Cette fic est un peu différente des autres car on n'a eu qu'un sujet commun :
Un dimanche peu après l’arrivée de mélusine au manoir. Doit contenir un
passage au vieux moulin.
La propriété Montigny contient un vieux moulin au fond du parc, il fallait bien l'utiliser !
Bienvenue Mélusine !
Cela faisait quelque temps que
Mélusine était au manoir. Son arrivée avait chamboulé tout le petit monde qui y
vivait ; Delacroix voyait en elle un nouveau camarade de jeu, et Absinthe
une fille avec qui passer du temps tranquillement sans se faire tirer les
couettes. Cependant, elle n’était pas vraiment de cet avis. Passé la surprise
des premières rencontres, elle évitait sciemment les deux enfants pour passer
tout son temps dans les jambes de Montigny. Elle était trop intimidée par les
deux petites brutes.
Il faut dire que le premier jeu
auquel elle fut conviée consistait à simuler une autopsie. Delacroix venait de
découvrir le fascinant métier de médecin légiste dans un de ses livres
d’enquête, et Absinthe était ravie de pouvoir enfin jouer autre chose qu’un
cadavre duquel on trifouillait les entrailles. Mélusine avait tenté de refuser
poliment, les cheveux dressés sur la tête en voyant la panoplie de couteaux
étalés sur une table basse, et la soirée s’était finie en course effrénée pour
échapper aux deux petits tortionnaires. Elle n’avait trouvé refuge que dans le
bureau du gentil Montigny, qui jouait à présent le rôle non avoué de garde du
corps.
Elle jouait silencieusement à la
poupée dans son bureau, le suivait à la bibliothèque et ne se séparait de lui
que de très rares instants. Elle savait bien que la situation devait être
éprouvante pour ce charmant monsieur, mais elle ne pouvait se résoudre à
s’éloigner beaucoup de lui lorsqu’elle voyait les deux petits monstres
chuchoter à son sujet en la scrutant. Elle sentait leur regard mauvais et cruel
se poser sur elle, et des frissons lui glaçaient le dos chaque fois qu’elle
entendaient leurs murmures cachottiers. Lorsqu’elle était seule dans les
couloirs, les ombres prenaient des formes ailées et elle croyait entendre des
rires enfantins et glauques derrière chaque tournant.
Alors elle eu l’impression que le
monde s’écroulait sous ses pieds lorsque Montigny lui annonça un soir qu’il
avait des affaires à régler à l’extérieur de la propriété, et qu’il ne pourrait
pas l’emmener avec elle. Elle pleura, supplia, trépigna mais rien n’y fit. Elle
devrait passer la soirée en compagnie de son frère et sa sœur de clan pour plus
de sécurité. Ce qu’il aurait vraiment fallu pour sa sécurité pensait elle,
c’était d’enfermer les deux enragés dans une tour et d’en oublier la clef.
Ils étaient encore dans le bureau
et il allait bientôt partir. Montigny préparait les derniers documents à mettre
dans une petite valisette, moucha une dernière fois Mélusine dont les yeux
débordaient encore de larmes et la prit par la main. Elle savait où il
l’emmenait. Vers son trépas, sa mort, son enfer, sa…
« Allez ne t’en fais pas.
Ils ne sont pas méchants, ils ont juste voulu te taquiner la dernière fois. Et
s’ils te font du mal, ils auront affaire à moi. »
Il parlait doucement pour la
calmer un peu, mais elle avait toujours l’air aussi nerveuse. Il lui sourit,
défit sa montre et la lui donna.
« Tu sais lire
l’heure ? Bon, regarde, quand la petite aiguille sera là, je serais à la
maison, d’accord ? Ça ne fait pas beaucoup de temps, n’est-ce
pas ? »
Mélusine regarda la montre et
hocha la tête. Elle savait maintenant combien de temps elle devait survivre
jusqu’au retour de son sauveur.
Il lui attacha la montre autour
de son petit poignet et la conduisit dans le salon.
À peine arrivée à la porte, elle
entendit de grands cris. En entrant, elle vit Delacroix et Absinthe qui se chamaillaient
dans le fauteuil. Ils avaient tous les deux le visage barbouillé de feutre, et
chacun tirait le plus fort possible sur ce qui restait d’un malheureux crayon
de couleur.
« RENDS LE MOI ! LÂCHE
LE, C’EST LE MIEN ! »
« TU ME PRÊTES JAMAIS RIEN, JE
LE VEUX ! »
« TU CASSES TOUJOURS TOUTES
MES AFFAIRES ! »
« OH LA
MENTEUSE ! »
« CRETIN ! »
La situation avait l’air
d’empirer. Absinthe avait réussi à arracher l’objet convoité des mains de son
frère, mais l’avait de suite jeté plus loin, pour pouvoir se battre plus
facilement. À présent, ils se roulaient tous les deux par terre, l’un tirant
les cheveux de l’autre, qui lui mordait le bras. Ils ne s’arrêtèrent pas
lorsque leur Père les souleva de terre et sépara les deux parties. Ils
tentaient de s’infliger des coups de pieds tout en s’injuriant, lorsqu’ils
s’aperçurent enfin de la présence de Mélusine. Celle-ci les regardait,
tétanisée, la bouche ouverte en un rictus de frayeurs, les yeux ronds. Ils
arrêtèrent enfin de se chipoter, et Montigny les reposa au sol.
« Je dois m’absenter un
petit moment hors du manoir. Mélusine va rester avec vous pendant ce temps,
donc vous ne la martyrisez pas. À mon retour, je ne veux voir aucune bêtise,
c’est compris ? »
Il agitait un doigt menaçant sous
leur nez, mais les deux petits monstres avaient déjà conclu une trêve en un
regard.
« Oui Papaaaaa… On sera
gentil avec elle ! » Répondirent-ils d’une voix angélique
tout en regardant la petite nouvelle avec des yeux de prédateurs.
Il installa tous les enfants à la
table, ramassa les coloriages qui avaient été éparpillés un peu partout et
remit feutres et crayons dans leur pot. Il donna les dernières consignes avant
de partir sous le regard suppliant de Mélusine, qui n’avait toujours pas dit un
mot.
Dehors, la grande porte se ferma,
une voiture démarra et s’éloigna peu à peu du manoir. Mélusine était donc
piégée…
Elle déglutit et attrapa un
coloriage qui représentait une licorne et des papillons, et se mit à utiliser
ses feutres avec force. Elle n’osait pas lever le nez de son dessin, car elle
savait que ses deux camarades la regardaient intensément. Elle entendit
quelques chuchotis et augmenta sa vitesse de coloriage.
Elle osa enfin aventurer un
regard discret au-dessus de sa feuille et fut surprise de voir les deux terreurs
dessiner tranquillement sans se battre. Ils discutaient même calmement sans se
donner des noms d’oiseaux. Étrange…
« Eh Mélusine, passe-moi le
crayon orange. »
Elle se raidit. Delacroix lui
avait parlé, et elle n’osait pas bouger.
« Steuplait. »
Rajouta la voix.
Un silence pesant flotta dans la
pièce. Elle ne bougeait toujours pas, ne parlait pas, et maintenant les deux
enfants la fixaient du regard. Finalement, Absinthe soupira, se jeta presque à
plat ventre sur la table pour atteindre le crayon qui était posé juste à côté
de la main de Mélusine et le ramena à Delacroix sans oublier de la regarder
d’un air dédaigneux.
« T’as pas
d’langue ? » Lui lança t elle, acide.
Ils attendaient une réaction.
Mélusine frissonna et osa un timide petit « Si si… » Avant de
regarder sa montre. Non, elle ne venait pas de vivre des heures de calvaires,
cela n’avait duré que quelques minutes. Elle sentit une vague de désespoir
l’envahir.
« …va pas ? Eho ?
Tu m’écoutes ? T’es sourde ? »
Elle fut brutalement sortie de
ses pensées par un feutre que lui avait envoyé Delacroix dans la figure. Elle
les regarda, les yeux pleins de larmes. Mais pourquoi la harcelaient-ils comme
ça ?
« Faut te calmer, on va pas
t’manger hein. » Absinthe avait l’air vexée.
Mélusine s’enfermait dans un
silence gêné.
« Bon elle répond pas, ça
veut dire qu’elle fera jamais partie du… Club. Et ceux qui ne font pas partis
du Club, on passe notre temps à les… torturer. » Absinthe lui
avait annoncé ça froidement, en la regardant droit dans les yeux. En entendant
ça, Delacroix avait tout de suite pris la suite.
« Ouais ! Le
jour, on les balance dans les toilettes pour qu’ils se réveillent tout
dégoûtant la nuit, et on leur fait manger des ordures et des vers de terre, et
on leur met du chewing-gum dans les cheveux, et… »
« Et on leur coupe les
ailes et on leur fait manger leur propre nez. » Absinthe avait
réussi à faire couiner Mélusine. Celle-ci déglutit et leur répondit d’une voix
tremblante.
« Comment on fait pour
faire partie du club ? »
Les deux monstres se regardèrent
et un grand sourire carnassier apparut sur leur visage.
« Tu veux vraiment
être dans notre Club ? Y a des épreuves pour y entrer. C’est très dur.
Beaucoup de gens essayent d’y entrer, y en a même qui sont MORTS. »
Elle hocha la tête. Elle voulait
être libre de cette tyrannie. Tant pis si elle devait faire partie d’une secte
tueuse ou d’un groupe satanique. Au moins ils ne lui couperaient pas les ailes
et le nez.
« Comment… comment il
s’appelle, votre club ? »
Absinthe inspira pour répondre,
mais Delacroix répondit plus rapidement qu’elle.
« Le Club Ultra-Secret
des Aventuriers Détectives Super Héros! »
Absinthe jeta un regard furieux à
son compère avant d’expliquer :
« Mais on est plus
connu sous le nom de la Confrérie Secrète de la Mort Sans Pitié. »
Effectivement, le deuxième nom
était plus effrayant. Elle préférait le premier.
« On doit se concerter
avant de décider si tu peux passer les épreuves. Reste ici, on va
revenir. » Annonça Absinthe.
Elle attrapa le poignet de
Delacroix et ils s’enfuirent de la pièce, laissant la pauvre fillette toute
seule.
Mélusine attendit un petit
moment, regardant sa montre toute les trente seconde. Pourvu qu’elle puisse
passer les épreuves et qu’elle réussisse… Pourvu que ça marche…
La porte du salon se rouvrit, et
ses deux tortionnaires entrèrent solennellement.
« Tu vas passer la
Grrrrrande Eprrrrreuve ! Attends les Examinateurs de la Confrérie dans la
cour ! » Delacroix prenait une grande voix
mélo-dramatique.
« On doit rester ici
pour ne pas influencer le jugement en ta faveur. » Dit Absinthe en
souriant sournoisement.
Ils la poussèrent à l’extérieur
du manoir et fermèrent les rideaux et portes de l’intérieur. Elle se retrouvait
encore une fois toute seule, attendant dans le jardin en tremblotant.
Soudain deux faisceaux de lumière
apparurent de derrière le bâtiment. Des bruits de pas crissaient dans le
gravier de l’allée, et deux silhouettes blanches et fantomatiques apparurent.
On aurait pu remarquer qu’elles
ressemblaient étrangement à Delacroix et Absinthe sous des draps, mais Mélusine
était trop angoissée pour y penser.
La première silhouette qui
gigotait beaucoup annonça qu’elle devait les suivre sans faillir. La deuxième,
immobile, précisa que l’Epreuve Finale aurait lieu dans la Grande Chapelle de
la Confrérie. Elles conduisirent mélusine sans ménagement dans la forêt,
jusqu’à une petite clairière où passait un petit ruisseau, et où se trouvait un
vieux moulin à eau. La construction semblait très vieille mais pas en
ruine ; il manquait des tuiles, pourtant la grande roue semblait pouvoir
encore marcher. De mauvaises herbes, du lierre et de la mousse recouvraient
presque tous les murs, et des chauves-souris faisaient des aller retours au
travers de quelques trous. Des lapins détalèrent en voyant les trois personnes
approcher.
Ils s’arrêtèrent et ouvrirent la
porte du moulin ; elle s’ouvrit dans un horrible grincement et une odeur
de bois pourris.
« Entre… Ton épreuve
se déroule à l’intérieur… »
« Que dois-je
faire ? »
« Te taire. »
Répondit la silhouette tranquille d’une voix cinglante.
« Tu dois rester toute
seule dans le noir, et tu dois rien dire. Si tu cries une seule fois, t’es
éliminée ! »
Mélusine dégluti et entra à
l’intérieur. La porte se referma dans un claquement, et un bruit métallique lui
fit comprendre qu’elle était verrouillée.
Elle refoula ses larmes et
attendit un petit moment de se faire à l’obscurité.
Ça sentait la moisissure, la
poussière, la terre. Les murs étaient froids et humides, et les engrenages du
moulin qu’elle commençait à apercevoir dans l’obscurité étaient couverts de
vieille farine moisie. Un arbuste avait même commencé à pousser entre les dents
d’une grande roue. Une chouette qui n’était pas encore partie chasser hulula et
la regarda s’accroupir au milieu de la pièce ; le ciel et les étoiles
étaient parfois visibles au travers du toit en dentelle et éclairaient
faiblement l’intérieur.
Elle soupira, les bras croisés
autour de ses genoux. Combien de temps devrait-elle attendre ici ? C’était
peut-être un piège. Peut-être allaient-ils l’abandonner là pour toujours, et la
laisser mourir de faim et d’ennuis toute seule. Un frisson de désespoir la
submergea.
Soudain, elle entendit un bruit
étrange. Une sorte de grattement… et un souffle rauque… et plus loin, un grognement…
Une goutte froide et gluante
tomba le long de sa nuque.
Ses cheveux se dressèrent sur sa
tête.
Elle toucha doucement ce qui
coulait à présent dans son dos et le porta à ses yeux et réprima un cri.
Malgré l’obscurité, elle devinait
la couleur du liquide.
C’était rouge.
Elle leva le nez en tremblant,
inquiète de découvrir d’où ce sang provenait, mais elle ne vit aucun cadavre
suspendu au-dessus de sa tête. Cependant, elle se leva et alla se coller contre
le mur le plus proche. Il n’était pas bien solide et plein de trous, les
pierres s’effritaient sous ses coudes, mais ça la rassurait de sentir quelque
chose de dur dans son dos.
Le moindre craquement prenait une
nouvelle dimension. Les ombres s’allongeaient et prenaient des formes
grotesques et effrayantes ; les pièces d’engrenages du moulin avaient la
forme d’appareils de torture où se cachaient des monstres ; et des yeux la
regardaient de partout, ils l’observaient, ils la scrutaient…
Mélusine sentait son cœur
s’emballer, elle essayait de se résonner, se dire qu’il n’y avait rien et que
tout venait de son imagination, mais cela ne faisait que renforcer sa peur.
Toujours plaquée contre le mur,
elle haletait en silence, terrorisée à l’idée que les monstres la remarquent.
Soudain deux mains sorties du mur
lui attrapèrent les épaules ; elle allait hurler quand un objet froid et
visqueux fut projeté sur son visage et retomba sur le sol.
Tétanisée, elle voulu crier mais
aucun son ne sortait de sa gorge ; elle ne parvint qu’à gémir
maladroitement en voyant un énorme crapaud la dévisager.
Elle essaya de se dégager des
mains qui l’enserraient toujours, mais celles-ci ne voulaient pas lâcher prise.
Le crapaud coassa avant de s’en aller en sautillant.
Épuisée, à bout de nerf, elle
s’arrêta de combattre et voulu s’écrouler. Elle ne pouvait lutter contre ces
démons, alors qu’ils la mangent tout de suite et que son calvaire s’arrête
enfin…
Tout en sanglotant, elle baissa
enfin les yeux sur les mains qui l’enserraient.
Elles étaient bleues électriques.
Un pansement avec des avions
ornait même le bout d’un des doigts, et les poignets étaient recouverts de
traînées de couleurs différentes.
Elle retint son souffle et tendit
l’oreille ; elle entendit un petit rire et des chuchotements qui venaient
de l’extérieur…
«… une drôle de tête quand je lui ai envoyé le crapaud... »
«… crie toujours pas. On fait quoi maintenant ? Peut être… »
«… Non c’est trop méchant ça, faut pas abuser sinon… »
«…arrête maintenant ou bien on continue encore un… »
«… crise cardiaque, la pauvre… »
C’était trop fort ! Pendant
tout ce temps ils se payaient sa tête ! Comment avait-elle fait pour ne
pas deviner ! Comment avait-elle fait pour ne pas reconnaître ces deux
abrutis sous leurs draps ?
Ses yeux rougeoyèrent dans le
noir et elle s’arracha des mains qui la retenaient.
Furieuse et essoufflée, elle se
mit à frapper les murs de ses poings en hurlant toute sa rage contre les deux
misérables qui avaient abusé de sa crédulité.
« Vous êtes méchants,
cruels et vicieux ! Vous vous êtes bien amusé, j’espère, parce que quand
je sortirais de là, je vais vous arracher les ailes et vous les faire
manger ! Vous n’êtes que deux abrutis stupides et odieux ! Je vous
DETESTE ! »
Elle continuait à tempêter en
frappant tout ce qui se trouvait à sa portée, quand le grincement de la porte
qui s’ouvrait la rappela à l’ordre. Elle attendit en soufflant que quelqu’un
rentre mais elle ne vit aucune silhouette arriver.
Elle s’approcha de la porte et
mit un nez dehors. Tout était silencieux. Seul un petit pot de gelée de groseille
trônait sur un petit rocher.
Ah ! Les lâches ! Ils
s’étaient enfuis ! Les minables ! Ils avaient même dû faire dans leur
culotte tellement elle avait crié fort ! Ils ne l’embêteraient plus de
sitôt ! Ils ne…
« Aïe ! »
Une pomme de pin rebondit sur sa
tête.
Mélusine se retourna juste à
temps pour voir deux silhouette s’enfuir en rigolant. Elle partit à leur
poursuite en hurlant des insultes ; ils remontaient vers le manoir.
Elle courrait, courrait, à
travers les buissons, se prenait des branches dans la figure, se griffait les
bras dans les fougères, se prenait les pieds dans des racines. Elle manqua de
tomber dans la boue plusieurs fois, mais ne s’arrêta jamais ; elle allait
leur faire payer l’enfer qu’elle venait de vivre.
Elle sortit enfin de la forêt et
vit les deux petites silhouettes rentrer précipitamment dans le manoir ;
elle les coursait toujours. Elle arriva enfin dans les grands escaliers, et
remarqua même qu’ils l’avaient attendu tout en haut. Leurs deux visages radieux
la contemplaient du haut de l’étage. Delacroix lui jeta une dernière pomme de
pin qu’il avait gardée, rigola et ils reprirent tous leur course effrénée.
Elle les vit enfin, assis l’air
de rien en train de déguster des cookies dans la cuisine. Ils lui sourirent.
Déchaînée, elle se précipita sur
Absinthe, lui asséna un coup de poing vengeur dans la mâchoire et la flanqua
par terre pour la secouer de toutes ses forces. Celle-ci lui répondit par des
coups de pieds fous et des cris hystériques, et Delacroix se jeta dans la bagarre
en tapant à gauche et à droite en s’amusant comme un petit diable.
« Non mais c’est fini,
oui ? C’est quoi ces manières ? »
Mélusine se redressa
instinctivement en entendant la voix amusée de Montigny. Il était enfin
rentré ! Mais elle vivement fut ramenée dans la bagarre par Delacroix qui
lui sauta dessus depuis une chaise en annonçant des prises de catch.
« Papa !
Regarde ! Je fais le 619 ! Et la prise du marteau-pilon !
Yahaaaa ! »
« Essaye d’éviter ma
prise du crocodile, misérable ! » la défia Absinthe en lui
enserrant les jambes de toutes ses forces.
Mélusine, voyant que sa colère ne
servait à rien, s’éloigna de la mêlée. Cela n’avait donc mené à rien ?
Elle prit le chocolat chaud que
lui tendait Montigny et but quelques gorgées en regardant la fin du combat.
Égalité, l’arbitre ayant offert à chacun une part de gâteau. Tout le monde se
mit à manger sans bruit.
« Alors, qu’avez-vous
fait pendant mon absence ? Pas trop de bêtises, j’espère… »
Montigny prenait des nouvelles de ses petits monstres.
« On a joué avec
Mélusine » postillonna Absinthe entre deux bouchées.
« Ah ? Vous avez
joué en compagnie de Mélusine ou avec Mélusine ? » Il lança
un petit regard interrogateur à l’intéressée.
Celle-ci prenait son inspiration
pour dire à quel point elle avait été maltraitée, mais Delacroix répondit plus
vite qu’elle.
« C’était TROP bien.
On a fait un super club d’aventuriers supers héros super secrets de la mort qui
tue et on a joué à lui faire peur et maintenant elle fait partie du club mais
en fait on avait pas de club c’était juste pour l’embêter mais en fait on s’est
bien amusé tous ensemble. »
Delacroix avait débité tout ça la
bouche pleine et sans prendre une seule inspiration, les yeux brillants en se
rappelant à quel point il venait de vivre un moment extraordinaire. Puis il se
remit à engloutir sa part de gâteau en faisant des miettes partout.
« Mais ça m’a l’air
très intéressant tout ça ! Il va falloir que vous me racontiez tout en
détail ! »
Ils s’installèrent tous dans le
salon, sur le canapé ou avachi sur l’épais tapis pour partager leur journée,
Delacroix puis Absinthe en premiers.
Mélusine fut très surprise par
leur récit ; elle s’attendait à des moqueries, mais à la place les deux
zozos ne tarissaient pas d’éloge sur le courage de la petite nouvelle. Elle
n’avait pas crié et elle avait même voulu leur mettre une raclée ! Elle
les avait poursuivis à travers toute la forêt ! Et elle s’était battue à
main nue contre un crapaud géant et cracheur de feu qui l’avait attaqué dans le
moulin ! Quelle bravoure !
« Et toi, Mélusine?
J’ai l’impression qu’ils se sont bien amusés, mais toi qu’en
penses-tu ? T’es-tu ennuyée? »
Il fallait bien reconnaître
qu’elle n’avait pas vu le temps passer. Tout était allé très vite. Et en y
repensant, ça faisait une belle aventure ; elle était passée par toutes
les émotions possibles en moins d’une soirée, alors qu’elle s’était un peu
morfondue toute cette semaine. Et ils n’avaient pas l’air si terribles ;
on aurait dit qu’ils avaient manigancé tout ce petit jeu pour la tester, mais
pas méchamment…
Elle aquiesca mais resta
silencieuse sur ce qu’elle avait vécu.
Rassuré, Montigny lui sourit et
demanda ce qu’ils voulaient tous faire à présent. Les deux voyous se mirent à
hurler en même temps, levant les poings et commençant même à se chipoter pour
imposer son idée.
« Un film ! On va
voir un film ! Celui avec le monstre géant ! »
« Nan une
histoire ! Tes films sont trop nuls ! »
« Nan c’est tes
histoires qui sont toutes moisies ! »
« Même pas vrai
d’abord ! C’est toi le moisi ! »
« Répète c’que t’as
dit ! »
« T’es tout moisi et
tes films aussi ! »
Montigny les calma et les sépara
puis proposa d’écouter ce que Mélusine présentait comme activité. Celle-ci ne
pensait à rien, mais un élan d’intrépidité lui fit ouvrir la bouche, comme pour
contester le choix des deux autres.
« Et si on jouait à
quelque chose ? Un jeu tous ensemble ? »
Montigny approuva tout de suite,
suivi des deux enfants. Delacroix sautait partout sur les fauteuils en hurlant
de joie, et Absinthe faisait la liste complète des jeux de société qu’ils
avaient en réserve, afin d’aider Mélusine à bien choisir.
Après moult discussions, un
simple jeu de carte fit l’affaire ; certains jeux étaient encore trop
compliqués pour eux, certains finissaient toujours en querelles abominables à
propos de tricheries, et d’autres étaient incomplets, les pions manquants se
trouvant dans l’estomac de quelqu’un ou disséminé à travers le manoir.
On s’attabla et on sorti un jeu,
un peu abîmé par l’usage. Montigny distribua les cartes ; et tout le monde
fut bientôt silencieux, observant sans se cacher les autres joueurs. On épiait
les moindres gestes, les moindres tics révélateurs, chacun retranché derrière
son jeu. Des regards en coin s’échangeaient ; on toussait ou se raclait la
gorge pour faire croire à une tactique ; et on abattait les cartes d’un
air vainqueur avant de se faire couper le sifflet par un plus fin stratège.
Au début, Mélusine joua en
défense, suivant le jeu selon les cartes qu’on lui imposait et elle perdit beaucoup
de fois. Cependant, elle n’abandonna pas, et plus la soirée avançait, plus elle
parvenait à déchiffrer les tactiques adverses, lui permettant de passer à
l’attaque et de changer le cours de la partie, ce qui avait l’air de réjouir
tout le monde. Plus la partie défilait, et plus elle se détendait, comprenant
les mécanismes de réflexion de ses deux camarades ; Montigny restant un
joueur indéchiffrable.
Delacroix essayait des ruses
complexes, tellement surréalistes qu’elles ne marchaient pratiquement jamais ;
mais cela donnait d’étonnant résultat. Il perdait avec panache, préférant le
style que le résultat, se disait Mélusine.
Absinthe était brève mais
semblait avoir réfléchi ses gestes bien auparavant. Ses manœuvres étaient
simples mais efficaces, loin des méthodes alambiquées de son frère. Elle se
fixait un but et faisait tout pour y arriver, quitte à perdre la presque
totalité de ses cartes pour parvenir à ses fins ; acharnée, cela lui valu
de remporter un bon nombre de manches. Elle ne se vantait pas de ses techniques
et restait très réservée sur son jeu, alors que Delacroix ne pouvait s’empêcher
de pousser des exclamations à chaque nouvelle carte, mettant en garde les
autres contre sa redoutable stratégie qui, cette fois, marcherait à coups sûrs.
La partie dura longtemps, et se
termina dans des éclats de rires et des blagues gentilles ; l’atmosphère
n’était plus ce qu’elle était en début de soirée, quand Mélusine, encore
timide, était arrivée en tremblant. Maintenant elle connaissait les qualités,
forces et faiblesses de chacun. On totalisa les scores, et il advint qu’elle
remportât la partie haut la main, suivie de Montigny, d’Absinthe et finalement
de Delacroix. Beau joueur, il félicita la gagnante et réclama une revanche pour
la nuit prochaine, car le jour allait bientôt se lever.
Mélusine sourit et lui affirma en
rigolant que quoi qu’il fasse, elle le battrait toujours ; Delacroix en
fut ravi et la défia dans un discours grandiose que jamais il
n’abandonnerait , et qu’elle aurait gagné le jour où son cadavre
reposerait à côté du jeu de carte. Mais l’aurore approchait, on avait plus le
temps pour les fanfaronnades, et Montigny les escorta jusque sur le toit, où
chacun prit sa pose.
Le soleil apparut enfin et
transforma en pierre les trois enfants.
Sur le toit, trois statues se
donnaient la main en souriant.
- Louise, 2009
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