta son chapeau d’où tombèrent quelques gouttelettes de pluie récoltées sous la pluie battante.

« Bonsoir les enfants. » dit-il en souriant.

« Bonsoir Père ! » répondirent les deux créatures, chacune sur un ton différent. Absinthe avec calme et retenue, et Delacroix… et bien tout le contraire.

Delacroix ne put résister d’avantage.

            «  Alors ??? Vous nous avez ramené quoi ??? Du fromage ? Des épées en bois ? Un bateau pirate ? »

            Absinthe le houspilla, le rappelant à l’ordre, lui décochant un coup de pied dans les tibias pas si discret que ça :

            «  On ne dit pas ramené, on dit rapporté, triple idiot. »

            « Non non ma douce Absinthe. Pour une fois, notre petit Delacroix a raison. Pour une fois répéta la gargoyle bleue – Allons, ma petite, n’aies pas peur. Approche. »

Le professeur Montigny se pencha sur le côté et tira un peu sa cape. Delacroix et Absinthe se penchèrent en avant, les yeux rounds comme des soucoupes. Une petite main verte agrippait la cape du professeur qui dissimulait le reste aux yeux des enfants. Delacroix s’approcha avec curiosité, et Montigny se tourna doucement, laissant apparaître une gargoyle accrochée à ses jambes comme s’il s’agissait des jupes de sa mère. Elle avait l’air apeurée, quoique ses yeux s’écarquillent lorsqu’elle vit deux autres créatures de son espèce, qui plus est, à peu près de son âge. Elle était menue, d’une couleur verte, sa robe était d’une couleur bizarre qui rappelait les robes de bure des moines et sa coupe révélait que ce n’était vraisemblablement pas une couturière qui avait découpé son vêtement.  La petite était blonde comme les blés, tirant un peu sur le châtain, bouclée comme un nœud de serpents. Ses cornes étaient étranges : partant de part et d’autre de la tête, elles lui tombaient au dessus des épaules comme deux petits boas et deux petites arêtes osseuses pointaient sur son nez.

Delacroix et Absinthe restaient bouche bée devant cette apparition. Ils ne s’étaient pas attendus à cette surprise. Ni de voir une de leur espèce sous leurs yeux. Leur silence était quand même intimidant. Montigny choisit ce moment pour présenter la nouvelle venue.

            «  Delacroix, Absinthe, je vous présente Mélusine. Elle habitera ici avec nous désormais. Alors je vous demande à vous deux de l’accueillir comme il se doit et d’être gentils avec elle. Ca a été dur pour elle. Allez viens approche Mélusine. Voici Delacroix et Absinthe.»

La petite s’avança timidement, ne regardant que ses pieds, levant de temps en temps craintivement les yeux. Sa queue se tortillait nerveusement tandis que ses mains s’agitaient avec anxiété.
Sans rien dire, Delacroix s’approcha et instinctivement, Mélusine recula. La gargoyle bleue électrique fit le tour, comme s’il la jaugeait, la flairait. Il ne put résister plus longtemps et pris une de ses cornes molles dans les mains et tira dessus.

            « Oye, vos me faisoit moult mal ! » cria-t-elle en se libérant de l’emprise de Delacroix qui, surpris par le langage de Mélusine s’arrêta, et éclata d’un rire tonitruant.

            « Ahahah non mais c’est quoi cette langue ?!  Elle sait même pas parler français ou quoi ? »
Absinthe se rapprocha vivement, poussa Delacroix d’un coup de patte et se planta devant Mélusine, les poings sur les hanches, plongeant son regard dans celui de la petite gargoyle verte avec gravité, Mélusine prit peur et ferma les yeux, croyant qu’Absinthe allait la taper ou quelque chose du genre. Au lieu de cela, Absinthe la prit par la main et l’emmena. Montigny ne put réprimer un sourire. Oui, ça allait bien se passer.

            « Hé, attendez-moi ! » répliqua Delacroix qui partit à la suite des filles.
« Où me moignet-vos ? » demanda Mélusine qui n’arrivait pas à échapper à la serre d’Absinthe « Estes-vos de mon clain ? »

Sans ouvrir la bouche Absinthe l’emmena d’une main ferme vers l’énorme bibliothèque du manoir, installa d’autorité Mélusine dans le fauteuil, avant de s’absenter quelques instants, laissant Delacroix la détailler et la renifler comme un renard. Mélusine préféra ne pas bouger, comme si faire la morte pouvait être une stratégie pour ne pas attirer l’attention sur elle.
Delacroix était perché sur le haut du fauteuil, tendant la main pour attraper un de ses cornes molles lorsque Absinthe refit son apparition dans l’encadrement de la porte avec les bras chargés d’un énorme plateau couvert de biscuits, de lait et  quelques verres. Sa seule présence dans la pièce empêcha Delacroix de continuer son geste, restant sans bouger devant Absinthe qui continuait ce qu’elle faisait sans lui prêter attention. Sans rien dire, elle posa le plateau sur une petite table, tendit une friandise à Mélusine qui l’accueillit avec circonspection, puis elle se dirigea vers les étagères sur le mur, monta sur l’échelle pour atteindre un certain rayon, et après quelques secondes de recherches, en descendit un lourd volume qu’elle posa par terre avec lourdeur. Il s’agissait d’une antique réplique d’un dictionnaire de vieux français. Absinthe tourna les pages, revint en arrière puis s’arrêta sur l’une d’elle et fit signe à Mélusine d’approcher. Apeurée, la petite ne bougea pas. Absinthe se fit plus insistante et bougonna :

« Viens, je ne vais pas te manger. »

Mélusine se leva et timidement se mit à genoux aux côtés d’Absinthe qui tendait le doigt vers la page du registre. Qu’est ce que cette fille pouvait bien vouloir d’elle ? Mélusine n’en avait aucune idée. Et puis elle ne saisissait pas bien ce que la petite gargoyle aux cheveux verts lui disait. Cela ressemblait à sa langue tout en étant étrangement presque incompréhensible. Elle avait du lui présenter un visage circonspect car Absinthe s’agita d’agacement sur ses jambes et pointa le registre d’un doigt encore plus raide, comme si cela allait lui faire comprendre plus vite les choses. Alors Mélusine s’évertua à lui faire plaisir.

*-*-*

Les semaines qui suivirent furent assez grand-guignolesques. Mélusine tentait de s’habituer à cette nouvelle vie, et à ces nouveaux « proches ». Autant sa vie au monastère était calme et studieuse même si elle devait vivre cachée des moines mais là, qu’ici au manoir, tout lui semblait rocambolesque. Chaque nuit elle faisait face aux idées toujours plus farfelues les unes que les autres que Delacroix et Absinthe élaboraient dans le plus grand secret de leur « QG » comme ils l’appelaient.
Elle avait mis du temps à comprendre le concept du « QG », mais plus encore pour apprendre le français de cette époque. Ce n’était pas encore gagné. C’est pour cela qu’elle passait le plus clair de son temps avec le professeur Montigny, en plus de pouvoir échapper à ces deux tortionnaires.

Mais les choses changèrent après l’événement du moulin et de l’absence de Montigny quelques mois après son arrivée. Elle avait bien cru qu’elle allait y passer dans ce moulin humide et habité par les courants d’air. Après l’attaque du crapaud cracheur de feu, l’épreuve finale du pseudo club de la Mort qui Tue, elle n’aurait jamais cru qu’elle retournerait dans ce moulin aussi rapidement.

Cette nuit-là, le professeur Montigny leur fit regarder le film Peau d’Ane et Mélusine, était restée émerveillée, non seulement par cette technologie à laquelle elle n’était pas encore accoutumée mais également par les robes, les châteaux, la princesse et la scène du gâteau.

Elle avait appris par cœur la chanson et s’était décidée à tenter de cuisiner la même recette. Un paquet de farine chipé dans les cuisines, un pot de miel dans la réserve, des œufs volés au poulailler, un pot de confiture pour le sucre et pour la couleur, il ne lui manquait plus que le gros livre qu’elle comptait chiper dans la bibliothèque, le saladier et la bague.

Pour le saladier, elle choisit une énorme jatte en bois qu’elle avait également repéré dans la réserve et qui ressemblait plus à un bilot qu’autre chose,
Mais ce qui lui donnait du fil à retordre, c’était la bague. Elle n’en possédait pas et Absinthe ne lui en prêterait jamais, à supposer qu’elle en ait. Le plus simple, après tout, était de lui demander. Mais allait-elle oser le faire ? Respirant un grand coup, Mélusine se mit en route, décidée comme si elle allait affronter le Grand-maître des Templiers en personne.

Elle traversa le couloir et alla frapper à la porte de sa nouvelle « sœur », « cousine »…  « verte camarade » peu importe le titre. Mais ses coups à la porte restèrent sans réponse. Après tout, rien ne disait qu’elle occupait sa chambre à l’instant. Mais elle n’avait pas non plus envie de perdre des heures à la chercher dans tout le manoir, d’autant plus qu’il y avait des chances pour qu’elle soit en ce moment même avec Delacroix, et il était hors de question qu’elle prenne le risque qu’il gâche sa recette du gâteau, ah ça non !

Mais perdue en conjecture, Mélusine sursauta lorsque la porte s’ouvrit brusquement, laissant apparaître une Absinthe renfrognée, visiblement agacée d’être dérangée. Il n’en fallut pas plus pour Mélusine pour se ratatiner pour sur elle-même. Elle savait être intimidante quand elle voulait, Absinthe !

-       Vos… Vos… euh. Tu… t… tu n’aurais pas une bague à me prêtois euh… me prêter ?

Absinthe resta là, sans bouger, ni mot dire, regardant Mélusine comme si elle pouvait voir au travers.  Cette dernière ne sut pas combien de temps cette situation embarrassante dura mais trop longtemps à son goût, pour sûr. Puis sans autre effet, Absinthe referma lentement la porte, insistant sur le grincement, laissant une Mélusine qui continuait à sourire nerveusement.
Pouvait-on dire que l’entretien s’était bien passé ? Hmm peut être. Au moins n’était-elle pas liquéfiée sur place. Bon, et bien ce n’est pas ici qu’elle trouverait une bague. Peut être le Professeur cachait-il une boite appartenant à Grand-Mamie ? Ah non, elle ne pouvait envisager de faire cela au Professeur !
Dans ses pensées, la jeune gargoyle se retourna et commença à s’éloigner lorsqu’un bruit à l’arrière la retint. Absinthe venait de réapparaître à sa porte, lui tendant un poing fermé.
 
-       Tiens, j’ai que ça. Ça pourrait faire l’affaire.

Mélusine se rapprocha et Absinthe lui versa ce qu’elle tenait dans la main dans la sienne. Il s’agissait d’un petit boulon qu’elle n’aurait pu enfiler qu’à l’annulaire, un petit bout de ferraille foncé, une rondelle géométrique avec un trou en son milieu.
La petite gargoyle sourit ingénument avant de remercier sa sœur de clan.

-       Ohhhh ! Merci, Absinthe ! Je vais pouvoir faire mon cake d’amour !

-       Ton quoi ?

-       Bah, mon cake d’amour ! comme Peau d’Âne !

-       Hein ?! Attends, j’viens avec toi ! Je ne veux pas rater ça !
Absinthe lui courut après car la petite gargoyle était déjà repartie en monologuant ce qu’elle ne devait pas oublier.

-       Ah zut, j’allais oublier ma robe couleur de soleil !

Elle fourra tous ses ingrédients dans les bras d’Absinthe qui n’eut pas le temps de protester avant de se ruer dans sa chambre. On put entendre des grincements de coffres qui s’ouvraient puis se refermaient, des froissements de tissus pendant plusieurs minutes avant que Mélusine ne ressorte finalement, vêtue d’une robe –ou plutôt tentative de robe- d’une couleur la plus proche de la robe couleur soleil, c'est-à-dire un jaune poussin particulièrement insultant pour les yeux. Elle avait également une frusque indéfinissable sous le bras qu’Absinthe ne put identifier. Puis elle tira sa sœur par le coude, toute excitée de pouvoir enfin cuisiner ce gâteau mythique dont elle avait rêvé pendant des jours.

-       Attends ! mais tu vas où ? On peut le faire au manoir ! protesta Absinthe.

-       Non, Peau d’Âne le fait dans la chaumière. Il nous faut une maisonnée du même acabit ! Et puis il y a un four là-bas.

-       Là bas ? là-bas, où ça là-bas ?

-       Au moulin évidemment. Depuis que je suis sûre qu’il ne s’agit pas de l’antre du Crapaud Cracheur de Feu.

Le moulin était toujours imposant, au milieu de sa clairière, éclairé par la lune, ses tours dans le toit toujours aux mêmes endroits, son immense roue qui semblait endormie. Un hibou hulula dans les arbres mais le bâtiment n’avait plus du tout la même aura angoissante qu’il avait lorsqu’elle l’avait visité pour la première fois. La grande salle principale, sous l’énorme charpente, où siégeait encore la meule actionnée par la roue à l’extérieur, leur laissait largement la place pour s’installer tranquillement. Mélusine, ayant perdu toute appréhension face à Absinthe commença à diriger les opérations.

-       Tu peux mettre tout ça sur la meule et puis tiens, enfile ça. Lui dit-elle en lui tendant la frusque qu’Absinthe n’arrivait pas à reconnaître. On aurait dit un animal mort, dans le genre chien poilu.

-       Il est hors de question que je mette ça. Répondit Absinthe en fronçant des narines.

-       Mais si, sinon tu ne pourras pas jouer Peau d’Âne !

-       Mais je croyais que c’était toi, Peau d’Âne ?

-       Moi je fais Peau d’Âne la princesse, et toi tu fais Peau d’Âne la souillon, c’est simple non ?

Absinthe interdite, regarda d’un air peu engageant Mélusine qui lui tendait la fourrure. L’idée de jouer la souillon ne semblait pas l’emballer plus que cela.

-       Ce n’est qu’un manteau de fourrure que j’ai trouvé dans une malle au grenier. Tenta de la rassurer Mélusine. Tu te souviens quand on a fait la chasse aux trésors ?

-       Bien évidemment, bon OK, donne moi ça sinon on en finira jamais.
Absinthe attrapa la fourrure et la jeta par-dessus la tête. Elle sentait un peu le moisi mais bon, pas plus que le moulin après tout. Et puis elle ne voulait pas rater une seule seconde de ce spectacle qu’elle allait se faire un plaisir de raconter dans tous les détails à Delacroix qui mourra de jalousie parce qu’il n’était pas là.

Mélusine prépara la scène comme si c’était elle le réalisateur du film. Après avoir vérifier que l’antique four du moulin pouvait encore servir, elle tendit à Absinthe un gros livre, qui ne voyait pas grand-chose derrière cette peau de yack qui lui tombait sur les yeux.

-       Tu connais les paroles n’est ce pas !? demanda Mélusine.
Ce n’était pas vraiment une question dans sa bouche.

-       Euh … bien sûr, quelle question. Je l’ai vu plus que toi. Autant essayer de garder un peu de supériorité.

-       Alors allons-y !
Mélusine se mit en place, levant les bras comme s’ils étaient alourdis par des manches bouffantes, mais resta immobile comme si elle attendait quelque chose.

-       Bah alors, vas-y, commence à chanter comme sur l’écran du « flime »

Oh la la. D’un seul coup, Absinthe se félicitait de ne pas avoir fait venir Delacroix car chanter ne faisait pas partie de ses points forts. Et puis avouer à Delacroix qu’elle connaissait réellement la chanson par cœur aurait été un gage de pure honte.

-       Bon euh… OK.

“ Préparez votre...
Préparez votre pâte
Dans une jatte...
Dans une jatte plate.

(C’est là que la scène devient totalement visuelle. Car pendant qu’Absinthe s’égosille, Mélusine tente de répéter au geste près, avec toute la grâce dont elle est capable les gestes de Catherine Deneuve. Il va sans dire qu’il y a des couacs, mais retournons tout de suite à notre scène.)

Et sans plus de discours
Allumez votre...
Allumez votre four.

(Mélusine se retourna et mima avec forces gestes ampoulés et brindilles imaginairement enflammées l’allumage du four tout en fredonnant la partie musicale)

Prenez de la...
Prenez de la farine
Versez dans la...
Versez dans la terrine

Quatre mains bien pesées
Autour d'un puit creu...
Autour d'un puit creusé.

(mais un frisson d’excitation parcourut l’échine de Mélusine car arrivait sa partie préférée : celle où Peau d’Âne cassait les œufs dans la terrine. Peut être allait-elle voir un poussin sortir de son quatrième œuf ?! En tout cas, la gargoyle y comptait dur comme fer !)


Choisissez quatre...
Choisissez quatre oeufs frais
Qu'ils soient du ma...
Qu'ils soient du matin frais.

Car à plus de vingt jours
Un poussin sort tou...
Un poussin sort toujours.

(Nous vîmes alors Mélusine casser le dernier œuf avec espoir, fermant les yeux dans une dernière prière pour qu’il en sorte un poussin comme dans le « flime » mais c’est avec déception qu’il en sortit un simple jaune d’œuf. Elle ne put réprimer un ohhhhh de déception, vite coupé par une remarque d’Absinthe qui continua à chanter.)

Un bol entier...
Un bol entier de lait.
Bien crémeux s'il...
Bien crémeux s'il vous plaît.

De sucre parsemez
Et vous amalga...
Et vous amalgamez.

(C’est ainsi que nous vîmes Mélusine verser un peu de lait dans la jatte, se remonter les manches qui s’entêtaient à lui tomber sur les mains et commencer à malaxer la pâte.)

Une main de...
Une main de beurre fin
Un souffle de...
Un souffle de levain.

Une larme de miel
Et un soupçon de...
Et un soupçon de sel.

Il est temps à...
Il est temps à présent,
Tandis que vous...
Tandis que vous brassez,

De glisser un présent
Pour votre fian...
Pour votre fiancé.

(Mélusine sortit de sa poche la rondelle de métal, la porta à ses yeux et l’enfouit dans le magma innommable qu’elle avait concocté depuis 5 minutes. Mais à l’annonce du fiancé, Mélusine d’arrêta net.)

-       Un fiancé ? Mais je n’en ai point de fiancé ?!

-       et tu n’y as pas pensé AVANT de faire tout ça ?! demanda sournoisement Absinthe

-       ben… non. Je ne connais que Delacroix et le Professeur

-       T’es obligé de le faire pour Delacroix alors !

-       Ah non !

-       Oh la menteuse elle est amoureuse !

-       NON NON NON

-       Bah t’as pas le choix, c’est ou bien Delacroix ou bien le professeur ! Absinthe croisa ses bras autour de sa poitrine.

-       Mais je ne peux pas, il est trop vieux le professeur. On n’a qu’à échanger. Tu fais la princesse et je fais Peau d’Âne sous sa peau. Comme ça tu pourras faire le voeu
Mélusine se dirigea vers Absinthe et tira sur sa coiffe en fourrure. Ah non elle n’était pas amoureuse de Delacroix ! Plutôt se passer la langue au papier de verre ! Mais Absinthe fit de la résistance

-       Hé, mais non : c’est ta chanson et ton gâteau. Moi je ne fais que chanter.

-       Ah mais donne-la moi ! Tu n’as qu’à le faire le vœu d’amour et la finir ta stupide chanson !

-       Quoi ? Mais c’est toi qui voulait le faire ce stupide gâteau !

Mélusine sentit les larmes lui monter aux yeux et éclata en sanglots.

-       Si c’est comme ça, je m’en vais !

La petite gargoyle s’enfuit alors en courant et pleurant, manquant de se prendre les pattes dans sa robe trop longue. Elle laissa une Absinthe, seule dans le moulin avec son gros livre sur les genoux et une pseudo cuisine qui ressemblait à ce qu’allait être des années plus tard Tchernobyl.

-       Pff et qui est-ce qui va ranger tout ça ? C’est bibi !

*-*-*-*

Un souhait d'a...
Un souhait d'amour s'impose
Tandis que la...
Que la pâte repose.

Lissez le plat de beurre
Et laissez cuire une...
Et laissez cuire une heure ”


- Karell, 2009

Fic : Défi n°3 : Le Moulin - Louise

3e Fic, texte de Louise

Cette fic est un peu différente des autres car on n'a eu qu'un sujet commun :

Un dimanche peu après l’arrivée de mélusine au manoir. Doit contenir un passage au vieux moulin.

La propriété Montigny contient un vieux moulin au fond du parc, il fallait bien l'utiliser !



Bienvenue Mélusine !


Cela faisait quelque temps que Mélusine était au manoir. Son arrivée avait chamboulé tout le petit monde qui y vivait ; Delacroix voyait en elle un nouveau camarade de jeu, et Absinthe une fille avec qui passer du temps tranquillement sans se faire tirer les couettes. Cependant, elle n’était pas vraiment de cet avis. Passé la surprise des premières rencontres, elle évitait sciemment les deux enfants pour passer tout son temps dans les jambes de Montigny. Elle était trop intimidée par les deux petites brutes.
Il faut dire que le premier jeu auquel elle fut conviée consistait à simuler une autopsie. Delacroix venait de découvrir le fascinant métier de médecin légiste dans un de ses livres d’enquête, et Absinthe était ravie de pouvoir enfin jouer autre chose qu’un cadavre duquel on trifouillait les entrailles. Mélusine avait tenté de refuser poliment, les cheveux dressés sur la tête en voyant la panoplie de couteaux étalés sur une table basse, et la soirée s’était finie en course effrénée pour échapper aux deux petits tortionnaires. Elle n’avait trouvé refuge que dans le bureau du gentil Montigny, qui jouait à présent le rôle non avoué de garde du corps.
Elle jouait silencieusement à la poupée dans son bureau, le suivait à la bibliothèque et ne se séparait de lui que de très rares instants. Elle savait bien que la situation devait être éprouvante pour ce charmant monsieur, mais elle ne pouvait se résoudre à s’éloigner beaucoup de lui lorsqu’elle voyait les deux petits monstres chuchoter à son sujet en la scrutant. Elle sentait leur regard mauvais et cruel se poser sur elle, et des frissons lui glaçaient le dos chaque fois qu’elle entendaient leurs murmures cachottiers. Lorsqu’elle était seule dans les couloirs, les ombres prenaient des formes ailées et elle croyait entendre des rires enfantins et glauques derrière chaque tournant.

Alors elle eu l’impression que le monde s’écroulait sous ses pieds lorsque Montigny lui annonça un soir qu’il avait des affaires à régler à l’extérieur de la propriété, et qu’il ne pourrait pas l’emmener avec elle. Elle pleura, supplia, trépigna mais rien n’y fit. Elle devrait passer la soirée en compagnie de son frère et sa sœur de clan pour plus de sécurité. Ce qu’il aurait vraiment fallu pour sa sécurité pensait elle, c’était d’enfermer les deux enragés dans une tour et d’en oublier la clef.

Ils étaient encore dans le bureau et il allait bientôt partir. Montigny préparait les derniers documents à mettre dans une petite valisette, moucha une dernière fois Mélusine dont les yeux débordaient encore de larmes et la prit par la main. Elle savait où il l’emmenait. Vers son trépas, sa mort, son enfer, sa…
« Allez ne t’en fais pas. Ils ne sont pas méchants, ils ont juste voulu te taquiner la dernière fois. Et s’ils te font du mal, ils auront affaire à moi. »
Il parlait doucement pour la calmer un peu, mais elle avait toujours l’air aussi nerveuse. Il lui sourit, défit sa montre et la lui donna.
« Tu sais lire l’heure ? Bon, regarde, quand la petite aiguille sera là, je serais à la maison, d’accord ? Ça ne fait pas beaucoup de temps, n’est-ce pas ? »

Mélusine regarda la montre et hocha la tête. Elle savait maintenant combien de temps elle devait survivre jusqu’au retour de son sauveur.
Il lui attacha la montre autour de son petit poignet et la conduisit dans le salon.
À peine arrivée à la porte, elle entendit de grands cris. En entrant, elle vit Delacroix et Absinthe qui se chamaillaient dans le fauteuil. Ils avaient tous les deux le visage barbouillé de feutre, et chacun tirait le plus fort possible sur ce qui restait d’un malheureux crayon de couleur.
« RENDS LE MOI ! LÂCHE LE, C’EST LE MIEN ! »
« TU ME PRÊTES JAMAIS RIEN, JE LE VEUX ! »
« TU CASSES TOUJOURS TOUTES MES AFFAIRES ! »
« OH LA MENTEUSE ! »
« CRETIN ! »

La situation avait l’air d’empirer. Absinthe avait réussi à arracher l’objet convoité des mains de son frère, mais l’avait de suite jeté plus loin, pour pouvoir se battre plus facilement. À présent, ils se roulaient tous les deux par terre, l’un tirant les cheveux de l’autre, qui lui mordait le bras. Ils ne s’arrêtèrent pas lorsque leur Père les souleva de terre et sépara les deux parties. Ils tentaient de s’infliger des coups de pieds tout en s’injuriant, lorsqu’ils s’aperçurent enfin de la présence de Mélusine. Celle-ci les regardait, tétanisée, la bouche ouverte en un rictus de frayeurs, les yeux ronds. Ils arrêtèrent enfin de se chipoter, et Montigny les reposa au sol.
« Je dois m’absenter un petit moment hors du manoir. Mélusine va rester avec vous pendant ce temps, donc vous ne la martyrisez pas. À mon retour, je ne veux voir aucune bêtise, c’est compris ? »
Il agitait un doigt menaçant sous leur nez, mais les deux petits monstres avaient déjà conclu une trêve en un regard.
« Oui Papaaaaa… On sera gentil avec elle ! » Répondirent-ils d’une voix angélique tout en regardant la petite nouvelle avec des yeux de prédateurs.

Il installa tous les enfants à la table, ramassa les coloriages qui avaient été éparpillés un peu partout et remit feutres et crayons dans leur pot. Il donna les dernières consignes avant de partir sous le regard suppliant de Mélusine, qui n’avait toujours pas dit un mot.
Dehors, la grande porte se ferma, une voiture démarra et s’éloigna peu à peu du manoir. Mélusine était donc piégée…
Elle déglutit et attrapa un coloriage qui représentait une licorne et des papillons, et se mit à utiliser ses feutres avec force. Elle n’osait pas lever le nez de son dessin, car elle savait que ses deux camarades la regardaient intensément. Elle entendit quelques chuchotis et augmenta sa vitesse de coloriage.
Elle osa enfin aventurer un regard discret au-dessus de sa feuille et fut surprise de voir les deux terreurs dessiner tranquillement sans se battre. Ils discutaient même calmement sans se donner des noms d’oiseaux. Étrange…
« Eh Mélusine, passe-moi le crayon orange. »
Elle se raidit. Delacroix lui avait parlé, et elle n’osait pas bouger.
« Steuplait. » Rajouta la voix.

Un silence pesant flotta dans la pièce. Elle ne bougeait toujours pas, ne parlait pas, et maintenant les deux enfants la fixaient du regard. Finalement, Absinthe soupira, se jeta presque à plat ventre sur la table pour atteindre le crayon qui était posé juste à côté de la main de Mélusine et le ramena à Delacroix sans oublier de la regarder d’un air dédaigneux.

« T’as pas d’langue ? » Lui lança t elle, acide.
Ils attendaient une réaction. Mélusine frissonna et osa un timide petit « Si si… » Avant de regarder sa montre. Non, elle ne venait pas de vivre des heures de calvaires, cela n’avait duré que quelques minutes. Elle sentit une vague de désespoir l’envahir.

« …va pas ? Eho ? Tu m’écoutes ? T’es sourde ? »
Elle fut brutalement sortie de ses pensées par un feutre que lui avait envoyé Delacroix dans la figure. Elle les regarda, les yeux pleins de larmes. Mais pourquoi la harcelaient-ils comme ça ?

« Faut te calmer, on va pas t’manger hein. » Absinthe avait l’air vexée.
Mélusine s’enfermait dans un silence gêné.
« Bon elle répond pas, ça veut dire qu’elle fera jamais partie du… Club. Et ceux qui ne font pas partis du Club, on passe notre temps à les… torturer. » Absinthe lui avait annoncé ça froidement, en la regardant droit dans les yeux. En entendant ça, Delacroix avait tout de suite pris la suite.

« Ouais ! Le jour, on les balance dans les toilettes pour qu’ils se réveillent tout dégoûtant la nuit, et on leur fait manger des ordures et des vers de terre, et on leur met du chewing-gum dans les cheveux, et… »
« Et on leur coupe les ailes et on leur fait manger leur propre nez. » Absinthe avait réussi à faire couiner Mélusine. Celle-ci déglutit et leur répondit d’une voix tremblante.
« Comment on fait pour faire partie du club ? »

Les deux monstres se regardèrent et un grand sourire carnassier apparut sur leur visage.
« Tu veux vraiment être dans notre Club ? Y a des épreuves pour y entrer. C’est très dur. Beaucoup de gens essayent d’y entrer, y en a même qui sont MORTS. »
Elle hocha la tête. Elle voulait être libre de cette tyrannie. Tant pis si elle devait faire partie d’une secte tueuse ou d’un groupe satanique. Au moins ils ne lui couperaient pas les ailes et le nez.
« Comment… comment il s’appelle, votre club ? »

Absinthe inspira pour répondre, mais Delacroix répondit plus rapidement qu’elle.
« Le Club Ultra-Secret des Aventuriers Détectives Super Héros! »
Absinthe jeta un regard furieux à son compère avant d’expliquer :
« Mais on est plus connu sous le nom de la Confrérie Secrète de la Mort Sans Pitié. »
Effectivement, le deuxième nom était plus effrayant. Elle préférait le premier.

« On doit se concerter avant de décider si tu peux passer les épreuves. Reste ici, on va revenir. » Annonça Absinthe.
Elle attrapa le poignet de Delacroix et ils s’enfuirent de la pièce, laissant la pauvre fillette toute seule.

Mélusine attendit un petit moment, regardant sa montre toute les trente seconde. Pourvu qu’elle puisse passer les épreuves et qu’elle réussisse… Pourvu que ça marche…

La porte du salon se rouvrit, et ses deux tortionnaires entrèrent solennellement.
« Tu vas passer la Grrrrrande Eprrrrreuve ! Attends les Examinateurs de la Confrérie dans la cour ! » Delacroix prenait une grande voix mélo-dramatique. 
« On doit rester ici pour ne pas influencer le jugement en ta faveur. » Dit Absinthe en souriant sournoisement.

Ils la poussèrent à l’extérieur du manoir et fermèrent les rideaux et portes de l’intérieur. Elle se retrouvait encore une fois toute seule, attendant dans le jardin en tremblotant.
Soudain deux faisceaux de lumière apparurent de derrière le bâtiment. Des bruits de pas crissaient dans le gravier de l’allée, et deux silhouettes blanches et fantomatiques apparurent.
On aurait pu remarquer qu’elles ressemblaient étrangement à Delacroix et Absinthe sous des draps, mais Mélusine était trop angoissée pour y penser.

La première silhouette qui gigotait beaucoup annonça qu’elle devait les suivre sans faillir. La deuxième, immobile, précisa que l’Epreuve Finale aurait lieu dans la Grande Chapelle de la Confrérie. Elles conduisirent mélusine sans ménagement dans la forêt, jusqu’à une petite clairière où passait un petit ruisseau, et où se trouvait un vieux moulin à eau. La construction semblait très vieille mais pas en ruine ; il manquait des tuiles, pourtant la grande roue semblait pouvoir encore marcher. De mauvaises herbes, du lierre et de la mousse recouvraient presque tous les murs, et des chauves-souris faisaient des aller retours au travers de quelques trous. Des lapins détalèrent en voyant les trois personnes approcher.
Ils s’arrêtèrent et ouvrirent la porte du moulin ; elle s’ouvrit dans un horrible grincement et une odeur de bois pourris.

« Entre… Ton épreuve se déroule à l’intérieur… »
« Que dois-je faire ? »
« Te taire. » Répondit la silhouette tranquille d’une voix cinglante.
« Tu dois rester toute seule dans le noir, et tu dois rien dire. Si tu cries une seule fois, t’es éliminée ! »

Mélusine dégluti et entra à l’intérieur. La porte se referma dans un claquement, et un bruit métallique lui fit comprendre qu’elle était verrouillée.
Elle refoula ses larmes et attendit un petit moment de se faire à l’obscurité.
Ça sentait la moisissure, la poussière, la terre. Les murs étaient froids et humides, et les engrenages du moulin qu’elle commençait à apercevoir dans l’obscurité étaient couverts de vieille farine moisie. Un arbuste avait même commencé à pousser entre les dents d’une grande roue. Une chouette qui n’était pas encore partie chasser hulula et la regarda s’accroupir au milieu de la pièce ; le ciel et les étoiles étaient parfois visibles au travers du toit en dentelle et éclairaient faiblement l’intérieur.
Elle soupira, les bras croisés autour de ses genoux. Combien de temps devrait-elle attendre ici ? C’était peut-être un piège. Peut-être allaient-ils l’abandonner là pour toujours, et la laisser mourir de faim et d’ennuis toute seule. Un frisson de désespoir la submergea.

Soudain, elle entendit un bruit étrange. Une sorte de grattement… et un souffle rauque… et plus loin, un grognement…
Une goutte froide et gluante tomba le long de sa nuque.
Ses cheveux se dressèrent sur sa tête.
Elle toucha doucement ce qui coulait à présent dans son dos et le porta à ses yeux et réprima un cri.
Malgré l’obscurité, elle devinait la couleur du liquide.
C’était rouge.

Elle leva le nez en tremblant, inquiète de découvrir d’où ce sang provenait, mais elle ne vit aucun cadavre suspendu au-dessus de sa tête. Cependant, elle se leva et alla se coller contre le mur le plus proche. Il n’était pas bien solide et plein de trous, les pierres s’effritaient sous ses coudes, mais ça la rassurait de sentir quelque chose de dur dans son dos.
Le moindre craquement prenait une nouvelle dimension. Les ombres s’allongeaient et prenaient des formes grotesques et effrayantes ; les pièces d’engrenages du moulin avaient la forme d’appareils de torture où se cachaient des monstres ; et des yeux la regardaient de partout, ils l’observaient, ils la scrutaient…
Mélusine sentait son cœur s’emballer, elle essayait de se résonner, se dire qu’il n’y avait rien et que tout venait de son imagination, mais cela ne faisait que renforcer sa peur.
Toujours plaquée contre le mur, elle haletait en silence, terrorisée à l’idée que les monstres la remarquent.

Soudain deux mains sorties du mur lui attrapèrent les épaules ; elle allait hurler quand un objet froid et visqueux fut projeté sur son visage et retomba sur le sol.
Tétanisée, elle voulu crier mais aucun son ne sortait de sa gorge ; elle ne parvint qu’à gémir maladroitement en voyant un énorme crapaud la dévisager.
Elle essaya de se dégager des mains qui l’enserraient toujours, mais celles-ci ne voulaient pas lâcher prise. Le crapaud coassa avant de s’en aller en sautillant.

Épuisée, à bout de nerf, elle s’arrêta de combattre et voulu s’écrouler. Elle ne pouvait lutter contre ces démons, alors qu’ils la mangent tout de suite et que son calvaire s’arrête enfin…
Tout en sanglotant, elle baissa enfin les yeux sur les mains qui l’enserraient.

Elles étaient bleues électriques.
Un pansement avec des avions ornait même le bout d’un des doigts, et les poignets étaient recouverts de traînées de couleurs différentes.
Elle retint son souffle et tendit l’oreille ; elle entendit un petit rire et des chuchotements qui venaient de l’extérieur…

«… une drôle de tête quand je lui ai envoyé le crapaud... »
«… crie toujours pas. On fait quoi maintenant ? Peut être… »
«… Non c’est trop méchant ça, faut pas abuser sinon… »
«…arrête maintenant ou bien on continue encore un… »
«… crise cardiaque, la pauvre… »

C’était trop fort ! Pendant tout ce temps ils se payaient sa tête ! Comment avait-elle fait pour ne pas deviner ! Comment avait-elle fait pour ne pas reconnaître ces deux abrutis sous leurs draps ?

Ses yeux rougeoyèrent dans le noir et elle s’arracha des mains qui la retenaient.
Furieuse et essoufflée, elle se mit à frapper les murs de ses poings en hurlant toute sa rage contre les deux misérables qui avaient abusé de sa crédulité.

« Vous êtes méchants, cruels et vicieux ! Vous vous êtes bien amusé, j’espère, parce que quand je sortirais de là, je vais vous arracher les ailes et vous les faire manger ! Vous n’êtes que deux abrutis stupides et odieux ! Je vous DETESTE ! »

Elle continuait à tempêter en frappant tout ce qui se trouvait à sa portée, quand le grincement de la porte qui s’ouvrait la rappela à l’ordre. Elle attendit en soufflant que quelqu’un rentre mais elle ne vit aucune silhouette arriver.
Elle s’approcha de la porte et mit un nez dehors. Tout était silencieux. Seul un petit pot de gelée de groseille trônait sur un petit rocher.

Ah ! Les lâches ! Ils s’étaient enfuis ! Les minables ! Ils avaient même dû faire dans leur culotte tellement elle avait crié fort ! Ils ne l’embêteraient plus de sitôt ! Ils ne…

« Aïe ! »

Une pomme de pin rebondit sur sa tête.
Mélusine se retourna juste à temps pour voir deux silhouette s’enfuir en rigolant. Elle partit à leur poursuite en hurlant des insultes ; ils remontaient vers le manoir.
Elle courrait, courrait, à travers les buissons, se prenait des branches dans la figure, se griffait les bras dans les fougères, se prenait les pieds dans des racines. Elle manqua de tomber dans la boue plusieurs fois, mais ne s’arrêta jamais ; elle allait leur faire payer l’enfer qu’elle venait de vivre.
Elle sortit enfin de la forêt et vit les deux petites silhouettes rentrer précipitamment dans le manoir ; elle les coursait toujours. Elle arriva enfin dans les grands escaliers, et remarqua même qu’ils l’avaient attendu tout en haut. Leurs deux visages radieux la contemplaient du haut de l’étage. Delacroix lui jeta une dernière pomme de pin qu’il avait gardée, rigola et ils reprirent tous leur course effrénée.

Elle les vit enfin, assis l’air de rien en train de déguster des cookies dans la cuisine. Ils lui sourirent.
Déchaînée, elle se précipita sur Absinthe, lui asséna un coup de poing vengeur dans la mâchoire et la flanqua par terre pour la secouer de toutes ses forces. Celle-ci lui répondit par des coups de pieds fous et des cris hystériques, et Delacroix se jeta dans la bagarre en tapant à gauche et à droite en s’amusant comme un petit diable.

« Non mais c’est fini, oui ? C’est quoi ces manières ? »

Mélusine se redressa instinctivement en entendant la voix amusée de Montigny. Il était enfin rentré ! Mais elle vivement fut ramenée dans la bagarre par Delacroix qui lui sauta dessus depuis une chaise en annonçant des prises de catch.

« Papa ! Regarde ! Je fais le 619 ! Et la prise du marteau-pilon ! Yahaaaa ! »
« Essaye d’éviter ma prise du crocodile, misérable ! » la défia Absinthe en lui enserrant les jambes de toutes ses forces.

Mélusine, voyant que sa colère ne servait à rien, s’éloigna de la mêlée. Cela n’avait donc mené à rien ?
Elle prit le chocolat chaud que lui tendait Montigny et but quelques gorgées en regardant la fin du combat. Égalité, l’arbitre ayant offert à chacun une part de gâteau. Tout le monde se mit à manger sans bruit.

« Alors, qu’avez-vous fait pendant mon absence ? Pas trop de bêtises, j’espère… » Montigny prenait des nouvelles de ses petits monstres.

« On a joué avec Mélusine » postillonna Absinthe entre deux bouchées.
« Ah ? Vous avez joué en compagnie de Mélusine ou avec Mélusine ? » Il lança un petit regard interrogateur à l’intéressée.
Celle-ci prenait son inspiration pour dire à quel point elle avait été maltraitée, mais Delacroix répondit plus vite qu’elle.

« C’était TROP bien. On a fait un super club d’aventuriers supers héros super secrets de la mort qui tue et on a joué à lui faire peur et maintenant elle fait partie du club mais en fait on avait pas de club c’était juste pour l’embêter mais en fait on s’est bien amusé tous ensemble. »
Delacroix avait débité tout ça la bouche pleine et sans prendre une seule inspiration, les yeux brillants en se rappelant à quel point il venait de vivre un moment extraordinaire. Puis il se remit à engloutir sa part de gâteau en faisant des miettes partout.

« Mais ça m’a l’air très intéressant tout ça ! Il va falloir que vous me racontiez tout en détail ! »
Ils s’installèrent tous dans le salon, sur le canapé ou avachi sur l’épais tapis pour partager leur journée, Delacroix puis Absinthe en premiers.
Mélusine fut très surprise par leur récit ; elle s’attendait à des moqueries, mais à la place les deux zozos ne tarissaient pas d’éloge sur le courage de la petite nouvelle. Elle n’avait pas crié et elle avait même voulu leur mettre une raclée ! Elle les avait poursuivis à travers toute la forêt ! Et elle s’était battue à main nue contre un crapaud géant et cracheur de feu qui l’avait attaqué dans le moulin ! Quelle bravoure !

« Et toi, Mélusine? J’ai l’impression qu’ils se sont bien amusés, mais toi qu’en penses-tu ?  T’es-tu ennuyée? »

Il fallait bien reconnaître qu’elle n’avait pas vu le temps passer. Tout était allé très vite. Et en y repensant, ça faisait une belle aventure ; elle était passée par toutes les émotions possibles en moins d’une soirée, alors qu’elle s’était un peu morfondue toute cette semaine. Et ils n’avaient pas l’air si terribles ; on aurait dit qu’ils avaient manigancé tout ce petit jeu pour la tester, mais pas méchamment…
Elle aquiesca  mais resta silencieuse sur ce qu’elle avait vécu.

Rassuré, Montigny lui sourit et demanda ce qu’ils voulaient tous faire à présent. Les deux voyous se mirent à hurler en même temps, levant les poings et commençant même à se chipoter pour imposer son idée.
« Un film ! On va voir un film ! Celui avec le monstre géant ! »
« Nan une histoire ! Tes films sont trop nuls ! »
« Nan c’est tes histoires qui sont toutes moisies ! »
« Même pas vrai d’abord ! C’est toi le moisi ! »
« Répète c’que t’as dit ! »
« T’es tout moisi et tes films aussi ! »

Montigny les calma et les sépara puis proposa d’écouter ce que Mélusine présentait comme activité. Celle-ci ne pensait à rien, mais un élan d’intrépidité lui fit ouvrir la bouche, comme pour contester le choix des deux autres.
« Et si on jouait à quelque chose ? Un jeu tous ensemble ? »

Montigny approuva tout de suite, suivi des deux enfants. Delacroix sautait partout sur les fauteuils en hurlant de joie, et Absinthe faisait la liste complète des jeux de société qu’ils avaient en réserve, afin d’aider Mélusine à bien choisir.
Après moult discussions, un simple jeu de carte fit l’affaire ; certains jeux étaient encore trop compliqués pour eux, certains finissaient toujours en querelles abominables à propos de tricheries, et d’autres étaient incomplets, les pions manquants se trouvant dans l’estomac de quelqu’un ou disséminé à travers le manoir.

On s’attabla et on sorti un jeu, un peu abîmé par l’usage. Montigny distribua les cartes ; et tout le monde fut bientôt silencieux, observant sans se cacher les autres joueurs. On épiait les moindres gestes, les moindres tics révélateurs, chacun retranché derrière son jeu. Des regards en coin s’échangeaient ; on toussait ou se raclait la gorge pour faire croire à une tactique ; et on abattait les cartes d’un air vainqueur avant de se faire couper le sifflet par un plus fin stratège.
Au début, Mélusine joua en défense, suivant le jeu selon les cartes qu’on lui imposait et elle perdit beaucoup de fois. Cependant, elle n’abandonna pas, et plus la soirée avançait, plus elle parvenait à déchiffrer les tactiques adverses, lui permettant de passer à l’attaque et de changer le cours de la partie, ce qui avait l’air de réjouir tout le monde. Plus la partie défilait, et plus elle se détendait, comprenant les mécanismes de réflexion de ses deux camarades ; Montigny restant un joueur indéchiffrable.

Delacroix essayait des ruses complexes, tellement surréalistes qu’elles ne marchaient pratiquement jamais ; mais cela donnait d’étonnant résultat. Il perdait avec panache, préférant le style que le résultat, se disait Mélusine.
Absinthe était brève mais semblait avoir réfléchi ses gestes bien auparavant. Ses manœuvres étaient simples mais efficaces, loin des méthodes alambiquées de son frère. Elle se fixait un but et faisait tout pour y arriver, quitte à perdre la presque totalité de ses cartes pour parvenir à ses fins ; acharnée, cela lui valu de remporter un bon nombre de manches. Elle ne se vantait pas de ses techniques et restait très réservée sur son jeu, alors que Delacroix ne pouvait s’empêcher de pousser des exclamations à chaque nouvelle carte, mettant en garde les autres contre sa redoutable stratégie qui, cette fois, marcherait à coups sûrs.

La partie dura longtemps, et se termina dans des éclats de rires et des blagues gentilles ; l’atmosphère n’était plus ce qu’elle était en début de soirée, quand Mélusine, encore timide, était arrivée en tremblant. Maintenant elle connaissait les qualités, forces et faiblesses de chacun. On totalisa les scores, et il advint qu’elle remportât la partie haut la main, suivie de Montigny, d’Absinthe et finalement de Delacroix. Beau joueur, il félicita la gagnante et réclama une revanche pour la nuit prochaine, car le jour allait bientôt se lever.

Mélusine sourit et lui affirma en rigolant que quoi qu’il fasse, elle le battrait toujours ; Delacroix en fut ravi et la défia dans un discours grandiose que jamais il n’abandonnerait , et qu’elle aurait gagné le jour où son cadavre reposerait à côté du jeu de carte. Mais l’aurore approchait, on avait plus le temps pour les fanfaronnades, et Montigny les escorta jusque sur le toit, où chacun prit sa pose.
Le soleil apparut enfin et transforma en pierre les trois enfants.

Sur le toit, trois statues se donnaient la main en souriant.

- Louise, 2009