Cette fic est un peu différente des autres car on n'a eu qu'un sujet commun :
Un dimanche peu après l’arrivée de mélusine au manoir. Doit contenir un
passage au vieux moulin.
Le Moulin
Aujourd’hui allait être
exceptionnel. Les deux enfants étaient surexcités, chacun à leur manière. Père
était parti il y a quelques nuits pour une affaire de haute importance, leur
annonçant qu’il n’allait pas revenir les mains vides. Auparavant, le professeur
Montigny ne s’éloignait jamais de ses « enfants » essentiellement car
il était la seule personne qu’ils connaissaient dans ce monde, mais aussi par
pure affection pour ces deux créatures qu’il avait recueillies et élevées selon
les désirs de son propre père, l’archéologue Jules Montigny. Mais Père avait
commencé à s’absenter ainsi depuis quelques années. Certainement car ils
avaient grandi, seize longues années à vivre en autarcie, on finit par prendre
quelques habitudes.
Et cette nuit, Père
allait revenir, les bras chargés de cadeaux à chaque fois qu’il revenait.
C’était sa façon à lui de se faire pardonner de ne pas avoir été là pendant ces
longues journées et nuits. Delacroix espérait qu’il lui ramènerait une veste
sans manche en peau de mouton, comme celle qu’ils avaient à la télévision, et
Absinthe rêvait d’un beau bandeau qu’elle pourrait mettre dans ses cheveux,
sans vraiment savoir encore comment elle le passerait derrière ses cornes.
C’était comme le père de Belle dans la Belle et la Bête quelque part se
disait-elle. Elle aurait du lui demander une rose, comme dans le conte. Elle
avait passé la nuit précédente à se demander ce que leur père allait leur
amener. Un échiquier ? Une pelote de laine ? Un chiot ou un
chaton ?
Delacroix guettait à la fenêtre
et Absinthe lisait comme à son habitude, bien confortablement assise dans le
fauteuil. Elle n’eut pas besoin de se retourner car au bruit que faisait
Delacroix qui s’agitait sur la fenêtre et les crissements des roues sur le gravier de l’allée, elle sut que Père
était revenu. Calmement, malgré l’excitation qui bouillait en elle, se referma
le livre, sans avoir oublié de placer son marque page, le posa sur la petite
table basse, puis se dirigea vers la porte d’entrée, précédée par son frère
qui, d’excitation, se prit les pieds dans tous les tapis qu’il rencontrait.
La petite cloche de
l’entrée retentit et les deux gargoyles accueillirent le professeur Montigny de
retour à la maison. L’homme était de taille moyenne, dans la force de l’âge,
toujours habillé avec classe mais simplicité, toujours en costume et veston qui
lui donnait un air sorti tout droit du début du siècle. Il portait un vieux
manteau long qui lui donnait l’air de porter une cape. Aussitôt arrivé, il ôta
son chapeau d’où tombèrent quelques gouttelettes de pluie récoltées sous la
pluie battante.
« Bonsoir les
enfants. » dit-il
en souriant.
« Bonsoir
Père ! » répondirent
les deux créatures, chacune sur un ton différent. Absinthe avec calme et
retenue, et Delacroix… et bien tout le contraire.
Delacroix ne put résister d’avantage.
«
Alors ??? Vous nous avez ramené quoi ??? Du fromage ? Des
épées en bois ? Un bateau pirate ? »
Absinthe
le houspilla, le rappelant à l’ordre, lui décochant un coup de pied dans les
tibias pas si discret que ça :
«
On ne dit pas ramené, on dit rapporté, triple idiot. »
« Non
non ma douce Absinthe. Pour une fois, notre petit Delacroix a raison.
– Pour une fois répéta la gargoyle bleue –
Allons,
ma petite, n’aies pas peur. Approche. »
Le professeur Montigny se pencha sur
le côté et tira un peu sa cape. Delacroix et Absinthe se penchèrent en avant,
les yeux rounds comme des soucoupes. Une petite main verte agrippait la cape du
professeur qui dissimulait le reste aux yeux des enfants. Delacroix s’approcha
avec curiosité, et Montigny se tourna doucement, laissant apparaître une
gargoyle accrochée à ses jambes comme s’il s’agissait des jupes de sa mère.
Elle avait l’air apeurée, quoique ses yeux s’écarquillent lorsqu’elle vit deux
autres créatures de son espèce, qui plus est, à peu près de son âge. Elle était
menue, d’une couleur verte, sa robe était d’une couleur bizarre qui rappelait
les robes de bure des moines et sa coupe révélait que ce n’était
vraisemblablement pas une couturière qui avait découpé son vêtement. La petite était blonde comme les blés, tirant
un peu sur le châtain, bouclée comme un nœud de serpents. Ses cornes étaient
étranges : partant de part et d’autre de la tête, elles lui tombaient au
dessus des épaules comme deux petits boas et deux petites arêtes osseuses
pointaient sur son nez.
Delacroix et Absinthe restaient bouche
bée devant cette apparition. Ils ne s’étaient pas attendus à cette surprise. Ni
de voir une de leur espèce sous leurs yeux. Leur silence était quand même
intimidant. Montigny choisit ce moment pour présenter la nouvelle venue.
«
Delacroix, Absinthe, je vous présente Mélusine. Elle habitera ici avec nous
désormais. Alors je vous demande à vous deux de l’accueillir comme il se doit
et d’être gentils avec elle. Ca a été dur pour elle. Allez viens approche
Mélusine. Voici Delacroix et Absinthe.»
La petite s’avança timidement, ne
regardant que ses pieds, levant de temps en temps craintivement les yeux. Sa
queue se tortillait nerveusement tandis que ses mains s’agitaient avec anxiété.
Sans rien dire, Delacroix s’approcha
et instinctivement, Mélusine recula. La gargoyle bleue électrique fit le tour,
comme s’il la jaugeait, la flairait. Il ne put résister plus longtemps et pris
une de ses cornes molles dans les mains et tira dessus.
« Oye,
vos me faisoit moult mal ! » cria-t-elle en se libérant de
l’emprise de Delacroix qui, surpris par le langage de Mélusine s’arrêta, et
éclata d’un rire tonitruant.
« Ahahah
non mais c’est quoi cette langue ?!
Elle sait même pas parler français ou quoi ? »
Absinthe se rapprocha vivement, poussa
Delacroix d’un coup de patte et se planta devant Mélusine, les poings sur les
hanches, plongeant son regard dans celui de la petite gargoyle verte avec
gravité, Mélusine prit peur et ferma les yeux, croyant qu’Absinthe allait la
taper ou quelque chose du genre. Au lieu de cela, Absinthe la prit par la main
et l’emmena. Montigny ne put réprimer un sourire. Oui, ça allait bien se
passer.
« Hé,
attendez-moi ! » répliqua Delacroix qui partit à la suite des
filles.
« Où me
moignet-vos ? » demanda
Mélusine qui n’arrivait pas à échapper à la serre d’Absinthe « Estes-vos
de mon clain ? »
Sans ouvrir la bouche
Absinthe l’emmena d’une main ferme vers l’énorme bibliothèque du manoir,
installa d’autorité Mélusine dans le fauteuil, avant de s’absenter quelques
instants, laissant Delacroix la détailler et la renifler comme un renard.
Mélusine préféra ne pas bouger, comme si faire la morte pouvait être une
stratégie pour ne pas attirer l’attention sur elle.
Delacroix était perché
sur le haut du fauteuil, tendant la main pour attraper un de ses cornes molles
lorsque Absinthe refit son apparition dans l’encadrement de la porte avec les
bras chargés d’un énorme plateau couvert de biscuits, de lait et quelques verres. Sa seule présence dans la
pièce empêcha Delacroix de continuer son geste, restant sans bouger devant
Absinthe qui continuait ce qu’elle faisait sans lui prêter attention. Sans rien
dire, elle posa le plateau sur une petite table, tendit une friandise à Mélusine
qui l’accueillit avec circonspection, puis elle se dirigea vers les étagères
sur le mur, monta sur l’échelle pour atteindre un certain rayon, et après
quelques secondes de recherches, en descendit un lourd volume qu’elle posa par
terre avec lourdeur. Il s’agissait d’une antique réplique d’un dictionnaire de
vieux français. Absinthe tourna les pages, revint en arrière puis s’arrêta sur
l’une d’elle et fit signe à Mélusine d’approcher. Apeurée, la petite ne bougea
pas. Absinthe se fit plus insistante et bougonna :
« Viens, je ne vais
pas te manger. »
Mélusine se leva et timidement se mit
à genoux aux côtés d’Absinthe qui tendait le doigt vers la page du registre.
Qu’est ce que cette fille pouvait bien vouloir d’elle ? Mélusine n’en
avait aucune idée. Et puis elle ne saisissait pas bien ce que la petite
gargoyle aux cheveux verts lui disait. Cela ressemblait à sa langue tout en
étant étrangement presque incompréhensible. Elle avait du lui présenter un
visage circonspect car Absinthe s’agita d’agacement sur ses jambes et pointa le
registre d’un doigt encore plus raide, comme si cela allait lui faire
comprendre plus vite les choses. Alors Mélusine s’évertua à lui faire plaisir.
*-*-*
Les semaines qui suivirent furent
assez grand-guignolesques. Mélusine tentait de s’habituer à cette nouvelle vie,
et à ces nouveaux « proches ». Autant sa vie au monastère était calme
et studieuse même si elle devait vivre cachée des moines mais là, qu’ici au
manoir, tout lui semblait rocambolesque. Chaque nuit elle faisait face aux
idées toujours plus farfelues les unes que les autres que Delacroix et Absinthe
élaboraient dans le plus grand secret de leur « QG » comme ils
l’appelaient.
Elle avait mis du temps à comprendre
le concept du « QG », mais plus encore pour apprendre le français de
cette époque. Ce n’était pas encore gagné. C’est pour cela qu’elle passait le
plus clair de son temps avec le professeur Montigny, en plus de pouvoir
échapper à ces deux tortionnaires.
Mais les choses changèrent après
l’événement du moulin et de l’absence de Montigny quelques mois après son
arrivée. Elle avait bien cru qu’elle allait y passer dans ce moulin humide et
habité par les courants d’air. Après l’attaque du crapaud cracheur de feu,
l’épreuve finale du pseudo club de la Mort qui Tue, elle n’aurait jamais cru
qu’elle retournerait dans ce moulin aussi rapidement.
Cette nuit-là, le professeur Montigny
leur fit regarder le film Peau d’Ane et Mélusine, était restée émerveillée, non
seulement par cette technologie à laquelle elle n’était pas encore accoutumée
mais également par les robes, les châteaux, la princesse et la scène du gâteau.
Elle avait appris par cœur la chanson
et s’était décidée à tenter de cuisiner la même recette. Un paquet de farine
chipé dans les cuisines, un pot de miel dans la réserve, des œufs volés au
poulailler, un pot de confiture pour le sucre et pour la couleur, il ne lui manquait
plus que le gros livre qu’elle comptait chiper dans la bibliothèque, le
saladier et la bague.
Pour le saladier, elle choisit une énorme
jatte en bois qu’elle avait également repéré dans la réserve et qui ressemblait
plus à un bilot qu’autre chose,
Mais ce qui lui donnait du fil à
retordre, c’était la bague. Elle n’en possédait pas et Absinthe ne lui en
prêterait jamais, à supposer qu’elle en ait. Le plus simple, après tout, était
de lui demander. Mais allait-elle oser le faire ? Respirant un grand coup,
Mélusine se mit en route, décidée comme si elle allait affronter le Grand-maître
des Templiers en personne.
Elle traversa le couloir et alla
frapper à la porte de sa nouvelle « sœur », « cousine »… « verte camarade » peu importe le
titre. Mais ses coups à la porte restèrent sans réponse. Après tout, rien ne
disait qu’elle occupait sa chambre à l’instant. Mais elle n’avait pas non plus
envie de perdre des heures à la chercher dans tout le manoir, d’autant plus
qu’il y avait des chances pour qu’elle soit en ce moment même avec Delacroix,
et il était hors de question qu’elle prenne le risque qu’il gâche sa recette du
gâteau, ah ça non !
Mais perdue en conjecture, Mélusine
sursauta lorsque la porte s’ouvrit brusquement, laissant apparaître une
Absinthe renfrognée, visiblement agacée d’être dérangée. Il n’en fallut pas
plus pour Mélusine pour se ratatiner pour sur elle-même. Elle savait être intimidante
quand elle voulait, Absinthe !
-
Vos…
Vos… euh. Tu… t… tu n’aurais pas une bague à me prêtois euh… me prêter ?
Absinthe resta là, sans bouger, ni mot
dire, regardant Mélusine comme si elle pouvait voir au travers. Cette dernière ne sut pas combien de temps
cette situation embarrassante dura mais trop longtemps à son goût, pour sûr.
Puis sans autre effet, Absinthe referma lentement la porte, insistant sur le
grincement, laissant une Mélusine qui continuait à sourire nerveusement.
Pouvait-on dire que l’entretien
s’était bien passé ? Hmm peut être. Au moins n’était-elle pas liquéfiée
sur place. Bon, et bien ce n’est pas ici qu’elle trouverait une bague. Peut
être le Professeur cachait-il une boite appartenant à Grand-Mamie ? Ah
non, elle ne pouvait envisager de faire cela au Professeur !
Dans ses pensées, la jeune gargoyle se
retourna et commença à s’éloigner lorsqu’un bruit à l’arrière la retint.
Absinthe venait de réapparaître à sa porte, lui tendant un poing fermé.
-
Tiens,
j’ai que ça. Ça pourrait faire l’affaire.
Mélusine se rapprocha et Absinthe lui
versa ce qu’elle tenait dans la main dans la sienne. Il s’agissait d’un petit
boulon qu’elle n’aurait pu enfiler qu’à l’annulaire, un petit bout de ferraille
foncé, une rondelle géométrique avec un trou en son milieu.
La petite gargoyle sourit ingénument
avant de remercier sa sœur de clan.
-
Ohhhh !
Merci, Absinthe ! Je vais pouvoir faire mon cake d’amour !
-
Ton
quoi ?
-
Bah,
mon cake d’amour ! comme Peau d’Âne !
-
Hein ?!
Attends, j’viens avec toi ! Je ne veux pas rater ça !
Absinthe lui courut après car la
petite gargoyle était déjà repartie en monologuant ce qu’elle ne devait pas
oublier.
-
Ah
zut, j’allais oublier ma robe couleur de soleil !
Elle fourra tous ses ingrédients dans
les bras d’Absinthe qui n’eut pas le temps de protester avant de se ruer dans
sa chambre. On put entendre des grincements de coffres qui s’ouvraient puis se
refermaient, des froissements de tissus pendant plusieurs minutes avant que
Mélusine ne ressorte finalement, vêtue d’une robe –ou plutôt tentative de robe-
d’une couleur la plus proche de la robe couleur soleil, c'est-à-dire un jaune
poussin particulièrement insultant pour les yeux. Elle avait également une
frusque indéfinissable sous le bras qu’Absinthe ne put identifier. Puis elle
tira sa sœur par le coude, toute excitée de pouvoir enfin cuisiner ce gâteau
mythique dont elle avait rêvé pendant des jours.
-
Attends !
mais tu vas où ? On peut le faire au manoir ! protesta Absinthe.
-
Non,
Peau d’Âne le fait dans la chaumière. Il nous faut une maisonnée du même acabit
! Et puis il y a un four là-bas.
-
Là
bas ? là-bas, où ça là-bas ?
-
Au
moulin évidemment. Depuis que je suis sûre qu’il ne s’agit pas de l’antre du
Crapaud Cracheur de Feu.
Le moulin était toujours imposant, au milieu
de sa clairière, éclairé par la lune, ses tours dans le toit toujours aux mêmes
endroits, son immense roue qui semblait endormie. Un hibou hulula dans les
arbres mais le bâtiment n’avait plus du tout la même aura angoissante qu’il
avait lorsqu’elle l’avait visité pour la première fois. La grande salle
principale, sous l’énorme charpente, où siégeait encore la meule actionnée par
la roue à l’extérieur, leur laissait largement la place pour s’installer
tranquillement. Mélusine, ayant perdu toute appréhension face à Absinthe
commença à diriger les opérations.
-
Tu
peux mettre tout ça sur la meule et puis tiens, enfile ça. Lui dit-elle en lui tendant la
frusque qu’Absinthe n’arrivait pas à reconnaître. On aurait dit un animal mort,
dans le genre chien poilu.
-
Il
est hors de question que je mette ça. Répondit Absinthe en fronçant des narines.
-
Mais
si, sinon tu ne pourras pas jouer Peau d’Âne !
-
Mais
je croyais que c’était toi, Peau d’Âne ?
-
Moi
je fais Peau d’Âne la princesse, et toi tu fais Peau d’Âne la souillon, c’est
simple non ?
Absinthe interdite, regarda d’un air
peu engageant Mélusine qui lui tendait la fourrure. L’idée de jouer la souillon
ne semblait pas l’emballer plus que cela.
-
Ce
n’est qu’un manteau de fourrure que j’ai trouvé dans une malle au grenier. Tenta de la rassurer Mélusine. Tu
te souviens quand on a fait la chasse aux trésors ?
-
Bien
évidemment, bon OK, donne moi ça sinon on en finira jamais.
Absinthe attrapa la fourrure et la
jeta par-dessus la tête. Elle sentait un peu le moisi mais bon, pas plus que le
moulin après tout. Et puis elle ne voulait pas rater une seule seconde de ce
spectacle qu’elle allait se faire un plaisir de raconter dans tous les détails
à Delacroix qui mourra de jalousie parce qu’il n’était pas là.
Mélusine prépara la scène comme si
c’était elle le réalisateur du film. Après avoir vérifier que l’antique four du
moulin pouvait encore servir, elle tendit à Absinthe un gros livre, qui ne
voyait pas grand-chose derrière cette peau de yack qui lui tombait sur les yeux.
-
Tu
connais les paroles n’est ce pas !? demanda Mélusine.
Ce n’était pas vraiment une question
dans sa bouche.
-
Euh
… bien sûr, quelle question. Je l’ai vu plus que toi. Autant essayer de garder un peu de
supériorité.
-
Alors
allons-y !
Mélusine se mit en place, levant les
bras comme s’ils étaient alourdis par des manches bouffantes, mais resta
immobile comme si elle attendait quelque chose.
-
Bah
alors, vas-y, commence à chanter comme sur l’écran du « flime »
Oh la la. D’un seul coup, Absinthe se
félicitait de ne pas avoir fait venir Delacroix car chanter ne faisait pas
partie de ses points forts. Et puis avouer à Delacroix qu’elle connaissait réellement
la chanson par cœur aurait été un gage de pure honte.
-
Bon
euh… OK.
“ Préparez votre...
Préparez votre pâte
Dans une jatte...
Dans une jatte plate.
(C’est là que la scène devient totalement visuelle. Car pendant
qu’Absinthe s’égosille, Mélusine tente de répéter au geste près, avec toute la
grâce dont elle est capable les gestes de Catherine Deneuve. Il va sans dire
qu’il y a des couacs, mais retournons tout de suite à notre scène.)
Et sans plus de discours
Allumez votre...
Allumez votre four.
(Mélusine se retourna et mima avec forces gestes ampoulés et
brindilles imaginairement enflammées l’allumage du four tout en fredonnant la
partie musicale)
Prenez de la...
Prenez de la farine
Versez dans la...
Versez dans la terrine
Quatre mains bien pesées
Autour d'un puit creu...
Autour d'un puit creusé.
(mais un frisson d’excitation parcourut l’échine de Mélusine car
arrivait sa partie préférée : celle où Peau d’Âne cassait les œufs dans la
terrine. Peut être allait-elle voir un poussin sortir de son quatrième
œuf ?! En tout cas, la gargoyle y comptait dur comme fer !)
Choisissez quatre...
Choisissez quatre oeufs frais
Qu'ils soient du ma...
Qu'ils soient du matin frais.
Car à plus de vingt jours
Un poussin sort tou...
Un poussin sort toujours.
(Nous vîmes alors Mélusine casser le dernier œuf avec espoir,
fermant les yeux dans une dernière prière pour qu’il en sorte un poussin comme
dans le « flime » mais c’est avec déception qu’il en sortit un simple
jaune d’œuf. Elle ne put réprimer un ohhhhh de déception, vite coupé par une
remarque d’Absinthe qui continua à chanter.)
Un bol entier...
Un bol entier de lait.
Bien crémeux s'il...
Bien crémeux s'il vous plaît.
De sucre parsemez
Et vous amalga...
Et vous amalgamez.
(C’est ainsi que nous vîmes Mélusine verser un peu de lait dans
la jatte, se remonter les manches qui s’entêtaient à lui tomber sur les mains
et commencer à malaxer la pâte.)
Une main de...
Une main de beurre fin
Un souffle de...
Un souffle de levain.
Une larme de miel
Et un soupçon de...
Et un soupçon de sel.
Il est temps à...
Il est temps à présent,
Tandis que vous...
Tandis que vous brassez,
De glisser un présent
Pour votre fian...
Pour votre fiancé.
(Mélusine sortit de sa poche la rondelle de métal, la porta à
ses yeux et l’enfouit dans le magma innommable qu’elle avait concocté depuis 5
minutes. Mais à l’annonce du fiancé, Mélusine d’arrêta net.)
-
Un
fiancé ? Mais je n’en ai point de fiancé ?!
-
et
tu n’y as pas pensé AVANT de faire tout ça ?! demanda sournoisement Absinthe
-
ben…
non. Je ne connais que Delacroix et le Professeur
-
T’es
obligé de le faire pour Delacroix alors !
-
Ah
non !
-
Oh
la menteuse elle est amoureuse !
-
NON
NON NON
-
Bah
t’as pas le choix, c’est ou bien Delacroix ou bien le professeur ! Absinthe croisa ses bras autour de sa
poitrine.
-
Mais
je ne peux pas, il est trop vieux le professeur. On n’a qu’à échanger. Tu fais
la princesse et je fais Peau d’Âne sous sa peau. Comme ça tu pourras faire le
voeu
Mélusine
se dirigea vers Absinthe et tira sur sa coiffe en fourrure. Ah non elle n’était
pas amoureuse de Delacroix ! Plutôt se passer la langue au papier de
verre ! Mais Absinthe fit de la résistance
-
Hé,
mais non : c’est ta chanson et ton gâteau. Moi je ne fais que chanter.
-
Ah
mais donne-la moi ! Tu n’as qu’à le faire le vœu d’amour et la finir ta stupide
chanson !
-
Quoi ?
Mais c’est toi qui voulait le faire ce stupide gâteau !
Mélusine
sentit les larmes lui monter aux yeux et éclata en sanglots.
-
Si
c’est comme ça, je m’en vais !
La
petite gargoyle s’enfuit alors en courant et pleurant, manquant de se prendre
les pattes dans sa robe trop longue. Elle laissa une Absinthe, seule dans le
moulin avec son gros livre sur les genoux et une pseudo cuisine qui ressemblait
à ce qu’allait être des années plus tard Tchernobyl.
-
Pff
et qui est-ce qui va ranger tout ça ? C’est bibi !
*-*-*-*
Un souhait d'a...
Un souhait d'amour s'impose
Tandis que la...
Que la pâte repose.
Lissez le plat de beurre
Et laissez cuire une...
Et laissez cuire une heure ”
- Karell, 2009