Dernière fanfiction / nouvelle du Clan de Paris écrite en 2014 !
La suite directe de "Une Gargouille a Disparu"
Juin 1997 - Bande son
Return of the Mack - Mark Morrisson
Say you’ll be there - Spice Girls
Your Woman - White Town
Karma Police - Radiohead
Block RockingBeats - Fat boy slim
I love you always - Donna Lewis
Fly - Sugar Ray
Virtual Insanity - Jamiroquai
I believe I can Fly - R. Kelly
To the moon and Back - Savage Garden
Don’t Speak - No Doubt
Song 2 - Blur
Barbie Girl - Aqua
Around the World - Daft Punk
Mots obligatoires : tête de linotte - courgette - branquignole
- GRIMM A DISPARU ! -
1997- Une nuit de Juin
Manoir des Muscari, Vincennes -
Mélusine regarda au loin, se demandant quand Grimm allait revenir. Il allait y avoir des choses à mettre au point.
Mais le temps passait et l’aurore se rapprochait, et toujours pas de traces de la gargouille rouge. Mélusine s’était débarrassé de sa tenue et de ses accessoires de Jedi et était allée voir Isidore Montigny pour le tenir informé de la situation et de lui demander s’il avait eu des nouvelles de Grimm. Mais Père n’avait obtenu aucune information pour le moment, malgré tous les coups de fil qu’il avait passé. Svenn et Delacroix étaient même allés à la recherche de la Gargouille dans le périmètre des Caves saint Sabin mais étaient finalement rentrés bredouilles. Mélusine décida alors d’aller attendre son frère de clan sur la grande terrasse du manoir, là où les gargouilles avaient l’habitude de sombrer dans leur sommeil de pierre. Que pouvait-elle faire de mieux ? Peut être allait-il rentrer par lui même ? Elle regrettait de l’avoir giflé. Mais bon Il l’avait bien cherché après tout, à venir gâcher sa soirée costumée !
Les minutes et les heures passèrent lorsque vinrent poindre les premières lueurs du jour. Absinthe venait de monter elle aussi sur le toit de la propriété et surprit Mélusine assise par terre, les yeux rivés vers l’horizon. Le chemin du retour pouvait être long et semé d’embûches pour une gargouille aux ailes non fonctionnelles.
“Toujours pas de traces de lui ?” demanda la blanche gargouille.
“Non.” répondit l’apprentie sorcière avec un brin de culpabilité dans la voix.
“C’est ma faute s’il est parti comme ça”, poursuivit-elle. “Si je ne l’avais pas giflé et parlé comme je le lui ai parlé…”
“Il n’aurait pas été giflé s’il avait obéi aux ordres. Tu n’as pas à t’en vouloir.”
“Oui mais il est perdu là-bas dehors ! Il ne connaît pas Paris, il ne peut pas planer. Il doit être terrifié !”
“Terrifié ? Grimm ? je le vois mal terrifié !” rétorqua Absinthe en haussant les épaules.
Mélusine fit une moue embêtée.
“Le soleil va bientôt se lever et on ne sait pas où il est.” s’écria-t-elle angoissée. “S’il lui arrive quoi que ce soit, ce sera de ma faute.”
Absinthe posa une main amicale qu’elle voulait réconfortante sur l’épaule de son amie.
“On ne peut rien faire pour le moment. Demain nous irons voir Arnaud pour lui demander son aide.”
“D’accord.” répondit Mélusine.
Toutes deux prirent place sur le faîte et furent rejointes par les autres résidents du manoir : Delacroix et Svenn, désolés de n’avoir pas réussi à retrouver Grimm, Morphine et Richelieu le griffon, tous deux déçus de ne pas avoir fait partie de l’expédition.
“On va le retrouver, Mélusine.” affirma Delacroix.
Cette dernière lui retourna un timide sourire, espérant que ses paroles étaient prophétiques.
Le soleil décida d’apparaître à ce moment précis, figeant les gargouilles dans leur posture sur le toit du manoir.
Quelque part dans Paris -
Grimm était perdu et épuisé.
La gargouille avait réussi à grimper sur un toit à temps, alors que le soleil était en train de se lever.
Après être parti sur un coup de colère, il avait erré dans les rues de Paris jusqu’à se rendre compte, au moment où sa rage était retombée, qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où il était. Cela ne faisait qu’un an qu’il avait rejoint le manoir de Montigny et Paris était encore une ville inconnue de lui, d’autant plus qu’il était toujours en apprentissage de la langue française. Il s’en voulut d’avoir agi sur le coup de la colère mais maintenant, que faire ? Il n’avait aucun moyen de communiquer avec ses nouveaux amis, aucun moyen de leur dire où il était - Où était-il d’ailleurs ? - Et il ne pouvait pas demander son chemin.
Les rayons du soleil naissant commencèrent à lui lécher le corps, amorçant la transformation inéluctable. Sa peau prit une teinte grisâtre et une dureté minérale, le figeant dans ses réflexions et interrogations, le jetant dans un sommeil de pierre.
Manoir des Muscari, Vincennes -
Le coucher du soleil survint en fin de soirée suivante et réveilla les résidents du manoir des Muscari dans une effervescence inquiète. Pas de trace de Grimm, pas de nouvelles. Montigny avait rejoint ses protégés pour leur annoncer qu’il était toujours bredouille. Delacroix et Svenn proposèrent de repartir à la recherche de la gargouille aux ailes lacérées.
“Emmenez Richelieu. Peut-être que son odorat pourra vous aider.”, suggéra Absinthe.
Les deux gargouilles firent sentir un vêtement de Grimm trouvé dans sa chambre au griffon et s’envolèrent vers les caves St Sabin, le dernier endroit où il avait été vu.
Mélusine se retourna et se dirigea vers l’intérieur du manoir avec détermination.
“Qu’est ce que tu comptes faire ?” demanda Absinthe qui la suivit.
“Je vais tenter un sort pour le localiser.” répondit-elle avec le plus grand sérieux. Elle s’attendait à ce qu’Absinthe tente de la dissuader d’utiliser son grimoire, comme à son habitude.
“Je vais t’aider.”, s’exclama la gargouille blanche contre toute attente. “Dis moi de quoi tu as besoin.”
“Oh… ok. Il nous faut un plan de paris, un cristal de Bohème et des bougies.” répertoria Mélusine.
“Je vais te chercher le plan.” répondit Absinthe en se dirigeant vers le salon de Père où elle était sûre de trouver ce qu’elle cherchait.
Les bras chargés d’un tas d’objets, Mélusine installa son barda dans le grand salon. Un miroir, un petit poignard dans son étui, des pierres pour former le cercle de rituel, le cristal de Bohème et des cierges.
Absinthe revint vite avec un plan de la capitale et l’étala dans le cercle de pierre, sous les conseils de Mélusine.
La gargouille verte ouvrit le grimoire à la page du sort et relit la formule. Elle sortit de son étui le petit poignard, et s’incisa l’intérieur de la paume en grimaçant un peu et attrapa le cristal dans sa main. Le sang coula le long de la chaîne. Mélusine ferma les yeux, fit le vide dans sa tête et se concentra. Elle tendit la main au dessus du plan de Paris et énonça d’un voix claire et assurée cette sentence latine :
“O tacitum testes, et ad nobis invenire semitam, ut pereat unus de hoc map”
“O tacitum testes, et ad nobis invenire semitam, ut pereat unus de hoc map”
“O tacitum testes, et ad nobis invenire semitam, ut pereat unus de hoc map”
Elle rouvrit les yeux et observa le sang couler lentement le long du cristal qui ondulait et tomber en petites gouttes sur la carte.
“Alors qu’est ce que ça dit ?” chuchota Absinthe.
Mélusine retira le cristal et contempla le plan parsemé de petites tâches rouges.
“Je ne comprends pas trop.” avoua-t-elle déconcertée. “Il y a des marques un peu partout. Ça n’a aucun sens ! La Défense, le Louvre, les tuileries, Bastille, la gare de Lyon... Où doit-on chercher ?”
Mélusine s’affaissa, accablée par le désepoir et sa propre impuissance.
“Je ne sais pas.”, répondit Absinthe. “On pourrait peut-être demander de l’aide à Arnaud ? Avec ses connections, il pourrait peut être nous aider ?”
“Sans doute” répondit l’apprentie sorcière sans grand espoir.
“Allons viens. On le retrouvera d’une façon ou d’une autre.”, s’écria Absinthe en aidant son amie à se relever. Il allait falloir la tirer en avant, s’était-elle dit. Mélusine pouvait être vite dépassée par la situation et totalement démunie. Il fallait que quelqu’un garde la tête froide. Et qui de mieux placée qu’Absinthe ?
Elle tinrent rapidement Montigny au courant de leur recherche au cas où Svenn et Delacroix reviendraient et partirent dans le ciel de Paris en direction du IVeme arrondissement, vers l’appartement du journaliste Arnaud Lanvin.
Quelque part dans Paris -
Grimm se réveilla au moment où le soleil disparut derrière les immeubles haussmaniens. Il ne se sentait plus épuisé mais il mit quelques secondes à se replacer et réaliser qu’il était toujours perdu. Il poussa un soupir, se releva et regarda autour de lui. Il avait choisi un bâtiment plutôt en hauteur, ce qui lui permit d’avoir une bonne vision des alentours. Certes il pouvait voir quelques monuments en fond, mais rien ne lui indiquait par où se situait le manoir de Montigny. Il s’en voulut d’avoir un si piètre sens de l’orientation. Il repéra toutefois une grande tour couronnée d’une énorme horloge. Il pouvait commencer par ça.
De par son “handicap” - En effet, il avait les ailes lacérées à cause de la maltraitance de ses anciens “propriétaires” - il ne pouvait planer jusqu’à sa destination, aussi s’arrangea-t-il pour sauter de bâtiments en bâtiments. Il avait l’habitude depuis le temps. Mais il réalisa aussi à quel point l’aide de Svenn lorsqu’il le transportait était à ce point précieuse et que cela lui manquait même s’il ne voulait pas se l’avouer. C’est quand on est en l’absence d’un certain confort qu’on se rend compte de son importance.
Combien de fois s’était-il retrouvé frustré par son incapacité à planer ? A se retrouver dépendant des autres ? Sa propre faiblesse lui était intolérable. Mais que pouvait-il y faire ? Ce n’est pas comme s’il n’avait jamais espéré en entrant dans un sommeil de pierre qu’à son réveil, son problème soit fixé ! Mais les dégâts que ces skinheads avaient faits étaient irréversibles. Du moins c’est ce que Montigny lui avait dit.
Avec difficulté, il se rapprocha de cette grande tour et crut un bon nombre de fois qu’il n’y arriverait pas ! Les boulevards étaient si grands qu’il ne pouvait pas les traverser. Il avait du faire des détours inimaginables pour éviter de devoir se balader sur le trottoir à la vue des passants. Surtout que même par cette heure tardive, les rues étaient encore noires de monde.
Il arriva enfin à proximité de cette tour en question, essoufflé et réussit à se faufiler au niveau de l’horloge. De là où il était, il put avoir une vue panoramique. Il se rendit alors compte qu’il s’agissait d’une gare. Des trains au nez fuselé en sortaient à douce allure pour rejoindre leur lointaine destination, les passagers couraient de tous les côtés, avec ou sans bagages. Grimm tendit l’oreille et entendit la voix sans âme des annonces de la gare.
“Ta ta daaaa da - Le TGV en provenance de Annecy va rentrer en gare voie 15. Le TGV en provenance de Annecy va rentrer en gare voie 15. Merci !”
“Vous êtes arrivés à la Gare de Lyon. Veillez à ne pas oublier de bagage à bord du train. Merci !”
Que faire. Rester là ? Attendre que quelqu’un vienne le chercher alors que personne ne pouvait le localiser ? En plus son ventre commençait à lui rappeler qu’il n’avait rien mangé depuis la nuit dernière. Et puis ce n’est pas comme s’il avait des francs sur lui pour aller acheter un sandwich ! Qui irait lui servir un sandwich d’ailleurs ? Il attendrait encore un peu pour descendre de son perchoir et aller fouiller dans les poubelles des restaurants aux alentours. Peut être trouverait-il des restes de plats que les clients n’avaient pas voulu ou des épluchures de légumes. Les restes de courgettes et les aubergines constituaient un repas de roi pour celui qui a faim !
Avec ce plan en tête, il n’avait plus qu’à attendre. Il grimpa alors encore quelques mètres au dessus de la grosse horloge pour s’installer sur le petit balcon tout au sommet. Il n’avait que ça à faire de toute façon.
Appartement de Arnaud Lanvin, Paris 4e - près de minuit
Mélusine et Absinthe arrivèrent en vue de l’appartement de Arnaud Lanvin au coeur du IVe arrondissement de Paris. Entre le centre Pompidou et les Archives Nationales, Arnaud Lanvin, journaliste au “Ponctuel” de son état, résidait dans un appartement rue du Plâtre, au coeur du coeur de Paris. Par chance, il habitait au dernier étage de son immeuble et de fait, possédait une petite terrasse sans vis à vis.
Mélusine et Absinthe atterrirent sur la terrasse en question et jetèrent un oeil à l’intérieur pour vérifier qu’Arnaud était chez lui et seul. Il était déjà arrivé une fois qu’elles soient arrivées au mauvais moment où Arnaud était en galante compagnie. Elles n’avaient pas refait deux fois la même erreur.
Mélusine frappa à la vitre deux coups, puis trois coups puis quatre. C’était leur code.
Après quelques instants, Arnaud vint ouvrir la porte fenêtre. C’était un homme à la fin de la trentaine, à la mèche rebelle de journaliste et au regard incisif aux prunelles foncées. Il était simplement habillé d’un polo et d’un jean. Son sempiternel blouson en cuir que n’aurait pas renié Christophe Hondelatte, reposait sur le dossier du canapé.
“Mélusine ? Absinthe ? Je ne vous attendais pas ! Que se passe-t-il ?” s’étonna-t-il.
Mélusine était sur le point de fondre en larmes.
“Il a disparu ! Il faut que tu nous aides !”
“Quoi ? Qui a disparu ? Viens t’asseoir à l’intérieur. Explique-moi.”
Mélusine obéit, mais ce fut Absinthe qui se chargea d’éclairer la situation là où la gargouille verte échouait à répondre sous le coup de l’émotion.
“Grimm a disparu.” Expliqua-t-elle tandis que Mélusine était en train de sangloter. “Il est parti hier soir alors que nous étions aux Caves Saint Sabin, et depuis plus de nouvelles. Il n’est pas revenu, Delacroix et Svenn ont fait des rondes du côté des Caves mais n’ont pas trouvé le moindre indice et même Père… je veux dire le professeur Montigny n’a pas réussi à faire jouer ses relations et ses indics pour le retrouver. On ne sait pas où le chercher ni par où commencer. Tu pourrais nous aider ?”
Lanvin se frotta le menton en réfléchissant.
“Grimm, c’est la gargouille toujours en colère ?”
“Oui ça le décrit plutôt bien !” acquiesça Absinthe “Il ne peut pas planer ni se déplacer par les airs et il s’énerve facilement. Il n’est chez nous que depuis un an, il ne connait pas la ville et parle plus allemand que français. Si on ne le retrouve pas bientôt, ça pourrait être dangereux pour les humains dans la rue.”
“Non ! Il ne ferait pas de mal à une mouche !” s’insurgea Mélusine.
“Voyons Mélusine. Réveille-toi !”, Rétorqua Absinthe. “C’est une ancienne brute, utilisée par des skin heads pour casser la gueule de leurs ennemis. Que tu le veuilles ou non, il est dangereux pour les humains. Il est explosif et peut partir dans un claquement de doigts.”
“C’est faux ! Il n’est plus comme ça.” protesta Mélusine d’une voix moins assurée qu’elle ne l’aurait voulu.
Absinthe roula les yeux dans les orbites. Comme Mélusine pouvait être têtue ! Il n’y a pas plus aveugle que celui (ou celle) qui ne veut pas voir ! Elle se retourna vers le journaliste.
“Il est parti en berserk la nuit dernière parce qu’un humain était en train de flirter avec Mélusine…” expliqua-t-elle.
“Hmm ok…” répondit-il. Il prit quelques minutes pour réfléchir à ses options.
En effet une gargouille de ce type pouvait être dangereuse pour elle et pour les autres.
“Je vais voir avec mes contacts dans les rues. Avec un peu de chance, quelqu’un aura vu quelque chose ! Et peut être aussi Blanche, tiens. S’il y a quelqu’un au courant des trucs bizarres qui se passent à Paris, c’est bien elle !” s’écria-t-il. “Laissez moi le temps de passer quelques coups de fil. Revenez dans deux heures, j’aurai peut être des nouvelles.”
Absinthe et Mélusine hochèrent de la tête.
“Ça va aller, Mélusine. On va le retrouver.” affirma le journaliste en prenant ses mains dans les siennes. La gargouille eut un faible sourire en retour.
“Allez viens. On retourne au manoir.” s’écria Absinthe. “Peut être que Delacroix et Svenn seront de retour avec de bonnes nouvelles.
“Je préfère aller aux Caves. On retrouvera Delacroix et Svenn là bas.”
“Ok Allons-y.” concéda Absinthe. “Arnaud, on revient dans deux heures Arnaud. A tout à l’heure.”
Arnaud Lanvin hocha de la tête et prit le téléphone.
Les deux gargouilles décollèrent du toit et se dirigèrent vers l’Est de la capitale.
Gare de Lyon, Paris 12e -
L’horloge de la gare de Lyon sonna bruyamment deux heures du matin. Les locaux s’étaient lentement vidé de leurs passagers après le départ des derniers trains. Grimm en profita pour descendre de son nid d’aigle et se faufila jusqu’aux portes arrières des différentes brasseries de la gare. Aussi espérait-il calmer son estomac en colère.
Il dut faire demi-tour les deux premières fois car les poubelles étaient déjà explorées par les sans-abris du coin. La troisième fut la bonne. A l’arrière d’un petit monoprix, il réussit à trouver des paquets de jambon que le supermarché avait décidé de jeter à cause de la proximité de la date de péremption. Ceci fit l’affaire de la gargouille qui en avala deux paquets, accompagnés de quelques fruits un peu endommagés mais encore tout à fait mangeable. C’était bien mieux que ce qu’il avait l’habitude de manger lorsqu’il était enfermé dans sa cage en Allemagne.
Il avait beau être bien loti depuis qu’il avait été recueilli par Montigny et trouvé un semblant de clan. Il mangeait et était traité plus que correctement, il n’était plus persécuté par ses bourreaux au crâne rasé, il était libre. Mais paradoxalement, la liberté s’était accompagnée de doutes et de questions. Maintenant, il se sentait démuni, vide de sens. Après avoir passé plusieurs années à n’avoir qu’une seule fonction, celle d’un chien d’attaque qu’on lançait sur ses concurrents, il se trouvait libre de ses mouvements mais n’avait plus aucune utilité ni but dans la vie. Comment gérer ça ?
Depuis, il passait son temps dans la salle de sports du manoir, passant ses nerfs sur le sac de sable et les appareils de fitness, toujours énervé mais contre quoi ? Contre qui ? Il se sentait de plus en plus dans une impasse sans savoir comment en sortir.
Un bruit de moteur et de portière qui claque retentirent soudain et le firent sortir de ses pensées. Il se jeta dans l’ombre de la benne à ordures pour éviter d’être repéré.
Deux hommes casqués et habillés de sombre passèrent devant l’entrée de la ruelle et furent suivis après quelques secondes par un camion sombre lui aussi mais au logo parfaitement reconnaissable : un croissant de lune et un point encerclés. Grimm eut l’impression de reconnaître cet emblème sans pour autant pouvoir le replacer. Il faut dire qu’il n’avait pas une mémoire d’éléphant...
Il se rapprocha de l’entrée de la ruelle et observa le ballet des hommes vêtus de noir. Il y avait là cinq camions qui se suivaient, accompagnés chacun par trois hommes en noir et tous se dirigeaient vers les rails et plus loin sans doute, les entrepôts de la gare de Lyon. Grimm décida de les suivre pour comprendre ce qu’il se passait. Ce convoi avait l’air louche, ce logo qu’il n’arrivait pas à reconnaître, et un pressentiment au creux du ventre. Et puis il fallait dire qu’il n’avait pas grand chose à faire à part attendre une cavalerie qui peut être n’arriverait jamais !
La Gargouille grimpa à la seule aide de ses griffes sur les murs et se mit en hauteur pour mieux apprécier la situation. Comme il se le disait, les camions se dirigeaient au delà des quais, vers un entrepôt de marchandises appartenant à la SNCF. Tout autour, des trains de frêts étaient parqués, des wagons couverts de graffs semblaient abandonnés. Encore plus louche !
Le convoi atteignit les abords d’un train de marchandises où attendaient d’autres individus. Un homme aux traits burinés, l’air peu aimable, habillé d’un pull noir et d’un long manteau (étrange en cette période de l’année) et la clope au bec se démarquait des autres car il se dégageait de lui une certaine autorité, et puis c’était le seul homme non casqué.
Grimm profita de la couverture de la nuit pour se cacher derrière un wagon aux lettres urbaines et colorées pour épier la conversation.
“Vous êtes en retard !” s’écria l’homme à la cigarette.
“On a du faire des détours pour éviter d’être repérés...Vous savez… avec Pénélope Nocturne dans le coin” répondit l’un des hommes de main. Il avait du retirer son casque parce qu’il parlait à l’air libre, devina Grimm. Peut être leur chef ?
“Vous êtes en retard. Point. Et vous savez comme la patronne a horreur du retard pour ses “livraisons”.”
“Oui M’sieur”
“Alors, chargez moi tout ça, qu’on retourne au bercail !” aboya l’homme au pull noir
Les hommes obéirent et certains ouvrirent le wagon le plus proche tandis que les autres préparaient les camions pour la marchandise, sous la supervision de l’homme à la cigarette.
“Allez on se dépêche sinon on y est encore demain !!” beugla-t-il en frappant dans ses mains.
Des personnes abrités sous des espèces de couvertures descendirent du train et furent emmenés jusqu’aux camions. Des dizaines de personnes. En observant plus attentivement, Grimm vit dépasser ici une queue de sous le plaid et là des pattes caractéristiques. La gargouille rouge ne savait pas quoi penser. Ce fut lorsqu’un des individus encapuchonnés se tourna et que Grimm vit son visage qu’il manqua de tomber de son perchoir.
“Morphine ?”
Qu’est ce que la gargouille ado fichait ici ? La dernière fois qu’il l’avait vue, elle était tranquillement au manoir, en train de jouer à sa game boy. Avait-elle été enlevée ? Elle était l’une des pensionnaires du manoir que grimm appréciait le plus, même s’il n’en disait rien. Il aimait son côté j’m’enfoutiste et boudeur que prenait souvent l’adolescente.
Il se dit que la meilleure chose à faire, c’était de suivre le convoi de camions et voir ce qu’ils voulaient à Morphine. Grimm attendit que le transfert de “marchandise” soit terminé. L’homme à la cigarette grimpa dans le camion de tête et lança le coup d’envoi du trajet. Grimm en profita pour descendre de son mur et sauter sur l’un des camions tandis qu’ils se mettaient en marche pour Dieu-sait-où.
Il espéra qu’il avait fait le bon choix mais tant pis.
Appartement de Arnaud Lanvin, Paris 4e -
Mélusine et Absinthe revinrent à l’appartement d’Arnaud Lanvin deux heures après sans plus de nouvelles. Svenn et Delacroix avait écumé tout le quartier des caves et n’avaient rien trouvé. Ils avaient décidé de retourner vers le manoir pour voir ce qu’il était possible de faire de là bas.
Aussi espéraient-elles qu’Arnaud ait trouvé quelque chose. Une trace, un témoignage, tout était bon à prendre.
Absinthe refit le code en frappant à la baie vitrée et le journaliste vint leur ouvrir.
“Alors ?” demanda-t-il.
“Nada. Il s’est évanoui dans la nature.” Répondit Mélusine. “On espérait que tu aies plus de nouvelles.”
Arnaud fit une moue qui n’était pas bien engageante.
“Pas vraiment j’en ai peur. Personne dans mes contacts sur le terrain n’ont entendu parler de grosse bête ou n’ont été témoins de quoi que ce soit. Mon indic m’a juste dit qu’apparemment “Destiny Developments” était en pleine effervescence et préparait un nouveau coup mais je n’en sais pas plus et je ne pense pas que cela concerne votre ami. Je suis désolé.” répondit-il visiblement contrit.
Mélusine passa de l’espoir à la déprime. Arnaud vint lui mettre une main chaleureuse sur l’épaule.
“Je vais continuer à chercher de mon côté et je vous avertirai dès que j’ai une piste.” assura-t-il. “On finira par le trouver ! Une gargouille comme lui ne passe pas longtemps inaperçu !”
Après quelques instants de silence, Mélusine se tourna vers Absinthe en désespoire de cause et soupira un grand coup.
“Que fait-on maintenant ?” demanda-t-elle.
“Rentrons au manoir. Dès que nous aurons une piste, nous partirons à sa recherche. Et s’il se passe quoi que ce soit en journée pendant que l’on sommeille, Père et Arnaud s’occuperont de tout.”
Blasée et n’ayant pas d’autres options, en toute honneteté, elle hocha de la tête.
“Très bien. Rentrons à la maison. Je vais retenter un sort de localisation. Peut être qu’il sera plus efficace que l’autre…” annonça-t-elle.
“Merci Arnaud.”, murmura l’apprentie sorcière en passant près du journaliste. Elle se dirigea vers la terrasse et s’envola.
Absinthe la suivait à quelques secondes d’écart.
Quelque part sur le boulevard périphérique
Grimm se cramponnait à la structure du toit du camion, essayant de se stabiliser avec ses ailes endommagées et sa queue. Le convoi roulait à vive allure, mais juste assez pour ne pas être inquiétés par la police par un simple excès de vitesse. La circulation était fluide et la procession n’eut pas besoin d’une heure entière pour gagner leur destination. Grimm ne connaissait pas cet endroit, n’y avait jamais mis les pattes. Il s’agissait un regroupement assez impressionnant de buildings de verre et d’acier grands comme des falaises dont certains étaient encore cernés de grues de construction. Le quartier était en pleine expansion et les gratte-ciel y poussaient comme des champignons. Les routes s’y croisaient et se recroisaient dans un entrelacement de béton compliqué. Les camions se dirigèrent vers un building en particulier, l’une des plus grandes tours, un peu plus petite que la Tour Montparnasse mais dont l’architecture audacieuse lui valait le surnom de “la Tour de verre” par les employés des bureaux du quartier d’affaires de la capitale. Du haut de ses quarante-deux étages, elle régnait sur la Défense sans partage. Un logo blanc géant se détachait sur les fenêtres sombres : un croissant de lune et un point encerclés. Diable ! Où avait-il vu ce logo ?
Les camions s’engouffrèrent dans les sous-sols de la tour Destine et s’y garèrent les uns derrière les autres. A leur droite, une plate-forme en métal trônait sur le parking et abritait les locaux de la sécurité et les voies d’accès vers l’intérieur du building et les étages supérieurs.
L’homme à la cigarette sauta au bas de son véhicule et aboya ses ordres.
“Allez déchargez-moi ça ! Hop hop hop on se bouge !” hurla-t-il comme s’il ne connaissait que ce moyen de communication.
Les hauts parleurs se mirent à grésiller et laissèrent entendre une voix de femme, au tons graves et froids.
“Emmenez-les dans les “appartements” du 10e sous-sol, Anthony.”
“Bien M’dame !” répondit à voix haute l’homme à la cigarette.
Grimm profita que son camion s’arrête pour sauter sur le mur le plus proche et se mettre à l’abri dans l’ombre des poutrelles métalliques. Où en plus il pouvait avoir une vue d’ensemble sur ce qu’il se passait.
Les hommes de mains encasqués ouvrirent les portes des véhicules et firent descendre “la marchandise” : des dizaines d’individus encapuchonnés dont l’un était, il en était sûr, la petite Morphine du manoir. S’il réussissait à la délivrer, peut être pourrait-il mieux s’intégrer dans ce clan, ne plus passer pour la brute ignoble qu’il avait été dans son passé - et qu’il essayait de ne plus être.
Quelque chose lui paraissait vraiment bizarre à propos de ces prisonniers. Une impression générale qu’il ne s’expliquait pas pour le moment. Déjà, le fait qu’ils soient tous cachés à la vue de tout le monde mettait la puce à l’oreille, il fallait bien l’avouer.
Le haut parleur se remit à grésiller.
“Vous avez un visiteur, incapable. Occupez-vous en !” s’écria la voix féminine avec une once de mépris.
Les sirènes se mirent à hurler tandis que les lumières éclairèrent le hangar d’une teinte rouge aveuglante. Les hommes de main mirent automatiquement la main sur leur holster. Certains accélérèrent le pas pour mettre la “marchandise” à l’abri et d’autres déguainèrent leur lampe de torche, balayant tout d’abord les alentours des camions pour trouver l’intrus. Grimm se dit qu’il n’était peut être pas bon de rester là. Il avait oublié les caméras de surveillance, idiot qu’il était. Décidément il n’était pas très doué tout seul.
“Là haut ! regardez !” cria une voix au sol.
Plusieurs faisceaux de lumière se fixèrent sur la gargouille.
“Mon dieu mais qu’est ce que c’est que ce truc ?!”
Grimm surgit de sa cachette, et tenta de se mettre hors de portée en suivant le mur et le plafond. Dès qu’il bougea et défia les lois de la gravité les sbires prirent peur et les balles sifflèrent près de ses oreilles.
“Scheise” s’écria-t-il.
Heureusement était-il rapide et agile !
Il réussit à se mettre à l’abri derrière une poutrelle qui faisait bouclier et renvoyait les balles que pouvaient envoyer les hommes en noirs.
Une nouvelle salve le fit sortir précipitamment de sa cachette mais la gargouille rouge se prit les pattes dans ses ailes et s’écrasa à terre.
Très vite, il fut entouré de soldats armes au poing qui le mettaient en joug. Grimm se mit à grogner, montrant les crocs, les yeux s’illuminant de blanc.
Le dénommé Anthony se rapprocha et sortit de sous son long manteau un pistolet auquel il rajouta un silencieux.
“Je m’en occupe, M’dame !” s’écria-t-il, un rictus au bord des lèvres. “Ça me rappelle mon dernier safari en Tanzanie. Le lion n’a pas fait long feu mon pote !” ajouta-t-il avec le bagout de celui qui est habitué aux armes et à tuer. Ou bien qui avait trop regardé les vieux films de Belmondo ou de Sylvester Stallone.
“Non, idiot !” crépita le haut parleur. “Immobilisez-le et amenez-le moi.”
Anthony eut un mouvement de recul, visiblement déçu de ne pas avoir appuyé sur la gâchette. Mais la boss était celle qui le payait.
“Bien M’dame.” bougonna-t-il. “Dimitri, attache-le.”
Une énorme armoire à glace se rapprocha et lui mit les bras dans le dos avant de les ligoter serré. Grimm tenta bien de se débattre et d’attaquer son adversaire, faisant fi des armes qui le visaient toujours mais un coup de poing bien placé le mit au tapis.
“Bon, il ne va pas nous emmerder longtemps le branquignole !?”, s’exclama Anthony qui se massa et secoua sa main endolorie.
Grimm perdit connaissance.
Tour Destine, 42e étage - entre trois heures et quatre heures du matin
Grimm se réveilla avec une douleur lancinante dans la mâchoire et une vue trouble. Il gémit en essayant de se remettre d’aplomb et remarqua qu’il n’était plus entravé. Un rapide coup d’oeil aux alentours malgré une vision brouillée lui permit de s’apercevoir qu’il n’était pas dans une entreprise mais dans un appartement . Cossu même pouvait-on dire ! Il s’était éveillé sur un tapis bigarré et doux, sans doute originaire de Turquie. A côté de lui siégeaient un immense canapé de cuir en arc de cercle et une table toute en métal et en verre. ici et là trônaient des oeuvres d’art : une statue d’apparence grecque dont les bras avaient disparu, un masque africain, des tableaux aux murs. Il ne s’était pas attendu à un tel spectacle tout en haut d’une tour d’affaires !
“Ah, tu es réveillé !” survint une voix à l’arrière.
Grimm se retourna précipitamment et manqua de peu d’exploser la table basse avec sa queue.
Derrière lui se dressait une gargouille femelle en pleine force de l’âge. La peau d’un bleu soutenu, des cheveux de feu en bataille derrière un diadème doré, une force et une prestance indéniable, uniquement vêtue d’un pagne et d’une brassière qui faisait anachronique dans une pièce comme celle-ci.
“Tu as faim ?” demanda-t-elle en présentant une assiette pleine de victuailles.
Il reconnut la voix qui parlait à travers les hauts parleurs.
“Que me voulez-vous ?” souffla-t-il avec un accent teuton qu’il n’arrivait pas encore à effacer.
“Humm Berlinois ?” constata-t-elle.
Voyant que Grimm ne répondait pas, la gargouille bleue s’approcha et déposa l’assiette sur la table basse et s’installa sur le canapé. Elle attrapa un raisin entre ses doigts et observa son interlocuteur tandis qu’elle croqua le fruit. Elle tapota la place sur le canapé à côté d’elle et avança l’assiette sur la table.
“N’as-tu pas faim ? Tu sembles épuisé.”
Grimm la dévisagea encore quelques instants, se demandant ce qu’une gargouille faisait au dernier étage de cette tour et ce qu’elle lui voulait. Mais la faim était tenace. Il resta debout mais tendit la main vers la nourriture.
“Quel est ton nom, mon frère ?” demanda-t-elle.
Grimm leva les yeux et finit par répondre entre deux bouchées.
“Grimm ? Moi on m’appelle Démona. D’où viens-tu Grimm ? Je n’ai pas l’habitude de voir des gargouilles dans le ciel de Paris, mis à part celles de Notre Dame mais celles-ci ne respirent pas !”
Quelque chose en lui lui dit qu’il ne fallait pas lui répondre et parler des autres pensionnaires des Muscari, ni de Montigny.
“Je vis ici et là.” mentit-il. “Je suis venu de Düsseldorf depuis quelques mois. Je vis dans la rue depuis.”
Son interlocutrice ne put réprimer un sourire, qui disparut rapidement lorsqu’elle remarqua l’état des ailes.
“Qui t’as fait ça ?” s’insurgea-t-elle d’une colère froide en touchant un bout d’aile alors que Grimm se penchait pour attraper une cuisse de poulet juteuse. Il eut un mouvement de recul, n’appréciant pas que quelqu’un essaye de toucher ses ailes blessées.
“C’est….c’est vieux ça. Ja !” bougonna-t-il.
“Ce sont les humains qui t’ont fait subir ça.” déclara-t-elle, la colère à fleur de peau. Ça ne ressemblait pas à une question, mais plutôt à une affirmation.
Grimm ne répondit pas mais hocha doucement de la tête.
Elle se mit à grogner de rage, ses yeux commençant à luire d’une lueur rougeâtre.
“Toujours les humains.” articula-t-elle en tapant du poing sur la table.
Grimm l’observa sans lui répondre. Il ne savait toujours pas que penser de cette… Demona. C’était une gargouille, et par nature, il avait tendance à faire plus confiance à son espèce que celle des humains. Mis à part Montigny. Il n’avait eu à faire qu’à de piètres exemples de l’espèce humaine jusqu’à maintenant. Mais de l’autre côté, cette gargouille se trouvait dans un penthouse au sommet d’une tour et d’une entreprise qui trempait dans des affaires douteuses.
“C’est à vous cette piaule ?” demanda-t-il.
Demona reprit ses esprits, ses yeux reprirent un aspect normal et elle se força à se détendre, se reposant sur l’assise du canapé. Un sourire énigmatique vint souligner sa bouche.
“Oui... et non c’est un peu compliqué.” répondit-elle.
Grimm ne relança pas. Ce n’était pas un grand parleur et ne voulait pas forcément lancer une discussion avec quelqu’un qui visiblement ne voulait pas répondre.
“Puisque nous en sommes aux questions, Grimm”, enchaîna la gargouille bleue “Pourrais-tu m’expliquer ce que tu faisais caché dans mon hangar ?”
Instinctivement ,il sentit le danger derrière cette question. Il décida de mentir et répondit dans un français teinté d’allemand :
“Je me suis perdu dans la nuit alors que j’étais poursuivi par des SDF. Comme je vous disais je suis arrivé à Paris il y a quelques mois. Je suis parti d’Allemagne pour échapper… à ceux qui m’ont fait ça.” expliqua-t-il en indiquant ses ailes “Je me suis réfugié dans un des wagons à la gare de Lyon. Sauf qu’ils m’ont retrouvé et je me suis caché dans un des camions pour les semer. Et le camion a démarré, et je me suis retrouvé dans votre hangar. Quand j’ai vu tous vos hommes, j’ai pris peur et je me suis caché. C’est tout.”
Demona le regarda dans les yeux, comme si elle essayait de deviner s’il disait la vérité ou non. Grimm ne savait pas si elle était au courant de l’existence du reste de son clan d’adoption mais quelque chose lui suggérait que c’était très bien ainsi.
“Très bien… Grimm. Tu dois être épuisé après une telle nuit et tu peux rester ici si tu le souhaites. Tu n’as pas besoin de retourner dans la rue. Il est hors de question que je laisse l’un des nôtres se faire persécuter par des humains sous ma garde. Et en plus le jour va bientôt arriver. Tu peux t’installer sur ma terrasse. Ma douche est là également si tu en as envie.” déclara-t-elle avec chaleur.
“Merci, madame.”
“Appelle-moi Demona.”
“Merci… Demona. Ce serait avec plaisir si je pouvais emprunter votre douche, en effet.”
“Viens, je t’y conduis.”
Les gargouilles n’avaient pas besoin de douche, techniquement, puisque l’action du sommeil de pierre suffisait à les débarrasser des poussières et des saletés emmagasinées toutes les nuits. Mais le confort moderne avait son charme et Demona n’était pas contre les bienfaits de cette époque. Surtout lorsque sa richesse personnelle lui permettait de s’offrir une salle de bain à sa taille.
De son côté, Grimm appréciait également les plaisirs d’un bain ou d’une douche après en avoir été privé pendant tant d’années. Et puis on était loin du lavage au karcher de cette triste période...
Tour Destine, 42e étage - Neuf heures du matin
Le soleil s’était levé sur une journée à la météo mitigée. Les nuages encombraient le ciel de Paris et de petites averses tombaient aléatoirement. Le genre de pluie discontinue où l’on se demande si l’on sort avec son parapluie ou non.
La vie avait repris dans le quartier de la Défense et les petites fourmis travailleuses avaient rempli l’espace, tandis que les RER, les métro et les bus vomissaient à intervalles réguliers leurs flots ininterrompus de navetteurs.
Grimm avait pris place sur la terrasse du quarante-deuxième étage de la Tour Destine au moment où le soleil avait pointé son nez sur l’horizon. Une pose simple, sans superflu et sans chichi, simplement appuyé sur un genou, regardant au loin.
Une pose que n’aurait pas renié une ancienne connaissance, s’était dit Demona qui, avec l’apparition du jour, était devenue Dominique Destine, perdant ses attributs de Gargoyles avec l’aube. La patronne de Destiny Developments profitait d’une tasse de café, vêtue d’une longue robe de chambre, profitant de la tranquillité de sa terrasse, loin des brouhahas du sol, avant de vaquer à ses occupations de PDG extrêmement nombreuses. Réunions, vidéo-conférence avec les États-Unis, plannings et encore réunions. Ce que ces humains étaient fans de réunions !
Une musique classique retentit, indiquant un visiteur à la porte. Dominique Destine se dirigea vers l’entrée, à l’autre bout de l’appartement, toujours dans son déshabillé de soie. Elle poussa les verrous et ouvrit pour faire face à Anthony Mercier, le chef des Destiny Special Ops, l’homme à la cigarette qui eut un sourire entendu en voyant l’apparence de sa patronne.
La Demona qui sommeillait en elle se dit qu’elle lui retirerait bien son sourire de son visage dès qu’elle en aurait l’occasion. Mais pour le moment elle avait besoin d’un homme à poigne pour gérer ses hommes de main.
“Vous m’avez fait demander, Madame Destine ?” demanda-t-il avec un rictus au coin de la bouche qui en voulait dire long.
Dominique Destine le regarda avec tout le mépris qu’elle pouvait montrer.
“Pas pour ce que vous espérez, Anthony. Entrez, mais ne touchez à rien.” rétorqua-t-elle.
Elle recula pour le laisser rentrer mais ne prit pas la peine d’ouvrir plus la porte lui indiquant clairement son mécontentement. Il allait falloir qu’il se souvienne qui était le boss et qu’il laisse son sexisme de beauf au vestiaire.
“Je vous ai appelé pour vous signifier que je suis extrêmement déçu de vos services. Vous avez failli faire capoter le dernier arrivage en laissant un intrus pénétrer dans les locaux et en ne maîtrisant pas vos troupes qui ont commencé à tirer partout au risque de blesser ma marchandise. Et cela c’est inacceptable.” déclara-t-elle en le regardant droit dans les yeux.
L’homme, pris au dépourvu essaya de bredouiller une quelconque excuse que la jeune femme ne prit même pas la peine d’écouter.
“Je me fiche de connaître vos raisons” continua-t-elle. “Ce que je veux et ce pour quoi je vous paye c’est un travail bien fait. Et pour le moment il ne l’est pas.”
“Oui.”
“Oui quoi ?”
“Oui M’dame.”
“Ah, mieux !” conclut-elle. “Bien. Nous aurons un nouvel arrivage dans trois jours. D’ici là, tâchez de mieux le préparer cette fois-ci. S’il y a la moindre fausse note, vous pourrez dire adieu à ce poste et à vos honoraires. Me suis-je bien fait comprendre !”
“Oui Madame. J’y vais de ce pas.” souffla-t-il.
“Bien. C’est ce que j’espérai entendre. Vous pouvez...” Elle ne finit pas sa phrase mais indiqua la sortie de la main, avant de se tourner pour signifier la fin de la conversation et pour finir son café.
Elle entendit la porte se claquer. Il n’allait pas falloir que cet énergumène commence à prendre ses aises. De toute façon, avec elle, ça ne risquait pas. De toute façon, à la moindre incartade, il aurait affaire à Thailog qui s’occuperait à sa façon de la situation.
Dominique Destine retourna vers la terrasse pour profiter des dernières gouttes de son café. Son regard fut attiré une nouvelle fois par la silhouette massive de Grimm.
Que faisait cette gargouille ici ? Etait-il lié à ce clan qui la gênait pendant certaines de ses opérations secrètes comme des cailloux dans sa chaussure ?
Pour l’instant elle ne pouvait l’affirmer. Mais Il n’y avait pas trente six gargouilles en vie dans la vieille capitale et elle comptait bien le garder à l’oeil. En parlant d’oeil, le sien se posa ensuite sur les ailes lacérées de la créature et quelque chose en elle se pinça. Un reste, une bribe d’empathie l’envahit et se retira aussitôt comme une vague timide. Ces humains étaient vraiment des plaies pour ceux de sa race. Encore une preuve s’il en fallait encore.
Prise d’une idée soudaine, elle se dirigea vers son bureau et appuya sur un bouton du téléphone.
“ Oui madame Destine ?” s’écria une petite voix fluette.
“Appelez-moi les bureaux de Cyberbiotics à Londres, s’il vous plait Louise.” ordonna Dominique Destine à sa secrétaire.
“Bien madame !”, répondit la dénommée Louise.
Manoir Montigny - Vincennes - 22 heures
A Vincennes, le manoir se réveilla après une seconde journée d’angoisse. Grimm n’était toujours pas rentré et l’on n’avait toujours pas de trace de lui. Mélusine était au fond du gouffre. A son réveil, elle avait encore retenté un sortilège de localisation qui avait donné peu ou prou le même résultat que les fois précédentes.
Absinthe et Delacroix ne savaient plus quoi faire pour remonter le moral de leur soeur de clan. Même Richelieu sentant que quelque chose ne tournait pas rond vint en roucoulant frotter une tête réconfortante contre les jambes de l’apprentie sorcière. Morphine quant à elle restait aveugle et sourde à la détresse ambiante et jouait à sa game boy dans le salon.
Vingt-deux heures sonnèrent à la pendule du salon lorsque la sonnette du portail retentit. Un système innovateur de vidéophone leur permit de voir qu’Arnaud Lanvin attendait à l’entrée. Le portail électrique se mit en branle, laissant entrer le journaliste dans la propriété.
Après quelques minutes, le temps qu’Arnaud rejoigne le perron, Absinthe alla ouvrir à l’ami reporter.
Voyant l’humain à l’entrée, Mélusine ne put s’empêcher d’espérer une nouvelle fois. En effet Arnaud Lanvin ne venait que très rarement au Manoir des Muscari. Leurs rencontres se faisaient essentiellement à son appartement rue des Plâtres, par téléphone ou lors des opérations contre Destiny Developments. Le fait qu’il ait pris le temps de se déplacer jusqu’ici voulait bien signifier quelque chose. Elle se leva et rejoint Absinthe et le journaliste dans l’entrée.
“Bonsoir Arnaud.”, lui dit-elle. “On ne vous attendait pas ici. Des nouvelles ?”
“Bonsoir ! J’ai peut être quelque chose mais cela risque d’être compliqué. C’est pour cela que je suis venu jusqu’ici.”
“Comment ça ?” demanda Absinthe.
“Comme je vous l’avais dit, j’avais encore à parler avec quelques uns de mes contacts pour savoir s’ils avaient eu vent de rumeurs ou de témoins de trucs étranges. Et j’ai peut être une piste. Reste à voir si elles sont reliées.
Il semblerait qu’un SDF qui a ses quartiers près de la gare de Lyon a été interné hier à l'hôpital Sainte-Anne pour des signes de schizophrénie. Il prétend avoir vu un démon se nourrir dans les poubelles de la gare, il y a deux nuits de ça. Mon contact est allé le voir pour lui poser quelques questions. L’homme reste vague quant aux détails. mais il reste campé sur sa position et est persuadé de ce qu’il a vu.”
“Ҫa pourrait être Grimm.” s’exclama Mélusine
Absinthe attrapa la carte de Paris et l’étendit sur la table.
“Regarde. La Gare de Lyon est ici, et les Caves saint Sabin sont ici. C’est plausible. Il aura du marcher beaucoup vu qu’il ne peut pas planer mais ce n’est pas impossible.” démontra-t-elle.
Arnaud continua.
“Ce n’est pas tout. D’un autre côté, j’ai d’autres nouvelles pas très rassurantes. Selon mon contact, il y a des raisons de croire que Nightstone Unlimited, et sa filiale en France, Destiny Developments serait liée dans des affaires communes avec les laboratoires Cyberbiotics de Londres et de New York. Vous vous souvenez peut être du grand barda qui a eu lieu à New York il y a quelques années ? Et bien Cyberbiotics y avait trempé. Apparemment cette entreprise fait de la recherche fondamentale en biologie et génétique. ça n’augure rien de bon si elle est de mêche avec Dominique Destine ! Et malheureusement, nous avons des traces d’envois de marchandises réguliers depuis Cyberbiotics pour Destiny Developments, même s’ils ne précisent pas quel genre de marchandises. Nous avons pu mettre la main sur des bordereaux d’envois incontestables. Après, est-ce lié aux convois dans lesquels on a découvert Morphine, je ne sais pas. Mais c’est une possibilité.”
Delacroix se rapprocha du groupe et se frotta le menton.
“Est-ce que l’on sait combien de convois ont été organisés entre Cyberbiotics et Destiny Developments ?”
“Pas vraiment.” répondit Arnaud. “Pour le moment on a trois bordereaux de livraison mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas eu plus.”
“Et on ne sait toujours pas quand le prochain aura lieu.” rétorqua Delacroix.
“Non, mais mon contact est toujours sur le coup. Dès qu’elle saura quelque chose, je serai au courant.” affirma la journaliste.
“Bon et bien en attendant d’en savoir plus sur ce que mijote notre chère Destine, nous avons un autre lieu à passer au peigne fin pour retrouver Grimm !” s’écria Absinthe.
“Oui !” approuva Mélusine. “La Gare de Lyon !” dit-elle en pointant du doigt la gare sur le plan d’Absinthe..
Tour Destine, 42e étage - vingt trois heures
Grimm se réveilla après les dernières lueurs de ce soleil de juin. Reposé et nettoyé des miasmes de la nuit dernière, il se sentait en pleine forme.
Il réalisa qu’il était seul dans l’appartement mais un plateau repas encore fumant avait été déposé sur la table de la terrasse. Grimm ne se laissa pas prier et mordit dans un morceau de poulet laissé à sa disposition.
Qu’allait-il faire désormais ? Ce lieu était chaleureux en apparence mais avait tous les éléments d’une prison. Et il s’y connaissait en prison… Etait-il condamné à rester ici, sous les bonnes grâces de cette gargouille dénommée Demona ? Que pouvait-il apprendre de cette femme ? Et puis il avait toujours ce mystère à élucider et qui l’avait mené ici. Il avait bien vu Morphine dans ce camion. Il allait falloir qu’il aille la délivrer. Peut être, elle, connaîtrait le chemin du retour vers le Manoir Montigny.
Après s’être rassasié, il en profita pour aller explorer le reste de la tour. Mais il fut vite arrêté par la porte verrouillée.
Quand on parle d’une prison…
Mais quelques instants de recherche et d’exploration dans l’appartement lui permirent de trouver entre deux livres un passe magnétique qu’il testa à tout hasard et qui permit de déverrouiller les loquets. Ainsi il put sortir de l’appartement et suivit le couloir.
La gargouille ne mit pas longtemps à faire son petit tour avant de se faire rattraper par la sécurité. Il avait sans doute oublié toutes les caméras qui parsemaient les locaux (pas quarante deuxième étage dans l’appartement de Dominique Destine évidemment, bien que ça n’aurait pas déplu au chef de la sécurité, Anthony Mercier.
Mais dès que celui-ci vit que le monstre était en liberté et en mouvement au quarantième étage, il se dit qu’il était temps qu’il remette à sa place cette foutue créature qui lui avait valu des brimades de la boss.
Il s’arma d’un pistolet anesthésiant (et d’une arme laser, c’était un ancien militaire après tout !) et remonta dans la tour pour barrer la route à cette gargouille.
Il en avait sa claque de ces monstres qui l’avait mis en déroute plus d’une fois pendant les opérations spéciales qu’il avait effectuées pour le compte de Destiny Developments. Il lui semblait ne l’avoir jamais vu avant la nuit précédente dans ce dernier convoi mais il n’était pas impossible qu’il fasse partie de ce clan de gargouilles causeurs de troubles. Lui, il les préférait définitivement en pierre, comme sur Notre Dame !
Montant au trente-neuvième étage de la tour, il comptait tomber sur ce monstre et lui envoyer une bonne dose d’anesthésiant. Il connaissait assez bien les lieux et savait où se mettre pour surprendre son assaillant. Il l’attendait dans un contrefort de la cage d’escalier (là où la gargouille serait plus embêtée pour se servir de ses ailes et de sa queue). Surgissant comme un diable de sa boite, il surprit Grimm qui rabattit en arrière sous la force du coup de pied que l’homme de main lui avait asséné.
“Alors tu te balades, monstre ?” demanda Anthony, narquois.
Grimm se mit à grogner,dévoilant ses crocs et ses yeux luisèrent d’une lueur ardente.
“Toi ! J’ai un coup à te rendre, Arschloch*” gronda Grimm. (*Connard)
“Essaye un peu pour voir !” le défia l’ancien militaire qui n’attendait que ça, que son taux de testostérone explose.
Le soldat voulut jouer un peu avec sa proie avant de lui régler son compte. A l’ancienne ! Avec ses poings et sa connaissance du combat rapproché. Cette gargouille était un met de choix pour le placer dans sa longue liste d’adversaires ! Il se mit en position de boxeur, les poings rassemblés devant son visage, prêt à allonger le bras dans un uppercut violent.
Mais Grimm était une force de la nature. Et le fait qu’il ne puisse pas voler ou planer faisait qu’il se battait et les utilisait différemment. Les lambeaux d’ailes qu’il lui restait lui servirent à déstabiliser son adversaire. La lutte s’engagea et le militaire se lança le premier, assenant ses coups comme un professionnel. Grimm encaissa puis répliqua avec toute la force qu’il pouvait donner à ses poings. La castagne, il avait connu ça presque toute sa vie et ces derniers mois à suer sur les sacs de sable du manoir l’avait aidé à se maintenir en forme. Il était presque content d’avoir un cobaye volontaire pour pouvoir extérioriser sa colère et sa hargne.
La gargouille utilisa tout ce qui était à sa portée pour faire reculer le soldat. Il voulut le déséquilibrer en s’aidant de sa queue mais l’humain s’y attendait et évita le coup. Il enchaîna les coup de poings rapprochés, cherchant à désarçonner son adversaire et le faire trébucher dans l’escalier. Mais pareil. L’homme était un combattant chevronné et habitué aux rixes à mains nues. Grimm décida d’employer les grands moyens, détacha alors l’extincteur accroché au mur et le lui balança à la figure.
Anthony Mercier ne s’était pas attendu à la facilité avec laquelle la gargouille avait arraché l’énorme bouteille rouge du mur, laissant pendre lamentablement attaches et bouts de ferrailles et recula trop tard pour éviter le coup.
L’extincteur le cueillit à l’épaule et cassa sans doute un os du bras car l’homme gémit de douleur en reculant et mettant un pied dans l’escalier.
Grimm sut que c’était gagné, balança l’extincteur à terre et bondit toutes griffes dehors sur le soldat qui bascula en arrière sous le poids de la bête et se retrouva un palier plus bas, les ongles de Grimm enfoncés dans le bras et les cuisses, et ses crocs à quelques centimètres de sa jugulaire.
“Alors, Arschloch, tu disais ?”
“Tu le regretteras sale pourriture !” répliqua le mercenaire entre ses dents.
“On verra ça…” rétorqua Grimm avant de l’assommer avec un coup de poing énorme.
“T’es pas le seul à savoir cogner, Stück Scheiße !” conclut-il en se relevant.
Il descendit les escaliers pour atteindre le trente huitième étage, laissant le mercenaire inconscient dans la cage d’escaliers.
Grimm descendit ainsi plusieurs étages mais déchanta assez rapidement. Les paliers se succédaient et se ressemblaient. Techniquement, il n’aurait pas pu accéder à tous les locaux - déjà parce que c’était la nuit et que tout avait été fermé à clé mais c’était sans compter le pass magnétique qu’il avait en main et miraculeusement trouvé chez la patronne.
A y réfléchir, il n’avait pas cherché bien longtemps pour trouver le pass mais ce genre de considérations n’était pas vraiment dans ses priorités.
Finalement, à se retrouver bredouille d’étage en étage, il décida de remonter à penthouse. Elle finirait bien par y revenir elle aussi.
Et il fut plutôt bien avisé car lorsqu’il réintégra l’appartement, il y trouva la gargouille bleue en train de se servir un verre de vin.
“Tu es de retour ?” dit-elle sans se retourner.
“Oui” répondit-il simplement.
“Tu es sorti comment ?” demanda-t-elle avant de lui tendre un verre à moitié rempli d’une liqueur sombre.
“Votre homme de main est venu tout à l’heure et a laissé la porte ouverte.” répondit Grimm du tac au tac.
“Hu ?” s’étonna-t-elle en avalant une lampée. Elle eut une moue appréciative.
“Vous allez me garder ici encore longtemps ?” lança-t-il. il en avait assez de tourner autour du pot.
“Hmm, direct ! J’apprécie ça chez un frère” rétorqua Demona. “Tu n’es pas prisonnier ici tu sais ?”
“Vous aviez pourtant verrouillé la porte tout à l’heure. Et comme vous pouvez le constater, je ne peux pas m’échapper par la terrasse…” s’écria-t-il en croisant les bras sur son torse. Il en avait assez de se passer pour une bourrique.
“En effet. A ce propos. J’ai peut être une proposition pour toi. Viens avec moi.” s’exclama-t-elle en se dirigeant vers la porte d’entrée, son énorme verre de vin toujours à la main. Grimm conserva aussi le sien et suivit Demona.
“Quelle proposition ?” interrogea-t-il tandis qu’ils se dirigeaient vers l’ascenceur.
“J’ai peut être une place pour toi dans ma compagnie. Tu m’as l’air d’être quelqu’un de sensé et extrêmement capable et j’aurai besoin d’homme… pardon d’une gargouille comme toi à mes côtés.” déclara-t-elle en sirotant son vin devant l'ascenseur.
“Hum hum... continuez !”
Les portes de l'élévateur s'ouvrirent à ce moment là, révélant marbres et gĺaces. Une petite musique joyeuse s'éleva dans les airs. les deux gargouilles entrèrent. Et Demona appuya sur le bouton du dixième sous sol.
“Comme tu dois le savoir”, dit elle “nous ne sommes plus très nombreux alors que des siècles auparavant, nous régnions sur le monde ! Les humains étaient nos subordonnés et notre espèce ne craignait pas l'extinction. Nous étions les maîtres de ce monde !” S'enflammait-elle
Grimm l'observait. Où voulait-elle en venir ?
“J'ai un plan pour faire revenir notre race sur le devant de la scène. Et je vais te le montrer.”
“Je ne vous suis pas... comment pourrait-on multiplier notre race ? Mis à part regrouper toutes les gargouilles du monde et commencer à leur faire faire des bébés…” souffla-t-il.
“Mon projet est plus ambitieux que ça. Mais je pense qu'une image vaut mieux qu'un long discours.”
Grimm eut un mauvais pressentiment. Ce plan ne lui disait rien qui vaille. Il ne voyait pas où elle voulait en venir ni quel pouvait être ce plan miraculeux.
Après quelques secondes, l'ascenseur atteignit sa destination et ses portes s' ouvrirent avec un bip bienheureux.
Les deux gargouilles sortirent et Demona prit la tête. Le couloir était plus que sobre, presque sinistre. Ça et là trônait un pot de fleurs à intervalle régulier. Des portes coupe-feu découpaient l'espace du corridor avec une impression qu'il était sans fin.
“Nous sommes en collaboration avec un laboratoire en Angleterre expert dans ĺe domaine de la génétique qui pourrait avoir trouvé le moyen de sauver notre espèce entière.” expliqua-t-elle. “Les progrès dans ce domaine sont incroyables. Et Cyberbiotics est le leader mondial en la matière. II dispose du meilleur scientifique connu à ce jour. Le docteur Sevarius a déjà à son actif de nombreuses avancées et réalisations !”
“Ne me dites pas que vous voulez faire des clones !” Railla la grande gargouille rouge.
L'air grave et sérieux de son interlocutrice lui indiqua qu'elle ne plaisantait pas.
Elle s'arrêta à la hauteur d'un miroir long de plusieurs mètres et considéra Grimm. Elle tourna alors le bouton qui se trouvait à proximité de la vitre et le tourna. Le miroir changea d'apparence et devint transparent comme une vitre.
“Un miroir sans tain”, pensa la gargouille.
Une pièce meublée apparut alors, remplie par une dizaine de copies conformes de Morphine. Grimm s' avança pour mieux observer ce qu'il y avait devant ses yeux. Il ne croyait pas ce qu’il était en train de voir. Une dizaine de petites gargouilles adolescentes s'animaient sous ses yeux et sous les caméras. Certaines étaient en train de jouer à des jeux de société comme Puissance 4 ou Qui est-ce ? Une autre était en train de boire un verre de lait tandis qu'une autre secouait la tête au rythme de la musique que diffusait le walkman à sa ceinture.
“Qu'avez vous fait ?” murmura-t-il.
“Des clones si vous voulez les appeler ainsi. Moi je préfère les considérer comme ce qu’ils sont : l'avenir de notre espèce. De nouvelles gargouilles au patrimoine génétique amélioré et renforcé. Des gargouilles 2.0. Ils sont le futur ! Notre futur. Et un espoir même pour toi si tu souhaites revoler un jour.”
“Que voulez vous dire ?” demanda-t-il en se tournant vers la gargouille bleue.
“Dans l’état actuel de nos recherches scientifiques, nous sommes tout à fait capables de vous rendre vos ailes, Grimm. C’est moins compliqué que de créer ces clones qui sont devant vous. Il nous est possible de prélever un peu de votre ADN et de créer un embryon identique à vous qui, lui aura ses ailes intactes. Il sera alors possible de greffer de la peau neuve de ce clone sur vos ailes. Aucune chance de rejet puisqu’il s’agit de votre patrimoine génétique.Réfléchissez y. Je peux passer un coup de fil et demander au docteur Sevarius de réparer vos ailes. Qu'en dites vous ?”
Grimm était stupéfait devant toutes ces révélations. Cette salle remplie de Morphines, cet espoir de le faire revoler un jour... Il se demanda un moment s'il n'était pas en train d'imaginer tout cela. Est ce que Morphine, cette adolescente qu'il avait connu au manoir était le modèle original ? Le patient zéro ? Ou bien était elle un clone parmi tant d'autres ?
Les possibilités étaient effrayantes.
“Ce que vous faites ce n'est pas correct. C'est contre nature. Ces créatures n'ont rien demandé.” répondit-il.
“C'est l'avenir !” rétorqua-t-elle. “Ne comprends-tu pas ? L'avenir de notre espèce est ici, sous tes yeux, dans ces salles.”
“Vous en avez d'autres ?” Demanda Grimm effaré
“Peut être” répondit-elle malicieusement. “Je peux te montrer le reste si tu décides de nous rejoindre. Tu n’as encore rien vu. Pense à tes ailes ! Ne voudrais-tu pas ressentir à nouveau le vent sur ta peau pendant que tu descends en piqué ? Aucune gargouille ne devrait être interdite de ce droit inaliénable.”
“Je n'ai pas encore décidé.” souffla Grimm.
“Je ne sais pas ce qu'il te faut !” Retorqua Demona. “Mais bon. Prends ton temps pour réfléchir”.
“Ce n'est pas comme si j'avais le choix”, grommela t il dans sa barbe. “Je suis coincé ici.”
“Quoi ?”
“Je vais réfléchir.” promit Grimm.
“N'attends pas trop longtemps car mon offre ne sera peut être plus valable.” précisa Demona.
“Je voudrais remonteŕ si ça ne vous dérange pas. Je me sens... à l'étroit ici.”
“Bien. Je peux comprendre. Ça peut être un peu beaucoup à gérer pour une première fois. Retournons dans mon appartement.” concéda-t-elle.
Sur le chemin du retour, Grimm retourna la question dans tous les sens. Cette... production de clones lui hérissait le poil et le mettait hors de lui. Il n'arrêtait pas de repenser à la Morphine que lui connaissait. Savait-elĺe qu'elle n'était qu'un clone . Qu'un exemplaire parmi tant d'autres ? Comment réagirait-elle si elle était au courant ?
D'un autre côté la possibilité pour lui de récupérer des ailes fonctionnelles était tellement inespérée ! Il avait abandonné l’idée depuis tellement longtemps. Peut être que les progrès de la médecine des humains pouvait aussi être bénéfique pour les Gargouilles ! Mais cela valait-il le fait de fermer les yeux sur les clones qu’engendrait cette entreprise ? Et puis en parlant de Destiny Developments. Il savait que c’était contre cette firme que ses compagnons se battaient. Et que la grande boss, le cerveau était une femme nommée Dominique Destine. Une femme fortement demandée et courtisée mais très avare en apparitions et difficile à obtenir pour un rendez vous ou une réunion. Alors que faisait cette gargouille ici ? Quel lien avait-elle avec Dominique Destine ?
Toute cette histoire avec tant de zones d’ombres sentait le moisi. Et il était pile au milieu, sans porte de sortie, sans espoir de s’échapper ou de sortir tout seul par la grande porte. Il savait désormais qu’il était observé par les caméras dès qu’il sortirait du logement au dernier étage. Et rien ne le garantissait qu’il n’était pas épié là bas aussi.
L’ascenseur atteint le quarante deuxième étage et s’ouvrit sur le vestibule qui donnait sur l’entrée de l’appartement. Demona mit ses doigts sur un lecteur d’empreintes digitales. Une diode verte bipa et la porte s’ouvrit.
“Et tous ces clones. Qu’allez vous en faire ?” Demanda Grimm à l’instant où il rentrait dans le grand salon. “Quel est leur niveau d’intelligence et que comptez-vous en faire ? Je suis sûr que ce n’est pas pour la beauté de leur naissance que vous les avez faits venir dans ce monde !”
“Tu poses beaucoup de questions pour quelqu’un qui se dit pas intéressé.” rétorqua Demona. Visiblement elle ne voulait pas répondre à sa question. Grimm était désormais certain que ce n’était pas avec une intention altruiste et totalement désintéressée que ces clones avaient été créés. Il y avait une raison secrète que cette Demona refusait de lui dire.
“Cette… armée de clones que vous avez là. Ce n’est pas … bien.” répondit-il simplement. Il se dirigea vers la terrasse où l’air frais de la nuit contrastait avec l’air chaud et climatisé de l’intérieur de la tour et de l’appartement. Demona le suivit sur le grand balcon.
“Il n’y a plus de bien ou de mal dans notre cas ici.” répliqua-t-elle Demona en haussant le ton. Elle commençait visiblement à perdre son sang froid. “Il y a la survie de notre espèce face à des humains qui ne font que détourner ce qui NOUS revient de droit.”
“Vous voulez faire la guerre à une planète entière ? Bon courage !” rétorqua Grimm.
“J’ai l’impression d’entendre Goliath !” souffla-t-elle
“Je ne sais pas qui est ce “Goliath” mais il a l’air de quelqu’un de sensé.”
“Ce Goliath est un lâche !” s’emporta son interlocutrice dont les yeux commencèrent à luire d’un rouge profond.
Il sentit qu’il avait touché une corde sensible. Cette femme n’était pas si… lisse et altruiste qu’elle voulait bien montrer. La conversation commençait à tourner à vau-l’eau et Demona commençait à montrer son vrai visage. Celui de quelqu’un qui ne supporte pas que le plan n’aille pas dans la direction qu’elle voulait.
“Mais ne parlons pas de lui. Si tu ne le fais pas pour l’avenir de notre espèce, fais le au moins pour toi ! Je t’offre de nouvelles ailes et tu hésites ?” continua-t-elle, jetant sa dernière carte.
“C’est vrai que l’idée d’avoir de nouvelles ailes est plus que tentant mais ce que vous faites ici me parait… mal. Et vous avez l’air bien intéressée pour m’inclure dans votre affaire pour être honnête dans vos intentions. Je sais ce que c’est que d’être la créature de quelqu’un d’autre et il est hors de question que ces gargouilles innocentes subissent la même chose.”
“Tu ne veux donc pas t’associer avec moi dans ce projet.”
“Non, vous m’avez bien compris. Et je ne compte pas vous laisser faire.” répliqua Grimm.
“Et comment comptes-tu t’y prendre pour m’arrêter, l’estropié ?” rugit Demona, perdant définitivement patience.
“Ah voilà ! Le masque est tombé.” dit-il calmement. “Ça aura été rapide pour faire tomber cette façade de fausse gentillesse.”
Demona grogna, ses yeux brillant de plus belle.
“C’est ta dernière réponse, alors.”
“Vous ne m’aurez pas. Ni moi, ni mon ADN.” répondit Grimm.
“Tu sais que tu ne sortiras pas d’ici, j’espère. Il n’y a aucune issue ici. Et visiblement tu ne peux pas prendre la voie des airs !”
“Ҫa, c’est vous qui le dites !” s’écria Grimm avant de se jeter en chute libre par dessus la terrasse, prenant de court Demona qui ne s’était pas attendu à ce qu’il saute par dessus le balcon.
“Le Fou !” jura-t-elle en se penchant au dessus du vide. Elle se jucha sur la bordure et se lança à la poursuite du fuyard.
Grimm descendait avec une vitesse exponentielle. Tomber du quarante deuxième étage alors qu’il lui était impossible de voler était sans doute la pire idée qu’il avait pu avoir dans son existence. Mais c’était la seule porte de sortie qu’il avait pu entrevoir. Les étages passaient devant lui en accélérant et il vit rapidement que Demona était derrière lui.
Il se concentra et se replia pour prendre encore de la vitesse. C’était sa dernière chance d’échapper à son assaillante.
La gargouille bleue se rapprochait dangereusement lorsqu’au dernier moment, Grimm étendit ses ailes dans une dernière tentative désespérée de freiner sa chute.
L’air s’engouffra dans les ailes à une si grande vitesse que les plaies s’ouvrirent un peu plus. Grimm hurla de douleur mais l’action eut le résultat escompté car cela ralentit la chute avant que la gargouille arrive à proximité du sol. Sa stabilité n’était pas des plus sûres mais il réussit tout de même à toucher le sol sans encombre. Il avait cru atteindre le rez de chaussée mais à la place il avait atterri sur le toit du bâtiment le plus proche de la tour Destine. Demona toujours à ses trousses et plus proche que jamais, il se mit à courir. Le bord de l’immeuble se rapprochait de plus en plus et il vit que le sol était plus loin qu’il ne l’avait cru. Mais pas le choix ! Il finit par sauter au dessus de la balustrade encore une fois au moment où la gargouille bleue allait lui mettre la griffe dessus et ne dut son salut qu’au métro qui sortit de son tunnel juste à ce moment-là pour s’engager sur la traversée de la Seine, en direction de Paris. Demona ne put rivaliser avec la vitesse du métro 1 et abandonna sa course en émettant un hurlement de frustration. Les usagers du métro relevèrent la tête et regardèrent par la fenêtre mais ne virent qu’une vague silhouette ailée qui repartait vers les sommets des tours de la Défense. Ils la prirent pour un oiseau à cette distance, retournant à la lecture du Ponctuel ou du dernier Mary Higgins Clark.
Sur le toit de la rame, Grimm reprenait ses esprits. Il avait mal partout, était complètement étourdi, ses ailes le faisaient souffrir atrocement mais il était vivant. Il n’en revenait pas lui même que sa tentative désespérée ait fonctionné.
Il s'aplatit sur la carlingue au moment où le métro rentra dans son tunnel après le pont au dessus de la Seine, essayant de ne pas perdre un bras ou se faire décapiter.
Dès qu’il le put, il sauta du train urbain et se réfugia dans l’un des nombreux renfoncements qu’offraient les tunnels des métros. C’est là qu’il attendit que le métro reparte. Il fut dès lors plongé dans l’obscurité, tout juste éclairé par les maigres loupiottes qui égrenaient les galeries souterraines. Il décida lors de se mettre en route en suivant les rails. Il allait bien voir où cela allait le mener.
Dans sa marche, il manqua de se faire renverser par deux fois par une rame arrivant à toute berzingue. Et puis après plus rien. Sans doute le dernier métro.
Les stations se suivirent et s’enchaînèrent, heureusement vidées de leurs usagers. “Sablons”, “Porte Maillot” “Charles de Gaulle Etoile” etc. Ce fut quand il arriva à “Palais Royal - Musée du Louvre” après plusieurs heures de marche qu’il décida de s’arrêter pour la nuit. Voilà quelque chose qu’il connaissait. Ou plutôt qu’il connaissait à travers Mélusine qui vénérait ce lieu et qui y venait dès qu’elle le pouvait. Pourquoi n’y avait-il pas penser avant ? Il l’avait déjà accompagné quelques fois, grâce à Svenn qui l’avait héliporté jusqu’ici. Retrouver un lieu connu lui mit du baume au coeur. Et il était temps qu’il s’arrête, redoutant l’arrivée du soleil. Il ne voulait pas se retrouver coincé sous terre. Au moins ses ailes guériraient-elles de sa chute libre !
Grimm se débrouilla pour ressortir à l’air libre, arrachant au passage quelques grilles qui fermaient les stations et émergea près de la grande pyramide du Louvre. Il prit une grande inspiration d’air frais, appréciant de fait de ne plus être sous terre. Il avait tendance à être assez claustrophobique. Après quelques instants, la gargouille rouge se dépêcha de disparaître hors de la vue des éventuels passants, grimpant à mains nues sur la façade de l’ancien palais royal. Ici, sur le toit, il se sentirait plus en sûreté ! Plus de Demona à ses trousses, dans un lieu connu, Ce n’était pas grand chose mais dans l’état où il était, il décida de se contenter de ces petits bonheurs
A bout de forces, les muscles endoloris, les ailes qui saignaient encore par endroits et qui l’élançaient, il réussit tant bien que mal à se traîner jusqu’au toit et se cala facilement contre une des nombreuses statues qu’offrait le palais royal.
Là, accablé par tout ce qui s’était passé, quelques heures avant l’aube, il s’évanouit.
Manoir Montigny - Vincennes, 1h du matin.
Troisième nuit sans Grimm.
Mélusine errait dans le manoir, le visage terne, fermé tel un fantôme. Absinthe ne savait plus quoi faire. Ils avaient tout tenté. Arnaud Lanvin avait retrouvé le SDF qui avait aperçu Grimm, du moins il fallait vérifier qu’il s’agissait de lui. Il s’était rendu à l’hôpital Sainte Anne dans le 14e arrondissement et avait pu accéder à l’homme que visiblement, la vie n’avait pas épargné. Echevelé, le regard dans le vague, le vieil homme était sous le coup des médicaments. Il put néanmoins répondre au journaliste, du mieux qu’il pouvait.
Ainsi, Arnaud avait pu avoir une description de la créature que le sans-abris avait vu ou cru voir et dans quelles circonstances.
Une peau rougeâtre, une queue, des ailes en lambeaux, ça correspondait plutôt bien au personnage.
La créature avait été aperçue dans les environs de la gare de Lyon, en train de se servir dans les poubelles d’un supermarché. L’homme avait d’abord cru qu’il s’agissait d’un homme au trench-coat complètement délabré. Et puis l’homme au trench-coat s’était retourné et le sans-abri avait cru voir une queue dépassant de sous ce qu’il croyait être le manteau, qui n’était pas du tout un manteau.
La… chose s’étant sentie épiée avait vite déguerpi avant que le vieil homme puisse comprendre ce que ses yeux avaient vu. De surcroît, ses antécédents mentaux et l’alcool ne faisaient pas bon ménage avec le stress de ce qu’il venait de voir. Il avait alors commencé à divaguer sur ce dont il avait été témoin, mélangeant tout avec des absurdités, des divagations propres à ses traumatismes passés et ses affections mentales.
Ses compagnons d’infortune en avaient eu assez de lui et l’avaient emmené dans un abri de jour qui l’avait redirigé vers Sainte Anne.
Arnaud Lanvin était revenu raconter tout cela au manoir, espérant voir enfin le visage de Mélusine s’éclairer un peu. C’était la piste la plus récente et la plus concrète qu’ils avaient pu avoir jusqu’ici.
“Bien. Nous savons qu’il est encore vivant et qu’il a été vu prêt de la gars de Lyon il y a deux nuits de ça.” résuma Absinthe.
“Alors que fait-on maintenant ?” demanda alors Delacroix. “Nous sommes déjà allés à la gare de Lyon la nuit dernière et nous n’avons rien trouvé. Aucune trace de lui.”
Absinthe se tourna vers Mélusine.
“Mélusine, ton sort de localisation, tu l’as fait plusieurs fois, n’est ce pas ? Quels lieux indiquait-il ? Est-ce qu’il mentionnait plusieurs fois les mêmes endroits ou bien c’était des emplacements différents ?”
L’apprentie sorcière réfléchit. “Et bien en effet il y avait bien la gare de Lyon dans la liste. Et puis aussi… La Défense, le Louvre, les Tuileries, Bastille, et le Champ de mars aussi.”
“Et si chacun de ces lieux était des emplacements où Grimm était passé pendant sa fuite ?” proposa Arnaud. “Il a déjà fait Bastille et la Gare de Lyon donc je pense qu’on peut les rayer de la liste. Il nous reste donc la Défense, le Louvre, les Tuileries et le Champ de Mars. Si on s’y prend bien, à nous tous, on peut couvrir chacun de ces lieux. Qu’en pensez-vous ?”
“C’est pas du tout idiot.” approuva Delacroix. “Je m’occupe de Bastille. Absinthe, tu veux prendre le champ de Mars ? Svenn peut emmener Richelieu pour ratisser la Défense. Et toi Arnaud ? La Défense ça te va ? Il reste les Tuileries et le Louvre.”
“On emmène Morphine ?” suggéra Absinthe. “Elle pourrait nous être utile et en plus elle sera contente de sortir d’ici.
“C’est une idée, oui.” concéda Delacroix.
“J’emmenerai Morphine avec moi au Louvre.” proposa Mélusine. ”Les Tuileries c’est juste à côté. On pourra couvrir le périmètre toutes les deux.”
“Et si on prenait des Talkie Walkie pour pouvoir communiquer ?” souffla la gargouille au museau de dragon dont les yeux s’éclairèrent avec espoir. “On pourra se tenir au courant si on l’a trouvé ou pas, non ?
“Tu en as assez, de talkie walkies pour tout le monde ?” demanda Absinthe avec sarcasme.
“Evidemment ! Pour qui me prends-tu ?” répondit la gargouille bleue.
Dans les environs de trois heures du matin, tout le clan ainsi qu’Arnaud Lanvin se réunirent dans le hall du manoir pour “synchroniser leurs montres” comme le disait Delacroix. Morphine était super excitée à l’idée d’enfin participer à une opération du clan. Elle avait du mal à tenir en place mais la gargouille bleue au perfecto tentait de la remettre à sa place. Il distribua à tout le monde les talkies walkies et briefa tout le monde comme s’il avait fait ça toute sa vie. Absinthe se dit qu’il regardait décidément trop de films d’actions.
“Mettez vous sur le canal 9. Comme ça on pourra communiquer comme il faut. Ils ont un rayon de cinq kilomètres. J’espère que ce sera suffisant !”
Arnaud qui était censé ratisser la Défense avait un doute pour savoir si oui ou non ce gadget allait lui être utile.
“Si ça ne fonctionne pas bien, j’ai aussi ces téléphones portables. C’est du dernier cri.” Il dégaina deux énormes boîtiers aux touches en plastique et à l’antenne flexible. “Je n’en ai que deux par contre. Absinthe prends le, on pourra communiquer facilement avec ça si je suis hors de portée avec les Talkies. Mon numéro est enregistré dans la liste des contacts.”
Delacroix regarda les deux téléphones comme Indiana Jones admirait une relique Inca.
“Oooooh. Je peux voir ?”
“Pas maintenant, Delacroix.” répliqua Absinthe. “On a d’autres choses plus importantes à faire.” Elle se dit qu’Arnaud avait eu raison de lui donner le téléphone à elle plutôt que Delacroix.
“Bon très bien. On y va.” Poursuivit-elle. “N’oubliez pas, il faut revenir ici avant que le soleil se lève. C’est à dire, selon l’éphéméride de Météo France, 5h42. On est d’accord ?”
Tout le monde hocha de la tête. Arnaud remonta dans sa voiture et partit en direction du périphérique afin de se diriger vers le quartier de la Défense.
Les gargouilles et le griffon grimpèrent sur la terrasse pour prendre assez d’élan et profitèrent rapidement d’un courant ascendant et partirent en direction des lumières de Paris, avant de bifurquer chacun vers leur destination.
Palais du Louvre - entre trois heures et demi et quatre heures
Mélusine et Morphine arrivaient en vue du Palais du Louvre en ayant déjà survolé les Tuileries. De nuit, sa vue mettait toujours la jeune gargouille verte en émoi. Ses murs mis en valeur par l’éclairage, les statues figées dans leurs poses gracieuses. Tout respirait l’art, le beau, l’antique, l’immortel, l’intemporel. Et c’était une ambiance et une vue dont Mélusine ne pouvait ni ne voulait se passer. Elle venait ici, même juste pour passer le temps plusieurs fois par mois. Elle était allée jusqu’à montrer ce bâtiment majestueux à Grimm, espérant partager avec lui un moment d’intimité et une partie d’elle-même. Son clan savait qu’elle appréciait ces lieux mais aucun n’avait vraiment pris la mesure de l’importance que le Louvre avait pour elle. C’était un lieu chargé d’histoire, de beauté, d’élégance, de culture. Il lieu où elle se sentait elle même et comme chez elle.
Grâce à ses contacts qu’elle avait eu grâce à Sigrid Beauchamps, l’ancienne petite amie de Père, elle avait réussi à obtenir un droit de visite permanent dans le musée, pour autant qu’elles se fassent en dehors des heures d’ouverture. Ainsi, au gré de ses envies du moment, elle pouvait visiter la galerie égyptiennes, admirer les armures de François Ier, profiter de Mona Lisa pour elle toute seule, se perdre dans les Noces de Caana… Chaque jour était différent, chaque visite lui apportait quelque chose de nouveau.
Mais elle n’était pas venue jusqu’ici pour visiter l’aile Richelieu et les statues de la cour Puget…
Les deux filles avaient plané au dessus des Tuileries sans rien remarquer de particulier. Le Parc était de toute façon fermé aux passants depuis longtemps et de toute façon les sans abris n’osaient plus venir y planter leur tente à cause des rondes de police régulières et les directives de la préfecture qui visaient à ne pas “détériorer” l’image de carte postale de ce lieu mythique pour les touristes. On avait fait comprendre aux SDF qu’il ne valait mieux pas qu’ils passent là nuit ici.
Ainsi Mélusine et Morphine purent investir les lieux avec plus d’aise que Delacroix à la Bastille par exemple. Mélusine volait en rase motte tandis que Morphine restait au dessus de la cime des arbres afin d’avoir une meilleure vue d’ensemble. Il lui était donc plus simple de repérer le moindre mouvement à plusieurs centaines de mètres.
“Tu vois quelque chose, Morphine ?” demanda Mélusine à à la petite gargouille rouge qui était drôlement heureuse d’ENFIN sortir du manoir qu’elle n’osait faire sa boudeuse et consentit à obéir aux gargouilles plus âgées, ce qui en soit était un exploit quand on connaissait Morphine.
“Non, rien de spécial.” répondit Morphine, déçue. Elle prenait décidément son rôle très à coeur.
“C’est pas grave. C’est qu’il n’est pas là. Allons vers le musée.” indiqua Mélusine qui reprit un peu d’altitude pour rejoindre sa camarade. “Faisons déjà un tour en altitude.”
Les deux filles prirent un courant ascendant et montèrent en spirale pour pouvoir avoir le palais en entier sous les yeux. Le site était grandiose.
“Prends le pavillon de gauche, côté rue de Rivoli. je m’occupe du côté quai des Tuileries. N’oublies pas de vérifier les petites courettes, on ne sait jamais. On se retrouve au dessus de la cour carrée.” ordonna Mélusine avant de se séparer de l’adolescente, la laissant partir de son côté.
Pour le moment il n’y avait rien à signaler. Rien de particulier. Mélusine enragea. Elle commençait à se dire qu’il n’y avait plus d’espoir. Elle ne l’avait pas retrouvé et sauvé des griffes de ces néo-nazis pour le perdre sur une simpe dispute !? C’était sa faute à lui s’il avait fui, lui, son tempérament et sa jalousie. Mais c’était elle qui l’avait giflé. Tout était parti de là.
Elle suivit les salles Napoléon III et Henri IV sans grand succès, sous les regards réprobateurs de tous les hommes d’état qui jallonaient les murs. Elle avait l’impression que même eux la considéraient comme responsable.
La grande Pyramide du Louvre si souvent décriée se dessinait, solennelle sur sa gauche, toute transparente dans son écrin de pierres. Mélusine redescendit un peu d’altitude pour passer au dessus des toits, entre pontons et cheminées.
Toujours rien.
Après quelques minutes de vol, elle retrouva Morphine en vol stationnaire au dessus de la cour carrée, cette magnifique cour carrée qui ponctuait de manière magistrale le corps du musée.
“Alors tu as vu quelque chose ?” demanda-t-elle à sa jeune compagne.
“Non, rien du côté de la rue de Rivoli. Nada.” répondit désolée Morphine. Elle aussi était contente de participer aux recherches, d’autant que Grimm était aussi l’un des pensionnaires du manoir qu’elle préférait. Pas très locace, peu démonstratif, mystérieux. Parfait pour une petite gargouille adolescente en pleine explosion d’hormones.
Soudain Morphine cligna des yeux et parut attirée par un détail au côté Est de la cour carrée.
“Attends, regarde !” s’écria-t-elle.
“Quoi ?”
“Là bas regarde ! Derrière la statue de l’angelot !” rajouta Morphine avant de planer vers l’ombre qu’elle avait aperçu. Une ombre qui n’avait pas l’air d’appartenir au lieu, qui ne collait pas à l’architecture.
De fait, en se rapprochant, elles découvrirent Grimm, étendu derrière une statue d’ange potelé en train de jouer de la flûte. Il avait l’air dans un sale état, des contusions un peu partout sur les bras et les pattes, des coupures ici et là. Ses ailes présentaient un cuir aux coupures un peu plus ouvertes que d’habitude et étaient couvertes de sang coagulé. Il était évanoui pour le moment et avait le souffle court.
Mélusine n’en croyait pas ses yeux et se rua vers son frère de clan.
“Grimm ! GRIMM ! Réponds-moi ! Réveille-toi !” s’exclama-t-elle en essayant de lui faire ouvrir les yeux. Mais il ne répondait pas à ses sollicitations et restait désespérément les yeux fermés. Au moins respirait-il même si cela avait l’air difficile et douloureux.
“Dis moi, quelle heure est-il, Morphine ?” demanda-t-elle, craignant que l’aube soit trop loin pour que le sommeil de pierre fasse son oeuvre et guérisse la gargouille evanouie.
“Il est presque quatre heures du matin.’ répondit Morphine “L’aube n’arrive que dans une heure. On n’est pas assez forte toutes les deux pour le ramener au manoir. Il nous faut au moins Delacroix ou Svenn.”
“On va déjà les prévenir. Attends, j’ai le talkie Welkie dans ma poche.” s’exclama-t-elle en sortant l’appareil de la poche de son blouson. “Comment ça marche ce truc déjà…” Mélusine tourna le bouton, entendant un petit clic puis des grésillements. Elle changea la fréquence pour se brancher sur la fréquence 7, comme l’avait dit Delacroix et approcha l’appareil de sa bouche.
“Allo, Delacroix ? Absinthe ? Arnaud ? vous m’entendez ?”
“scrich scrich scrich”
“Allo, est-ce que vous m’entendez ? On l’a trouvé ! on a trouvé Grimm ! Répondez !”
L’appareil resta muet.
“Et merde ! Franchement ! Delacroix et ses gadgets qui marchent pas !” Grommela-t-elle. “Non mais, quelle tête de linotte ! Je suis sûre que ces trucs viennent de Toys ‘r Us !”
“Qu’est ce qu’on fait maintenant ?” demanda anxieuse l’adolescente.
“Je ne sais pas. On ne peut pas le laisser ici mais on ne peut pas l’emmener. En plus les autres sont injoignables et l’aube n’arrive que dans une heure…” répondit Mélusine. “Attends j’ai une idée... Est-ce que tu te sens de retourner toute seule au manoir ?”
“Oui je pense… j’ai bien mémorisé le chemin.”
“Bien. Je vais rester avec lui ici toute la journée et tu préviendras les autres où nous nous trouvons. Comme ça vous viendrez nous chercher demain au crépuscule. Je ne peux pas le soulever à moi seule alors qu’il est inconscient. On va avoir besoin de Svenn ou Delacroix. Je ne vois que ça comme solution.”
“Ok.” dit Morphine en hochant de la tête. “Prends soin de lui. On revient demain.”
Mélusine hocha de la tête et vit Morphine étendre les bras et s’envoler vers l’est.
Elle se retourna ensuite vers Grimm. Son visage semblait las, derrière les ecchymoses et les coupures. Qu’avait-il bien pu voir pendant sa fugue pour se retrouver dans cet état-là ? Rien de grave espérait-elle. Soudainement, Grimm fronça les sourcils comme s’il était pris dans un mauvais rêve. Il marmonna dans son sommeil, murmurant des mots qui n’avaient aucun sens.
“Shhhh. Je suis là, je veille sur toi.” chuchota Mélusine qui s’installa derrière Grimm de telle sorte que sa tête et ses épaules reposaient sur ses genoux. “Ca va aller.” lui promit-elle.
C’est dans cette position que le soleil les surprit, les plongeant tous deux dans un sommeil réparateur à la fois pour le corps et l’esprit. Mélusine avait eu tellement peur de perdre Grimm pour toujours, après s’être donné tant de mal pour le tirer des griffes de ses bourreaux afin qu’il ait une vie normale ! Elle espérait que Morphine avait eu le temps de retourner jusqu’au manoir et qu’elle ait pu mettre les autres au courant. Normalement ils auraient tous du rentrer avant que l’aube ne les recouvre.
Le soleil se coucha tard en ce mois de Juin. La soirée s’était déjà bien avancée lorsqu’il voulut bien disparaître derrière l’horizon, faisant apparaître des craquelures sur ces drôles de statues derrière l’angelot. Heureusement une statue de plus ou de moins sur le Palais du Louvre passait assez inaperçu.
Les gargouilles se libérèrent de leur peau de pierre avec vigueur et délivrance. Grimm mit un temps à se remettre. Où était-il ? Ah oui les toits du Louvre ! Et c’est avec surprise et soulagement qu’il reconnut un visage familier. Un sourire barra son visage, dispersant les ombres qui le préoccupaient juste avant.
Mélusine accueillit avec ravissement ce sourire, elle qui n’en avait jamais vu sur son visage tout le temps si troublé et en colère.
Sans prévenir, il la prit dans ses bras et la serra contre lui.
“Tu m’as retrouvé.” souffla-t-il dans ses cheveux.
“Oui enfin ! On était tellement inquiet ! On ne savait pas où te chercher ! Où étais-tu passé ?” lui demanda-t-elle alors qu’elle se redressa. Les questions se bousculaient dans sa bouche.
“C’est une longue histoire. Mais ça va mieux maintenant. Tu m’as retrouvé !” répéta-t-il.
“Oui. Les autres ne vont pas tarder à venir. Morphine les a prévenu de où nous sommes. On pourra rentrer à la maison.”
“Avec plaisir !” conclua la gargouille rouge.
Plus tard dans la nuit, le clan rentra enfin tout entier au manoir, et tous accueillirent avec chaleur le fuyard. Même Arnaud était venu pour se mêler à la liesse et fêter le retour de Grimm. Après tout, c’était également grâce à lui qu’on avait pu le retrouver.
Tous étaient très curieux de savoir où la gargouille rouge avait bien pu passer ces trois nuits à découvert. Grimm comprit que le temps du débrief était venu. Toutefois, il resta assez vague dans un premier temps, afin de ne pas parler de cette histoire de clones devant Morphine. Il ne voulait pas effrayer la gamine pour une histoire où elle n’y était pour rien. Il serait bien temps de tout expliquer le moment venu à un public restreint. Montigny, cet humain Arnaud Lanvin, Delacroix, Absinthe et Mélusine devaient être mis au courant de ce dont il avait pu être témoin à la tour Destine. Ce n’était pas rien ce qu’il se passait là bas.
Et puis il y avait quelque chose dont il allait devoir parler à quelqu’un. Ces avancées scientifiques qui selon Demona, lui auraient permis de récupérer des ailes valides. Ce espoir que cette nouvelle avait fait naître en lui était difficile à gérer. Serait-il possible qu’il soit guéri un jour ? Qu’il puisse enfin revoler, ressentir le vent dans ses ailes pendant une balade aérienne ? Cette sensation qu’il avait cru oublier. Il se rendit compte qu’il désespérait de la ressentir à nouveau un jour. Peut être pouvait-il contourner Demona et son savant fou. Peut être y avait-il d’autres scientifiques autant capables que ce … Sevarius.
Mais au moins, avec toute cette mésaventure de quelques nuits, il avait trouvé un but. Contrecarrer les plans absurdes et dangereux de cette gargouille folle, et retrouver un moyen de recouvrer ses ailes.
Et c’était une toute nouvelle excitation qui naissait dans la poitrine de Grimm.