Friday, February 5, 2021

FIC - Nanowrimo : Grimm a disparu !



Dernière fanfiction / nouvelle du Clan de Paris écrite en 2014 !

La suite directe de "Une Gargouille a Disparu"



Juin 1997 - Bande son

Return of the Mack - Mark Morrisson

Say you’ll be there - Spice Girls

Your Woman - White Town

Karma Police - Radiohead

Block RockingBeats - Fat boy slim

I love you always - Donna Lewis

Fly - Sugar Ray

Virtual Insanity - Jamiroquai

I believe I can Fly - R. Kelly

To the moon and Back - Savage Garden

Don’t Speak - No Doubt

Song 2 - Blur

Barbie Girl - Aqua

Around the World - Daft Punk



Mots obligatoires : tête de linotte - courgette - branquignole



- GRIMM A DISPARU ! -



1997- Une nuit de Juin


Manoir des Muscari, Vincennes -


Mélusine regarda au loin, se demandant quand Grimm allait revenir. Il allait y avoir des choses à mettre au point.


Mais le temps passait et l’aurore se rapprochait, et toujours pas de traces de la gargouille rouge. Mélusine s’était débarrassé de sa tenue et de ses accessoires de Jedi et était allée voir Isidore Montigny pour le tenir informé de la situation et de lui demander s’il avait eu des nouvelles de Grimm. Mais Père n’avait obtenu aucune information pour le moment, malgré tous les coups de fil qu’il avait passé. Svenn et Delacroix étaient même allés à la recherche de la Gargouille dans le périmètre des Caves saint Sabin mais étaient finalement rentrés bredouilles. Mélusine décida alors d’aller attendre son frère de clan sur la grande terrasse du manoir, là où les gargouilles avaient l’habitude de sombrer dans leur sommeil de pierre. Que pouvait-elle faire de mieux ? Peut être allait-il rentrer par lui même ? Elle regrettait de l’avoir giflé. Mais bon Il l’avait bien cherché après tout, à venir gâcher sa soirée costumée !

Les minutes et les heures passèrent lorsque vinrent poindre les premières lueurs du jour. Absinthe venait de monter elle aussi sur le toit de la propriété et surprit Mélusine assise par terre, les yeux rivés vers l’horizon. Le chemin du retour pouvait être long et semé d’embûches pour une gargouille aux ailes non fonctionnelles.


“Toujours pas de traces de lui ?” demanda la blanche gargouille.

“Non.” répondit l’apprentie sorcière avec un brin de culpabilité dans la voix.

“C’est ma faute s’il est parti comme ça”, poursuivit-elle. “Si je ne l’avais pas giflé et parlé comme je le lui ai parlé…”

“Il n’aurait pas été giflé s’il avait obéi aux ordres. Tu n’as pas à t’en vouloir.”

“Oui mais il est perdu là-bas dehors ! Il ne connaît pas Paris, il ne peut pas planer. Il doit être terrifié !”

“Terrifié ? Grimm ? je le vois mal terrifié !” rétorqua Absinthe en haussant les épaules.


Mélusine fit une moue embêtée.

“Le soleil va bientôt se lever et on ne sait pas où il est.” s’écria-t-elle angoissée. “S’il lui arrive quoi que ce soit, ce sera de ma faute.”

Absinthe posa une main amicale qu’elle voulait réconfortante sur l’épaule de son amie.

“On ne peut rien faire pour le moment. Demain nous irons voir Arnaud pour lui demander son aide.”

“D’accord.” répondit Mélusine.

Toutes deux prirent place sur le faîte et furent rejointes par les autres résidents du manoir : Delacroix et Svenn, désolés de n’avoir pas réussi à retrouver Grimm, Morphine et Richelieu le griffon, tous deux déçus de ne pas avoir fait partie de l’expédition.


“On va le retrouver, Mélusine.” affirma Delacroix.

Cette dernière lui retourna un timide sourire, espérant que ses paroles étaient prophétiques.

Le soleil décida d’apparaître à ce moment précis, figeant les gargouilles dans leur posture sur le toit du manoir.


*** *** ***


Quelque part dans Paris -



Grimm était perdu et épuisé.

La gargouille avait réussi à grimper sur un toit à temps, alors que le soleil était en train de se lever.

Après être parti sur un coup de colère, il avait erré dans les rues de Paris jusqu’à se rendre compte, au moment où sa rage était retombée, qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où il était. Cela ne faisait qu’un an qu’il avait rejoint le manoir de Montigny et Paris était encore une ville inconnue de lui, d’autant plus qu’il était toujours en apprentissage de la langue française. Il s’en voulut d’avoir agi sur le coup de la colère mais maintenant, que faire ? Il n’avait aucun moyen de communiquer avec ses nouveaux amis, aucun moyen de leur dire où il était - Où était-il d’ailleurs ? - Et il ne pouvait pas demander son chemin.

Les rayons du soleil naissant commencèrent à lui lécher le corps, amorçant la transformation inéluctable. Sa peau prit une teinte grisâtre et une dureté minérale, le figeant dans ses réflexions et interrogations, le jetant dans un sommeil de pierre.


*** *** ***

Manoir des Muscari, Vincennes -


Le coucher du soleil survint en fin de soirée suivante et réveilla les résidents du manoir des Muscari dans une effervescence inquiète. Pas de trace de Grimm, pas de nouvelles. Montigny avait rejoint ses protégés pour leur annoncer qu’il était toujours bredouille. Delacroix et Svenn proposèrent de repartir à la recherche de la gargouille aux ailes lacérées.


“Emmenez Richelieu. Peut-être que son odorat pourra vous aider.”, suggéra Absinthe.

Les deux gargouilles firent sentir un vêtement de Grimm trouvé dans sa chambre au griffon et s’envolèrent vers les caves St Sabin, le dernier endroit où il avait été vu.

Mélusine se retourna et se dirigea vers l’intérieur du manoir avec détermination.

“Qu’est ce que tu comptes faire ?” demanda Absinthe qui la suivit.

“Je vais tenter un sort pour le localiser.” répondit-elle avec le plus grand sérieux. Elle s’attendait à ce qu’Absinthe tente de la dissuader d’utiliser son grimoire, comme à son habitude.

“Je vais t’aider.”, s’exclama la gargouille blanche contre toute attente. “Dis moi de quoi tu as besoin.”

“Oh… ok. Il nous faut un plan de paris, un cristal de Bohème et des bougies.” répertoria Mélusine.


“Je vais te chercher le plan.” répondit Absinthe en se dirigeant vers le salon de Père où elle était sûre de trouver ce qu’elle cherchait.


Les bras chargés d’un tas d’objets, Mélusine installa son barda dans le grand salon. Un miroir, un petit poignard dans son étui, des pierres pour former le cercle de rituel, le cristal de Bohème et des cierges.

Absinthe revint vite avec un plan de la capitale et l’étala dans le cercle de pierre, sous les conseils de Mélusine.


La gargouille verte ouvrit le grimoire à la page du sort et relit la formule. Elle sortit de son étui le petit poignard, et s’incisa l’intérieur de la paume en grimaçant un peu et attrapa le cristal dans sa main. Le sang coula le long de la chaîne. Mélusine ferma les yeux, fit le vide dans sa tête et se concentra. Elle tendit la main au dessus du plan de Paris et énonça d’un voix claire et assurée cette sentence latine :


“O tacitum testes, et ad nobis invenire semitam, ut pereat unus de hoc map”

“O tacitum testes, et ad nobis invenire semitam, ut pereat unus de hoc map”

“O tacitum testes, et ad nobis invenire semitam, ut pereat unus de hoc map”


Elle rouvrit les yeux et observa le sang couler lentement le long du cristal qui ondulait et tomber en petites gouttes sur la carte.


“Alors qu’est ce que ça dit ?” chuchota Absinthe.

Mélusine retira le cristal et contempla le plan parsemé de petites tâches rouges.

“Je ne comprends pas trop.” avoua-t-elle déconcertée. “Il y a des marques un peu partout. Ça n’a aucun sens ! La Défense, le Louvre, les tuileries, Bastille, la gare de Lyon... Où doit-on chercher ?”


Mélusine s’affaissa, accablée par le désepoir et sa propre impuissance.

“Je ne sais pas.”, répondit Absinthe. “On pourrait peut-être demander de l’aide à Arnaud ? Avec ses connections, il pourrait peut être nous aider ?”

“Sans doute” répondit l’apprentie sorcière sans grand espoir.

“Allons viens. On le retrouvera d’une façon ou d’une autre.”, s’écria Absinthe en aidant son amie à se relever. Il allait falloir la tirer en avant, s’était-elle dit. Mélusine pouvait être vite dépassée par la situation et totalement démunie. Il fallait que quelqu’un garde la tête froide. Et qui de mieux placée qu’Absinthe ?

Elle tinrent rapidement Montigny au courant de leur recherche au cas où Svenn et Delacroix reviendraient et partirent dans le ciel de Paris en direction du IVeme arrondissement, vers l’appartement du journaliste Arnaud Lanvin.


*** *** ***


Quelque part dans Paris -


Grimm se réveilla au moment où le soleil disparut derrière les immeubles haussmaniens. Il ne se sentait plus épuisé mais il mit quelques secondes à se replacer et réaliser qu’il était toujours perdu. Il poussa un soupir, se releva et regarda autour de lui. Il avait choisi un bâtiment plutôt en hauteur, ce qui lui permit d’avoir une bonne vision des alentours. Certes il pouvait voir quelques monuments en fond, mais rien ne lui indiquait par où se situait le manoir de Montigny. Il s’en voulut d’avoir un si piètre sens de l’orientation. Il repéra toutefois une grande tour couronnée d’une énorme horloge. Il pouvait commencer par ça.

De par son “handicap” - En effet, il avait les ailes lacérées à cause de la maltraitance de ses anciens “propriétaires” - il ne pouvait planer jusqu’à sa destination, aussi s’arrangea-t-il pour sauter de bâtiments en bâtiments. Il avait l’habitude depuis le temps. Mais il réalisa aussi à quel point l’aide de Svenn lorsqu’il le transportait était à ce point précieuse et que cela lui manquait même s’il ne voulait pas se l’avouer. C’est quand on est en l’absence d’un certain confort qu’on se rend compte de son importance.

Combien de fois s’était-il retrouvé frustré par son incapacité à planer ? A se retrouver dépendant des autres ? Sa propre faiblesse lui était intolérable. Mais que pouvait-il y faire ? Ce n’est pas comme s’il n’avait jamais espéré en entrant dans un sommeil de pierre qu’à son réveil, son problème soit fixé ! Mais les dégâts que ces skinheads avaient faits étaient irréversibles. Du moins c’est ce que Montigny lui avait dit.


Avec difficulté, il se rapprocha de cette grande tour et crut un bon nombre de fois qu’il n’y arriverait pas ! Les boulevards étaient si grands qu’il ne pouvait pas les traverser. Il avait du faire des détours inimaginables pour éviter de devoir se balader sur le trottoir à la vue des passants. Surtout que même par cette heure tardive, les rues étaient encore noires de monde.

Il arriva enfin à proximité de cette tour en question, essoufflé et réussit à se faufiler au niveau de l’horloge. De là où il était, il put avoir une vue panoramique. Il se rendit alors compte qu’il s’agissait d’une gare. Des trains au nez fuselé en sortaient à douce allure pour rejoindre leur lointaine destination, les passagers couraient de tous les côtés, avec ou sans bagages. Grimm tendit l’oreille et entendit la voix sans âme des annonces de la gare.


“Ta ta daaaa da - Le TGV en provenance de Annecy va rentrer en gare voie 15. Le TGV en provenance de Annecy va rentrer en gare voie 15. Merci !”

“Vous êtes arrivés à la Gare de Lyon. Veillez à ne pas oublier de bagage à bord du train. Merci !”


Que faire. Rester là ? Attendre que quelqu’un vienne le chercher alors que personne ne pouvait le localiser ? En plus son ventre commençait à lui rappeler qu’il n’avait rien mangé depuis la nuit dernière. Et puis ce n’est pas comme s’il avait des francs sur lui pour aller acheter un sandwich ! Qui irait lui servir un sandwich d’ailleurs ? Il attendrait encore un peu pour descendre de son perchoir et aller fouiller dans les poubelles des restaurants aux alentours. Peut être trouverait-il des restes de plats que les clients n’avaient pas voulu ou des épluchures de légumes. Les restes de courgettes et les aubergines constituaient un repas de roi pour celui qui a faim !


Avec ce plan en tête, il n’avait plus qu’à attendre. Il grimpa alors encore quelques mètres au dessus de la grosse horloge pour s’installer sur le petit balcon tout au sommet. Il n’avait que ça à faire de toute façon.


*** *** ***


Appartement de Arnaud Lanvin, Paris 4e - près de minuit



Mélusine et Absinthe arrivèrent en vue de l’appartement de Arnaud Lanvin au coeur du IVe arrondissement de Paris. Entre le centre Pompidou et les Archives Nationales, Arnaud Lanvin, journaliste au “Ponctuel” de son état, résidait dans un appartement rue du Plâtre, au coeur du coeur de Paris. Par chance, il habitait au dernier étage de son immeuble et de fait, possédait une petite terrasse sans vis à vis.


Mélusine et Absinthe atterrirent sur la terrasse en question et jetèrent un oeil à l’intérieur pour vérifier qu’Arnaud était chez lui et seul. Il était déjà arrivé une fois qu’elles soient arrivées au mauvais moment où Arnaud était en galante compagnie. Elles n’avaient pas refait deux fois la même erreur.


Mélusine frappa à la vitre deux coups, puis trois coups puis quatre. C’était leur code.

Après quelques instants, Arnaud vint ouvrir la porte fenêtre. C’était un homme à la fin de la trentaine, à la mèche rebelle de journaliste et au regard incisif aux prunelles foncées. Il était simplement habillé d’un polo et d’un jean. Son sempiternel blouson en cuir que n’aurait pas renié Christophe Hondelatte, reposait sur le dossier du canapé.


“Mélusine ? Absinthe ? Je ne vous attendais pas ! Que se passe-t-il ?” s’étonna-t-il.


Mélusine était sur le point de fondre en larmes.

“Il a disparu ! Il faut que tu nous aides !”


“Quoi ? Qui a disparu ? Viens t’asseoir à l’intérieur. Explique-moi.”


Mélusine obéit, mais ce fut Absinthe qui se chargea d’éclairer la situation là où la gargouille verte échouait à répondre sous le coup de l’émotion.


“Grimm a disparu.” Expliqua-t-elle tandis que Mélusine était en train de sangloter. “Il est parti hier soir alors que nous étions aux Caves Saint Sabin, et depuis plus de nouvelles. Il n’est pas revenu, Delacroix et Svenn ont fait des rondes du côté des Caves mais n’ont pas trouvé le moindre indice et même Père… je veux dire le professeur Montigny n’a pas réussi à faire jouer ses relations et ses indics pour le retrouver. On ne sait pas où le chercher ni par où commencer. Tu pourrais nous aider ?”


Lanvin se frotta le menton en réfléchissant.


“Grimm, c’est la gargouille toujours en colère ?”


“Oui ça le décrit plutôt bien !” acquiesça Absinthe “Il ne peut pas planer ni se déplacer par les airs et il s’énerve facilement. Il n’est chez nous que depuis un an, il ne connait pas la ville et parle plus allemand que français. Si on ne le retrouve pas bientôt, ça pourrait être dangereux pour les humains dans la rue.”


“Non ! Il ne ferait pas de mal à une mouche !” s’insurgea Mélusine.


“Voyons Mélusine. Réveille-toi !”, Rétorqua Absinthe. “C’est une ancienne brute, utilisée par des skin heads pour casser la gueule de leurs ennemis. Que tu le veuilles ou non, il est dangereux pour les humains. Il est explosif et peut partir dans un claquement de doigts.”


“C’est faux ! Il n’est plus comme ça.” protesta Mélusine d’une voix moins assurée qu’elle ne l’aurait voulu.


Absinthe roula les yeux dans les orbites. Comme Mélusine pouvait être têtue ! Il n’y a pas plus aveugle que celui (ou celle) qui ne veut pas voir ! Elle se retourna vers le journaliste.


“Il est parti en berserk la nuit dernière parce qu’un humain était en train de flirter avec Mélusine…” expliqua-t-elle.


“Hmm ok…” répondit-il. Il prit quelques minutes pour réfléchir à ses options.

En effet une gargouille de ce type pouvait être dangereuse pour elle et pour les autres.


“Je vais voir avec mes contacts dans les rues. Avec un peu de chance, quelqu’un aura vu quelque chose ! Et peut être aussi Blanche, tiens. S’il y a quelqu’un au courant des trucs bizarres qui se passent à Paris, c’est bien elle !” s’écria-t-il. “Laissez moi le temps de passer quelques coups de fil. Revenez dans deux heures, j’aurai peut être des nouvelles.”


Absinthe et Mélusine hochèrent de la tête.


“Ça va aller, Mélusine. On va le retrouver.” affirma le journaliste en prenant ses mains dans les siennes. La gargouille eut un faible sourire en retour.


“Allez viens. On retourne au manoir.” s’écria Absinthe. “Peut être que Delacroix et Svenn seront de retour avec de bonnes nouvelles.


“Je préfère aller aux Caves. On retrouvera Delacroix et Svenn là bas.”


“Ok Allons-y.” concéda Absinthe. “Arnaud, on revient dans deux heures Arnaud. A tout à l’heure.”


Arnaud Lanvin hocha de la tête et prit le téléphone.

Les deux gargouilles décollèrent du toit et se dirigèrent vers l’Est de la capitale.


*** *** ***


Gare de Lyon, Paris 12e -


L’horloge de la gare de Lyon sonna bruyamment deux heures du matin. Les locaux s’étaient lentement vidé de leurs passagers après le départ des derniers trains. Grimm en profita pour descendre de son nid d’aigle et se faufila jusqu’aux portes arrières des différentes brasseries de la gare. Aussi espérait-il calmer son estomac en colère.


Il dut faire demi-tour les deux premières fois car les poubelles étaient déjà explorées par les sans-abris du coin. La troisième fut la bonne. A l’arrière d’un petit monoprix, il réussit à trouver des paquets de jambon que le supermarché avait décidé de jeter à cause de la proximité de la date de péremption. Ceci fit l’affaire de la gargouille qui en avala deux paquets, accompagnés de quelques fruits un peu endommagés mais encore tout à fait mangeable. C’était bien mieux que ce qu’il avait l’habitude de manger lorsqu’il était enfermé dans sa cage en Allemagne.

Il avait beau être bien loti depuis qu’il avait été recueilli par Montigny et trouvé un semblant de clan. Il mangeait et était traité plus que correctement, il n’était plus persécuté par ses bourreaux au crâne rasé, il était libre. Mais paradoxalement, la liberté s’était accompagnée de doutes et de questions. Maintenant, il se sentait démuni, vide de sens. Après avoir passé plusieurs années à n’avoir qu’une seule fonction, celle d’un chien d’attaque qu’on lançait sur ses concurrents, il se trouvait libre de ses mouvements mais n’avait plus aucune utilité ni but dans la vie. Comment gérer ça ?

Depuis, il passait son temps dans la salle de sports du manoir, passant ses nerfs sur le sac de sable et les appareils de fitness, toujours énervé mais contre quoi ? Contre qui ? Il se sentait de plus en plus dans une impasse sans savoir comment en sortir.


Un bruit de moteur et de portière qui claque retentirent soudain et le firent sortir de ses pensées. Il se jeta dans l’ombre de la benne à ordures pour éviter d’être repéré.

Deux hommes casqués et habillés de sombre passèrent devant l’entrée de la ruelle et furent suivis après quelques secondes par un camion sombre lui aussi mais au logo parfaitement reconnaissable : un croissant de lune et un point encerclés. Grimm eut l’impression de reconnaître cet emblème sans pour autant pouvoir le replacer. Il faut dire qu’il n’avait pas une mémoire d’éléphant...

Il se rapprocha de l’entrée de la ruelle et observa le ballet des hommes vêtus de noir. Il y avait là cinq camions qui se suivaient, accompagnés chacun par trois hommes en noir et tous se dirigeaient vers les rails et plus loin sans doute, les entrepôts de la gare de Lyon. Grimm décida de les suivre pour comprendre ce qu’il se passait. Ce convoi avait l’air louche, ce logo qu’il n’arrivait pas à reconnaître, et un pressentiment au creux du ventre. Et puis il fallait dire qu’il n’avait pas grand chose à faire à part attendre une cavalerie qui peut être n’arriverait jamais !


La Gargouille grimpa à la seule aide de ses griffes sur les murs et se mit en hauteur pour mieux apprécier la situation. Comme il se le disait, les camions se dirigeaient au delà des quais, vers un entrepôt de marchandises appartenant à la SNCF. Tout autour, des trains de frêts étaient parqués, des wagons couverts de graffs semblaient abandonnés. Encore plus louche !

Le convoi atteignit les abords d’un train de marchandises où attendaient d’autres individus. Un homme aux traits burinés, l’air peu aimable, habillé d’un pull noir et d’un long manteau (étrange en cette période de l’année) et la clope au bec se démarquait des autres car il se dégageait de lui une certaine autorité, et puis c’était le seul homme non casqué.

Grimm profita de la couverture de la nuit pour se cacher derrière un wagon aux lettres urbaines et colorées pour épier la conversation.


“Vous êtes en retard !” s’écria l’homme à la cigarette.


“On a du faire des détours pour éviter d’être repérés...Vous savez… avec Pénélope Nocturne dans le coin” répondit l’un des hommes de main. Il avait du retirer son casque parce qu’il parlait à l’air libre, devina Grimm. Peut être leur chef ?


“Vous êtes en retard. Point. Et vous savez comme la patronne a horreur du retard pour ses “livraisons”.”


“Oui M’sieur”


“Alors, chargez moi tout ça, qu’on retourne au bercail !” aboya l’homme au pull noir


Les hommes obéirent et certains ouvrirent le wagon le plus proche tandis que les autres préparaient les camions pour la marchandise, sous la supervision de l’homme à la cigarette.


“Allez on se dépêche sinon on y est encore demain !!” beugla-t-il en frappant dans ses mains.


Des personnes abrités sous des espèces de couvertures descendirent du train et furent emmenés jusqu’aux camions. Des dizaines de personnes. En observant plus attentivement, Grimm vit dépasser ici une queue de sous le plaid et là des pattes caractéristiques. La gargouille rouge ne savait pas quoi penser. Ce fut lorsqu’un des individus encapuchonnés se tourna et que Grimm vit son visage qu’il manqua de tomber de son perchoir.


“Morphine ?”


Qu’est ce que la gargouille ado fichait ici ? La dernière fois qu’il l’avait vue, elle était tranquillement au manoir, en train de jouer à sa game boy. Avait-elle été enlevée ? Elle était l’une des pensionnaires du manoir que grimm appréciait le plus, même s’il n’en disait rien. Il aimait son côté j’m’enfoutiste et boudeur que prenait souvent l’adolescente.


Il se dit que la meilleure chose à faire, c’était de suivre le convoi de camions et voir ce qu’ils voulaient à Morphine. Grimm attendit que le transfert de “marchandise” soit terminé. L’homme à la cigarette grimpa dans le camion de tête et lança le coup d’envoi du trajet. Grimm en profita pour descendre de son mur et sauter sur l’un des camions tandis qu’ils se mettaient en marche pour Dieu-sait-où.


Il espéra qu’il avait fait le bon choix mais tant pis.


*** *** ***


Appartement de Arnaud Lanvin, Paris 4e -


Mélusine et Absinthe revinrent à l’appartement d’Arnaud Lanvin deux heures après sans plus de nouvelles. Svenn et Delacroix avait écumé tout le quartier des caves et n’avaient rien trouvé. Ils avaient décidé de retourner vers le manoir pour voir ce qu’il était possible de faire de là bas.

Aussi espéraient-elles qu’Arnaud ait trouvé quelque chose. Une trace, un témoignage, tout était bon à prendre.


Absinthe refit le code en frappant à la baie vitrée et le journaliste vint leur ouvrir.


“Alors ?” demanda-t-il.


“Nada. Il s’est évanoui dans la nature.” Répondit Mélusine. “On espérait que tu aies plus de nouvelles.”


Arnaud fit une moue qui n’était pas bien engageante.


“Pas vraiment j’en ai peur. Personne dans mes contacts sur le terrain n’ont entendu parler de grosse bête ou n’ont été témoins de quoi que ce soit. Mon indic m’a juste dit qu’apparemment “Destiny Developments” était en pleine effervescence et préparait un nouveau coup mais je n’en sais pas plus et je ne pense pas que cela concerne votre ami. Je suis désolé.” répondit-il visiblement contrit.


Mélusine passa de l’espoir à la déprime. Arnaud vint lui mettre une main chaleureuse sur l’épaule.


“Je vais continuer à chercher de mon côté et je vous avertirai dès que j’ai une piste.” assura-t-il. “On finira par le trouver ! Une gargouille comme lui ne passe pas longtemps inaperçu !”


Après quelques instants de silence, Mélusine se tourna vers Absinthe en désespoire de cause et soupira un grand coup.


“Que fait-on maintenant ?” demanda-t-elle.


“Rentrons au manoir. Dès que nous aurons une piste, nous partirons à sa recherche. Et s’il se passe quoi que ce soit en journée pendant que l’on sommeille, Père et Arnaud s’occuperont de tout.”


Blasée et n’ayant pas d’autres options, en toute honneteté, elle hocha de la tête.


“Très bien. Rentrons à la maison. Je vais retenter un sort de localisation. Peut être qu’il sera plus efficace que l’autre…” annonça-t-elle.


“Merci Arnaud.”, murmura l’apprentie sorcière en passant près du journaliste. Elle se dirigea vers la terrasse et s’envola.


Absinthe la suivait à quelques secondes d’écart.


*** *** ***


Quelque part sur le boulevard périphérique


Grimm se cramponnait à la structure du toit du camion, essayant de se stabiliser avec ses ailes endommagées et sa queue. Le convoi roulait à vive allure, mais juste assez pour ne pas être inquiétés par la police par un simple excès de vitesse. La circulation était fluide et la procession n’eut pas besoin d’une heure entière pour gagner leur destination. Grimm ne connaissait pas cet endroit, n’y avait jamais mis les pattes. Il s’agissait un regroupement assez impressionnant de buildings de verre et d’acier grands comme des falaises dont certains étaient encore cernés de grues de construction. Le quartier était en pleine expansion et les gratte-ciel y poussaient comme des champignons. Les routes s’y croisaient et se recroisaient dans un entrelacement de béton compliqué. Les camions se dirigèrent vers un building en particulier, l’une des plus grandes tours, un peu plus petite que la Tour Montparnasse mais dont l’architecture audacieuse lui valait le surnom de “la Tour de verre” par les employés des bureaux du quartier d’affaires de la capitale. Du haut de ses quarante-deux étages, elle régnait sur la Défense sans partage. Un logo blanc géant se détachait sur les fenêtres sombres : un croissant de lune et un point encerclés. Diable ! Où avait-il vu ce logo ?


Les camions s’engouffrèrent dans les sous-sols de la tour Destine et s’y garèrent les uns derrière les autres. A leur droite, une plate-forme en métal trônait sur le parking et abritait les locaux de la sécurité et les voies d’accès vers l’intérieur du building et les étages supérieurs.

L’homme à la cigarette sauta au bas de son véhicule et aboya ses ordres.


“Allez déchargez-moi ça ! Hop hop hop on se bouge !” hurla-t-il comme s’il ne connaissait que ce moyen de communication.


Les hauts parleurs se mirent à grésiller et laissèrent entendre une voix de femme, au tons graves et froids.


“Emmenez-les dans les “appartements” du 10e sous-sol, Anthony.”


“Bien M’dame !” répondit à voix haute l’homme à la cigarette.


Grimm profita que son camion s’arrête pour sauter sur le mur le plus proche et se mettre à l’abri dans l’ombre des poutrelles métalliques. Où en plus il pouvait avoir une vue d’ensemble sur ce qu’il se passait.


Les hommes de mains encasqués ouvrirent les portes des véhicules et firent descendre “la marchandise” : des dizaines d’individus encapuchonnés dont l’un était, il en était sûr, la petite Morphine du manoir. S’il réussissait à la délivrer, peut être pourrait-il mieux s’intégrer dans ce clan, ne plus passer pour la brute ignoble qu’il avait été dans son passé - et qu’il essayait de ne plus être.


Quelque chose lui paraissait vraiment bizarre à propos de ces prisonniers. Une impression générale qu’il ne s’expliquait pas pour le moment. Déjà, le fait qu’ils soient tous cachés à la vue de tout le monde mettait la puce à l’oreille, il fallait bien l’avouer.


Le haut parleur se remit à grésiller.

“Vous avez un visiteur, incapable. Occupez-vous en !” s’écria la voix féminine avec une once de mépris.

Les sirènes se mirent à hurler tandis que les lumières éclairèrent le hangar d’une teinte rouge aveuglante. Les hommes de main mirent automatiquement la main sur leur holster. Certains accélérèrent le pas pour mettre la “marchandise” à l’abri et d’autres déguainèrent leur lampe de torche, balayant tout d’abord les alentours des camions pour trouver l’intrus. Grimm se dit qu’il n’était peut être pas bon de rester là. Il avait oublié les caméras de surveillance, idiot qu’il était. Décidément il n’était pas très doué tout seul.


“Là haut ! regardez !” cria une voix au sol.


Plusieurs faisceaux de lumière se fixèrent sur la gargouille.


“Mon dieu mais qu’est ce que c’est que ce truc ?!”


Grimm surgit de sa cachette, et tenta de se mettre hors de portée en suivant le mur et le plafond. Dès qu’il bougea et défia les lois de la gravité les sbires prirent peur et les balles sifflèrent près de ses oreilles.


“Scheise” s’écria-t-il.


Heureusement était-il rapide et agile !


Il réussit à se mettre à l’abri derrière une poutrelle qui faisait bouclier et renvoyait les balles que pouvaient envoyer les hommes en noirs.


Une nouvelle salve le fit sortir précipitamment de sa cachette mais la gargouille rouge se prit les pattes dans ses ailes et s’écrasa à terre.

Très vite, il fut entouré de soldats armes au poing qui le mettaient en joug. Grimm se mit à grogner, montrant les crocs, les yeux s’illuminant de blanc.

Le dénommé Anthony se rapprocha et sortit de sous son long manteau un pistolet auquel il rajouta un silencieux.


“Je m’en occupe, M’dame !” s’écria-t-il, un rictus au bord des lèvres. “Ça me rappelle mon dernier safari en Tanzanie. Le lion n’a pas fait long feu mon pote !” ajouta-t-il avec le bagout de celui qui est habitué aux armes et à tuer. Ou bien qui avait trop regardé les vieux films de Belmondo ou de Sylvester Stallone.


“Non, idiot !” crépita le haut parleur. “Immobilisez-le et amenez-le moi.”


Anthony eut un mouvement de recul, visiblement déçu de ne pas avoir appuyé sur la gâchette. Mais la boss était celle qui le payait.


“Bien M’dame.” bougonna-t-il. “Dimitri, attache-le.”



Une énorme armoire à glace se rapprocha et lui mit les bras dans le dos avant de les ligoter serré. Grimm tenta bien de se débattre et d’attaquer son adversaire, faisant fi des armes qui le visaient toujours mais un coup de poing bien placé le mit au tapis.


“Bon, il ne va pas nous emmerder longtemps le branquignole !?”, s’exclama Anthony qui se massa et secoua sa main endolorie.


Grimm perdit connaissance.


*** *** ***


Tour Destine, 42e étage - entre trois heures et quatre heures du matin


Grimm se réveilla avec une douleur lancinante dans la mâchoire et une vue trouble. Il gémit en essayant de se remettre d’aplomb et remarqua qu’il n’était plus entravé. Un rapide coup d’oeil aux alentours malgré une vision brouillée lui permit de s’apercevoir qu’il n’était pas dans une entreprise mais dans un appartement . Cossu même pouvait-on dire ! Il s’était éveillé sur un tapis bigarré et doux, sans doute originaire de Turquie. A côté de lui siégeaient un immense canapé de cuir en arc de cercle et une table toute en métal et en verre. ici et là trônaient des oeuvres d’art : une statue d’apparence grecque dont les bras avaient disparu, un masque africain, des tableaux aux murs. Il ne s’était pas attendu à un tel spectacle tout en haut d’une tour d’affaires !


“Ah, tu es réveillé !” survint une voix à l’arrière.


Grimm se retourna précipitamment et manqua de peu d’exploser la table basse avec sa queue.


Derrière lui se dressait une gargouille femelle en pleine force de l’âge. La peau d’un bleu soutenu, des cheveux de feu en bataille derrière un diadème doré, une force et une prestance indéniable, uniquement vêtue d’un pagne et d’une brassière qui faisait anachronique dans une pièce comme celle-ci.


“Tu as faim ?” demanda-t-elle en présentant une assiette pleine de victuailles.


Il reconnut la voix qui parlait à travers les hauts parleurs.


“Que me voulez-vous ?” souffla-t-il avec un accent teuton qu’il n’arrivait pas encore à effacer.



“Humm Berlinois ?” constata-t-elle.



Voyant que Grimm ne répondait pas, la gargouille bleue s’approcha et déposa l’assiette sur la table basse et s’installa sur le canapé. Elle attrapa un raisin entre ses doigts et observa son interlocuteur tandis qu’elle croqua le fruit. Elle tapota la place sur le canapé à côté d’elle et avança l’assiette sur la table.


“N’as-tu pas faim ? Tu sembles épuisé.”


Grimm la dévisagea encore quelques instants, se demandant ce qu’une gargouille faisait au dernier étage de cette tour et ce qu’elle lui voulait. Mais la faim était tenace. Il resta debout mais tendit la main vers la nourriture.


“Quel est ton nom, mon frère ?” demanda-t-elle.


Grimm leva les yeux et finit par répondre entre deux bouchées.


“Grimm ? Moi on m’appelle Démona. D’où viens-tu Grimm ? Je n’ai pas l’habitude de voir des gargouilles dans le ciel de Paris, mis à part celles de Notre Dame mais celles-ci ne respirent pas !”


Quelque chose en lui lui dit qu’il ne fallait pas lui répondre et parler des autres pensionnaires des Muscari, ni de Montigny.


“Je vis ici et là.” mentit-il. “Je suis venu de Düsseldorf depuis quelques mois. Je vis dans la rue depuis.”


Son interlocutrice ne put réprimer un sourire, qui disparut rapidement lorsqu’elle remarqua l’état des ailes.


“Qui t’as fait ça ?” s’insurgea-t-elle d’une colère froide en touchant un bout d’aile alors que Grimm se penchait pour attraper une cuisse de poulet juteuse. Il eut un mouvement de recul, n’appréciant pas que quelqu’un essaye de toucher ses ailes blessées.


“C’est….c’est vieux ça. Ja !” bougonna-t-il.


“Ce sont les humains qui t’ont fait subir ça.” déclara-t-elle, la colère à fleur de peau. Ça ne ressemblait pas à une question, mais plutôt à une affirmation.


Grimm ne répondit pas mais hocha doucement de la tête.


Elle se mit à grogner de rage, ses yeux commençant à luire d’une lueur rougeâtre.


“Toujours les humains.” articula-t-elle en tapant du poing sur la table.


Grimm l’observa sans lui répondre. Il ne savait toujours pas que penser de cette… Demona. C’était une gargouille, et par nature, il avait tendance à faire plus confiance à son espèce que celle des humains. Mis à part Montigny. Il n’avait eu à faire qu’à de piètres exemples de l’espèce humaine jusqu’à maintenant. Mais de l’autre côté, cette gargouille se trouvait dans un penthouse au sommet d’une tour et d’une entreprise qui trempait dans des affaires douteuses.


“C’est à vous cette piaule ?” demanda-t-il.


Demona reprit ses esprits, ses yeux reprirent un aspect normal et elle se força à se détendre, se reposant sur l’assise du canapé. Un sourire énigmatique vint souligner sa bouche.


“Oui... et non c’est un peu compliqué.” répondit-elle.


Grimm ne relança pas. Ce n’était pas un grand parleur et ne voulait pas forcément lancer une discussion avec quelqu’un qui visiblement ne voulait pas répondre.


“Puisque nous en sommes aux questions, Grimm”, enchaîna la gargouille bleue “Pourrais-tu m’expliquer ce que tu faisais caché dans mon hangar ?”


Instinctivement ,il sentit le danger derrière cette question. Il décida de mentir et répondit dans un français teinté d’allemand :


“Je me suis perdu dans la nuit alors que j’étais poursuivi par des SDF. Comme je vous disais je suis arrivé à Paris il y a quelques mois. Je suis parti d’Allemagne pour échapper… à ceux qui m’ont fait ça.” expliqua-t-il en indiquant ses ailes “Je me suis réfugié dans un des wagons à la gare de Lyon. Sauf qu’ils m’ont retrouvé et je me suis caché dans un des camions pour les semer. Et le camion a démarré, et je me suis retrouvé dans votre hangar. Quand j’ai vu tous vos hommes, j’ai pris peur et je me suis caché. C’est tout.”


Demona le regarda dans les yeux, comme si elle essayait de deviner s’il disait la vérité ou non. Grimm ne savait pas si elle était au courant de l’existence du reste de son clan d’adoption mais quelque chose lui suggérait que c’était très bien ainsi.


“Très bien… Grimm. Tu dois être épuisé après une telle nuit et tu peux rester ici si tu le souhaites. Tu n’as pas besoin de retourner dans la rue. Il est hors de question que je laisse l’un des nôtres se faire persécuter par des humains sous ma garde. Et en plus le jour va bientôt arriver. Tu peux t’installer sur ma terrasse. Ma douche est là également si tu en as envie.” déclara-t-elle avec chaleur.


“Merci, madame.”


“Appelle-moi Demona.”


“Merci… Demona. Ce serait avec plaisir si je pouvais emprunter votre douche, en effet.”


“Viens, je t’y conduis.”


Les gargouilles n’avaient pas besoin de douche, techniquement, puisque l’action du sommeil de pierre suffisait à les débarrasser des poussières et des saletés emmagasinées toutes les nuits. Mais le confort moderne avait son charme et Demona n’était pas contre les bienfaits de cette époque. Surtout lorsque sa richesse personnelle lui permettait de s’offrir une salle de bain à sa taille.

De son côté, Grimm appréciait également les plaisirs d’un bain ou d’une douche après en avoir été privé pendant tant d’années. Et puis on était loin du lavage au karcher de cette triste période...


*** *** ***


Tour Destine, 42e étage - Neuf heures du matin



Le soleil s’était levé sur une journée à la météo mitigée. Les nuages encombraient le ciel de Paris et de petites averses tombaient aléatoirement. Le genre de pluie discontinue où l’on se demande si l’on sort avec son parapluie ou non.


La vie avait repris dans le quartier de la Défense et les petites fourmis travailleuses avaient rempli l’espace, tandis que les RER, les métro et les bus vomissaient à intervalles réguliers leurs flots ininterrompus de navetteurs.


Grimm avait pris place sur la terrasse du quarante-deuxième étage de la Tour Destine au moment où le soleil avait pointé son nez sur l’horizon. Une pose simple, sans superflu et sans chichi, simplement appuyé sur un genou, regardant au loin.


Une pose que n’aurait pas renié une ancienne connaissance, s’était dit Demona qui, avec l’apparition du jour, était devenue Dominique Destine, perdant ses attributs de Gargoyles avec l’aube. La patronne de Destiny Developments profitait d’une tasse de café, vêtue d’une longue robe de chambre, profitant de la tranquillité de sa terrasse, loin des brouhahas du sol, avant de vaquer à ses occupations de PDG extrêmement nombreuses. Réunions, vidéo-conférence avec les États-Unis, plannings et encore réunions. Ce que ces humains étaient fans de réunions !


Une musique classique retentit, indiquant un visiteur à la porte. Dominique Destine se dirigea vers l’entrée, à l’autre bout de l’appartement, toujours dans son déshabillé de soie. Elle poussa les verrous et ouvrit pour faire face à Anthony Mercier, le chef des Destiny Special Ops, l’homme à la cigarette qui eut un sourire entendu en voyant l’apparence de sa patronne.

La Demona qui sommeillait en elle se dit qu’elle lui retirerait bien son sourire de son visage dès qu’elle en aurait l’occasion. Mais pour le moment elle avait besoin d’un homme à poigne pour gérer ses hommes de main.


“Vous m’avez fait demander, Madame Destine ?” demanda-t-il avec un rictus au coin de la bouche qui en voulait dire long.


Dominique Destine le regarda avec tout le mépris qu’elle pouvait montrer.


“Pas pour ce que vous espérez, Anthony. Entrez, mais ne touchez à rien.” rétorqua-t-elle.


Elle recula pour le laisser rentrer mais ne prit pas la peine d’ouvrir plus la porte lui indiquant clairement son mécontentement. Il allait falloir qu’il se souvienne qui était le boss et qu’il laisse son sexisme de beauf au vestiaire.


“Je vous ai appelé pour vous signifier que je suis extrêmement déçu de vos services. Vous avez failli faire capoter le dernier arrivage en laissant un intrus pénétrer dans les locaux et en ne maîtrisant pas vos troupes qui ont commencé à tirer partout au risque de blesser ma marchandise. Et cela c’est inacceptable.” déclara-t-elle en le regardant droit dans les yeux.


L’homme, pris au dépourvu essaya de bredouiller une quelconque excuse que la jeune femme ne prit même pas la peine d’écouter.


“Je me fiche de connaître vos raisons” continua-t-elle. “Ce que je veux et ce pour quoi je vous paye c’est un travail bien fait. Et pour le moment il ne l’est pas.”


“Oui.”


“Oui quoi ?”


“Oui M’dame.”


“Ah, mieux !” conclut-elle. “Bien. Nous aurons un nouvel arrivage dans trois jours. D’ici là, tâchez de mieux le préparer cette fois-ci. S’il y a la moindre fausse note, vous pourrez dire adieu à ce poste et à vos honoraires. Me suis-je bien fait comprendre !”


“Oui Madame. J’y vais de ce pas.” souffla-t-il.


“Bien. C’est ce que j’espérai entendre. Vous pouvez...” Elle ne finit pas sa phrase mais indiqua la sortie de la main, avant de se tourner pour signifier la fin de la conversation et pour finir son café.


Elle entendit la porte se claquer. Il n’allait pas falloir que cet énergumène commence à prendre ses aises. De toute façon, avec elle, ça ne risquait pas. De toute façon, à la moindre incartade, il aurait affaire à Thailog qui s’occuperait à sa façon de la situation.


Dominique Destine retourna vers la terrasse pour profiter des dernières gouttes de son café. Son regard fut attiré une nouvelle fois par la silhouette massive de Grimm.

Que faisait cette gargouille ici ? Etait-il lié à ce clan qui la gênait pendant certaines de ses opérations secrètes comme des cailloux dans sa chaussure ?

Pour l’instant elle ne pouvait l’affirmer. Mais Il n’y avait pas trente six gargouilles en vie dans la vieille capitale et elle comptait bien le garder à l’oeil. En parlant d’oeil, le sien se posa ensuite sur les ailes lacérées de la créature et quelque chose en elle se pinça. Un reste, une bribe d’empathie l’envahit et se retira aussitôt comme une vague timide. Ces humains étaient vraiment des plaies pour ceux de sa race. Encore une preuve s’il en fallait encore.


Prise d’une idée soudaine, elle se dirigea vers son bureau et appuya sur un bouton du téléphone.


“ Oui madame Destine ?” s’écria une petite voix fluette.


“Appelez-moi les bureaux de Cyberbiotics à Londres, s’il vous plait Louise.” ordonna Dominique Destine à sa secrétaire.


“Bien madame !”, répondit la dénommée Louise.


*** *** ***


Manoir Montigny - Vincennes - 22 heures


A Vincennes, le manoir se réveilla après une seconde journée d’angoisse. Grimm n’était toujours pas rentré et l’on n’avait toujours pas de trace de lui. Mélusine était au fond du gouffre. A son réveil, elle avait encore retenté un sortilège de localisation qui avait donné peu ou prou le même résultat que les fois précédentes.

Absinthe et Delacroix ne savaient plus quoi faire pour remonter le moral de leur soeur de clan. Même Richelieu sentant que quelque chose ne tournait pas rond vint en roucoulant frotter une tête réconfortante contre les jambes de l’apprentie sorcière. Morphine quant à elle restait aveugle et sourde à la détresse ambiante et jouait à sa game boy dans le salon.


Vingt-deux heures sonnèrent à la pendule du salon lorsque la sonnette du portail retentit. Un système innovateur de vidéophone leur permit de voir qu’Arnaud Lanvin attendait à l’entrée. Le portail électrique se mit en branle, laissant entrer le journaliste dans la propriété.

Après quelques minutes, le temps qu’Arnaud rejoigne le perron, Absinthe alla ouvrir à l’ami reporter.


Voyant l’humain à l’entrée, Mélusine ne put s’empêcher d’espérer une nouvelle fois. En effet Arnaud Lanvin ne venait que très rarement au Manoir des Muscari. Leurs rencontres se faisaient essentiellement à son appartement rue des Plâtres, par téléphone ou lors des opérations contre Destiny Developments. Le fait qu’il ait pris le temps de se déplacer jusqu’ici voulait bien signifier quelque chose. Elle se leva et rejoint Absinthe et le journaliste dans l’entrée.


“Bonsoir Arnaud.”, lui dit-elle. “On ne vous attendait pas ici. Des nouvelles ?”


“Bonsoir ! J’ai peut être quelque chose mais cela risque d’être compliqué. C’est pour cela que je suis venu jusqu’ici.”


“Comment ça ?” demanda Absinthe.


“Comme je vous l’avais dit, j’avais encore à parler avec quelques uns de mes contacts pour savoir s’ils avaient eu vent de rumeurs ou de témoins de trucs étranges. Et j’ai peut être une piste. Reste à voir si elles sont reliées.

Il semblerait qu’un SDF qui a ses quartiers près de la gare de Lyon a été interné hier à l'hôpital Sainte-Anne pour des signes de schizophrénie. Il prétend avoir vu un démon se nourrir dans les poubelles de la gare, il y a deux nuits de ça. Mon contact est allé le voir pour lui poser quelques questions. L’homme reste vague quant aux détails. mais il reste campé sur sa position et est persuadé de ce qu’il a vu.”


“Ҫa pourrait être Grimm.” s’exclama Mélusine


Absinthe attrapa la carte de Paris et l’étendit sur la table.


“Regarde. La Gare de Lyon est ici, et les Caves saint Sabin sont ici. C’est plausible. Il aura du marcher beaucoup vu qu’il ne peut pas planer mais ce n’est pas impossible.” démontra-t-elle.


Arnaud continua.


“Ce n’est pas tout. D’un autre côté, j’ai d’autres nouvelles pas très rassurantes. Selon mon contact, il y a des raisons de croire que Nightstone Unlimited, et sa filiale en France, Destiny Developments serait liée dans des affaires communes avec les laboratoires Cyberbiotics de Londres et de New York. Vous vous souvenez peut être du grand barda qui a eu lieu à New York il y a quelques années ? Et bien Cyberbiotics y avait trempé. Apparemment cette entreprise fait de la recherche fondamentale en biologie et génétique. ça n’augure rien de bon si elle est de mêche avec Dominique Destine ! Et malheureusement, nous avons des traces d’envois de marchandises réguliers depuis Cyberbiotics pour Destiny Developments, même s’ils ne précisent pas quel genre de marchandises. Nous avons pu mettre la main sur des bordereaux d’envois incontestables. Après, est-ce lié aux convois dans lesquels on a découvert Morphine, je ne sais pas. Mais c’est une possibilité.”


Delacroix se rapprocha du groupe et se frotta le menton.


“Est-ce que l’on sait combien de convois ont été organisés entre Cyberbiotics et Destiny Developments ?”


“Pas vraiment.” répondit Arnaud. “Pour le moment on a trois bordereaux de livraison mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas eu plus.”


“Et on ne sait toujours pas quand le prochain aura lieu.” rétorqua Delacroix.


“Non, mais mon contact est toujours sur le coup. Dès qu’elle saura quelque chose, je serai au courant.” affirma la journaliste.


“Bon et bien en attendant d’en savoir plus sur ce que mijote notre chère Destine, nous avons un autre lieu à passer au peigne fin pour retrouver Grimm !” s’écria Absinthe.


“Oui !” approuva Mélusine. “La Gare de Lyon !” dit-elle en pointant du doigt la gare sur le plan d’Absinthe..


*** *** ***


Tour Destine, 42e étage - vingt trois heures


Grimm se réveilla après les dernières lueurs de ce soleil de juin. Reposé et nettoyé des miasmes de la nuit dernière, il se sentait en pleine forme.

Il réalisa qu’il était seul dans l’appartement mais un plateau repas encore fumant avait été déposé sur la table de la terrasse. Grimm ne se laissa pas prier et mordit dans un morceau de poulet laissé à sa disposition.


Qu’allait-il faire désormais ? Ce lieu était chaleureux en apparence mais avait tous les éléments d’une prison. Et il s’y connaissait en prison… Etait-il condamné à rester ici, sous les bonnes grâces de cette gargouille dénommée Demona ? Que pouvait-il apprendre de cette femme ? Et puis il avait toujours ce mystère à élucider et qui l’avait mené ici. Il avait bien vu Morphine dans ce camion. Il allait falloir qu’il aille la délivrer. Peut être, elle, connaîtrait le chemin du retour vers le Manoir Montigny.


Après s’être rassasié, il en profita pour aller explorer le reste de la tour. Mais il fut vite arrêté par la porte verrouillée.

Quand on parle d’une prison…


Mais quelques instants de recherche et d’exploration dans l’appartement lui permirent de trouver entre deux livres un passe magnétique qu’il testa à tout hasard et qui permit de déverrouiller les loquets. Ainsi il put sortir de l’appartement et suivit le couloir.


*** *** ***


La gargouille ne mit pas longtemps à faire son petit tour avant de se faire rattraper par la sécurité. Il avait sans doute oublié toutes les caméras qui parsemaient les locaux (pas quarante deuxième étage dans l’appartement de Dominique Destine évidemment, bien que ça n’aurait pas déplu au chef de la sécurité, Anthony Mercier.

Mais dès que celui-ci vit que le monstre était en liberté et en mouvement au quarantième étage, il se dit qu’il était temps qu’il remette à sa place cette foutue créature qui lui avait valu des brimades de la boss.


Il s’arma d’un pistolet anesthésiant (et d’une arme laser, c’était un ancien militaire après tout !) et remonta dans la tour pour barrer la route à cette gargouille.

Il en avait sa claque de ces monstres qui l’avait mis en déroute plus d’une fois pendant les opérations spéciales qu’il avait effectuées pour le compte de Destiny Developments. Il lui semblait ne l’avoir jamais vu avant la nuit précédente dans ce dernier convoi mais il n’était pas impossible qu’il fasse partie de ce clan de gargouilles causeurs de troubles. Lui, il les préférait définitivement en pierre, comme sur Notre Dame !


Montant au trente-neuvième étage de la tour, il comptait tomber sur ce monstre et lui envoyer une bonne dose d’anesthésiant. Il connaissait assez bien les lieux et savait où se mettre pour surprendre son assaillant. Il l’attendait dans un contrefort de la cage d’escalier (là où la gargouille serait plus embêtée pour se servir de ses ailes et de sa queue). Surgissant comme un diable de sa boite, il surprit Grimm qui rabattit en arrière sous la force du coup de pied que l’homme de main lui avait asséné.


“Alors tu te balades, monstre ?” demanda Anthony, narquois.


Grimm se mit à grogner,dévoilant ses crocs et ses yeux luisèrent d’une lueur ardente.


“Toi ! J’ai un coup à te rendre, Arschloch*” gronda Grimm. (*Connard)


“Essaye un peu pour voir !” le défia l’ancien militaire qui n’attendait que ça, que son taux de testostérone explose.


Le soldat voulut jouer un peu avec sa proie avant de lui régler son compte. A l’ancienne ! Avec ses poings et sa connaissance du combat rapproché. Cette gargouille était un met de choix pour le placer dans sa longue liste d’adversaires ! Il se mit en position de boxeur, les poings rassemblés devant son visage, prêt à allonger le bras dans un uppercut violent.


Mais Grimm était une force de la nature. Et le fait qu’il ne puisse pas voler ou planer faisait qu’il se battait et les utilisait différemment. Les lambeaux d’ailes qu’il lui restait lui servirent à déstabiliser son adversaire. La lutte s’engagea et le militaire se lança le premier, assenant ses coups comme un professionnel. Grimm encaissa puis répliqua avec toute la force qu’il pouvait donner à ses poings. La castagne, il avait connu ça presque toute sa vie et ces derniers mois à suer sur les sacs de sable du manoir l’avait aidé à se maintenir en forme. Il était presque content d’avoir un cobaye volontaire pour pouvoir extérioriser sa colère et sa hargne.


La gargouille utilisa tout ce qui était à sa portée pour faire reculer le soldat. Il voulut le déséquilibrer en s’aidant de sa queue mais l’humain s’y attendait et évita le coup. Il enchaîna les coup de poings rapprochés, cherchant à désarçonner son adversaire et le faire trébucher dans l’escalier. Mais pareil. L’homme était un combattant chevronné et habitué aux rixes à mains nues. Grimm décida d’employer les grands moyens, détacha alors l’extincteur accroché au mur et le lui balança à la figure.

Anthony Mercier ne s’était pas attendu à la facilité avec laquelle la gargouille avait arraché l’énorme bouteille rouge du mur, laissant pendre lamentablement attaches et bouts de ferrailles et recula trop tard pour éviter le coup.

L’extincteur le cueillit à l’épaule et cassa sans doute un os du bras car l’homme gémit de douleur en reculant et mettant un pied dans l’escalier.

Grimm sut que c’était gagné, balança l’extincteur à terre et bondit toutes griffes dehors sur le soldat qui bascula en arrière sous le poids de la bête et se retrouva un palier plus bas, les ongles de Grimm enfoncés dans le bras et les cuisses, et ses crocs à quelques centimètres de sa jugulaire.


“Alors, Arschloch, tu disais ?”


“Tu le regretteras sale pourriture !” répliqua le mercenaire entre ses dents.


“On verra ça…” rétorqua Grimm avant de l’assommer avec un coup de poing énorme.


“T’es pas le seul à savoir cogner, Stück Scheiße !” conclut-il en se relevant.


Il descendit les escaliers pour atteindre le trente huitième étage, laissant le mercenaire inconscient dans la cage d’escaliers.


*** *** ***


Grimm descendit ainsi plusieurs étages mais déchanta assez rapidement. Les paliers se succédaient et se ressemblaient. Techniquement, il n’aurait pas pu accéder à tous les locaux - déjà parce que c’était la nuit et que tout avait été fermé à clé mais c’était sans compter le pass magnétique qu’il avait en main et miraculeusement trouvé chez la patronne.


A y réfléchir, il n’avait pas cherché bien longtemps pour trouver le pass mais ce genre de considérations n’était pas vraiment dans ses priorités.


Finalement, à se retrouver bredouille d’étage en étage, il décida de remonter à penthouse. Elle finirait bien par y revenir elle aussi.

Et il fut plutôt bien avisé car lorsqu’il réintégra l’appartement, il y trouva la gargouille bleue en train de se servir un verre de vin.


“Tu es de retour ?” dit-elle sans se retourner.


“Oui” répondit-il simplement.


“Tu es sorti comment ?” demanda-t-elle avant de lui tendre un verre à moitié rempli d’une liqueur sombre.


“Votre homme de main est venu tout à l’heure et a laissé la porte ouverte.” répondit Grimm du tac au tac.


“Hu ?” s’étonna-t-elle en avalant une lampée. Elle eut une moue appréciative.


“Vous allez me garder ici encore longtemps ?” lança-t-il. il en avait assez de tourner autour du pot.


“Hmm, direct ! J’apprécie ça chez un frère” rétorqua Demona. “Tu n’es pas prisonnier ici tu sais ?”


“Vous aviez pourtant verrouillé la porte tout à l’heure. Et comme vous pouvez le constater, je ne peux pas m’échapper par la terrasse…” s’écria-t-il en croisant les bras sur son torse. Il en avait assez de se passer pour une bourrique.


“En effet. A ce propos. J’ai peut être une proposition pour toi. Viens avec moi.” s’exclama-t-elle en se dirigeant vers la porte d’entrée, son énorme verre de vin toujours à la main. Grimm conserva aussi le sien et suivit Demona.


“Quelle proposition ?” interrogea-t-il tandis qu’ils se dirigeaient vers l’ascenceur.


“J’ai peut être une place pour toi dans ma compagnie. Tu m’as l’air d’être quelqu’un de sensé et extrêmement capable et j’aurai besoin d’homme… pardon d’une gargouille comme toi à mes côtés.” déclara-t-elle en sirotant son vin devant l'ascenseur.


“Hum hum... continuez !”


Les portes de l'élévateur s'ouvrirent à ce moment là, révélant marbres et gĺaces. Une petite musique joyeuse s'éleva dans les airs. les deux gargouilles entrèrent. Et Demona appuya sur le bouton du dixième sous sol.


“Comme tu dois le savoir”, dit elle “nous ne sommes plus très nombreux alors que des siècles auparavant, nous régnions sur le monde ! Les humains étaient nos subordonnés et notre espèce ne craignait pas l'extinction. Nous étions les maîtres de ce monde !” S'enflammait-elle


Grimm l'observait. Où voulait-elle en venir ?


“J'ai un plan pour faire revenir notre race sur le devant de la scène. Et je vais te le montrer.”


“Je ne vous suis pas... comment pourrait-on multiplier notre race ? Mis à part regrouper toutes les gargouilles du monde et commencer à leur faire faire des bébés…” souffla-t-il.


“Mon projet est plus ambitieux que ça. Mais je pense qu'une image vaut mieux qu'un long discours.”


Grimm eut un mauvais pressentiment. Ce plan ne lui disait rien qui vaille. Il ne voyait pas où elle voulait en venir ni quel pouvait être ce plan miraculeux.

Après quelques secondes, l'ascenseur atteignit sa destination et ses portes s' ouvrirent avec un bip bienheureux.


Les deux gargouilles sortirent et Demona prit la tête. Le couloir était plus que sobre, presque sinistre. Ça et là trônait un pot de fleurs à intervalle régulier. Des portes coupe-feu découpaient l'espace du corridor avec une impression qu'il était sans fin.


“Nous sommes en collaboration avec un laboratoire en Angleterre expert dans ĺe domaine de la génétique qui pourrait avoir trouvé le moyen de sauver notre espèce entière.” expliqua-t-elle. “Les progrès dans ce domaine sont incroyables. Et Cyberbiotics est le leader mondial en la matière. II dispose du meilleur scientifique connu à ce jour. Le docteur Sevarius a déjà à son actif de nombreuses avancées et réalisations !”


“Ne me dites pas que vous voulez faire des clones !” Railla la grande gargouille rouge.


L'air grave et sérieux de son interlocutrice lui indiqua qu'elle ne plaisantait pas.

Elle s'arrêta à la hauteur d'un miroir long de plusieurs mètres et considéra Grimm. Elle tourna alors le bouton qui se trouvait à proximité de la vitre et le tourna. Le miroir changea d'apparence et devint transparent comme une vitre.


“Un miroir sans tain”, pensa la gargouille.


Une pièce meublée apparut alors, remplie par une dizaine de copies conformes de Morphine. Grimm s' avança pour mieux observer ce qu'il y avait devant ses yeux. Il ne croyait pas ce qu’il était en train de voir. Une dizaine de petites gargouilles adolescentes s'animaient sous ses yeux et sous les caméras. Certaines étaient en train de jouer à des jeux de société comme Puissance 4 ou Qui est-ce ? Une autre était en train de boire un verre de lait tandis qu'une autre secouait la tête au rythme de la musique que diffusait le walkman à sa ceinture.


“Qu'avez vous fait ?” murmura-t-il.


“Des clones si vous voulez les appeler ainsi. Moi je préfère les considérer comme ce qu’ils sont : l'avenir de notre espèce. De nouvelles gargouilles au patrimoine génétique amélioré et renforcé. Des gargouilles 2.0. Ils sont le futur ! Notre futur. Et un espoir même pour toi si tu souhaites revoler un jour.”


“Que voulez vous dire ?” demanda-t-il en se tournant vers la gargouille bleue.


“Dans l’état actuel de nos recherches scientifiques, nous sommes tout à fait capables de vous rendre vos ailes, Grimm. C’est moins compliqué que de créer ces clones qui sont devant vous. Il nous est possible de prélever un peu de votre ADN et de créer un embryon identique à vous qui, lui aura ses ailes intactes. Il sera alors possible de greffer de la peau neuve de ce clone sur vos ailes. Aucune chance de rejet puisqu’il s’agit de votre patrimoine génétique.Réfléchissez y. Je peux passer un coup de fil et demander au docteur Sevarius de réparer vos ailes. Qu'en dites vous ?”


Grimm était stupéfait devant toutes ces révélations. Cette salle remplie de Morphines, cet espoir de le faire revoler un jour... Il se demanda un moment s'il n'était pas en train d'imaginer tout cela. Est ce que Morphine, cette adolescente qu'il avait connu au manoir était le modèle original ? Le patient zéro ? Ou bien était elle un clone parmi tant d'autres ?

Les possibilités étaient effrayantes.


“Ce que vous faites ce n'est pas correct. C'est contre nature. Ces créatures n'ont rien demandé.” répondit-il.


“C'est l'avenir !” rétorqua-t-elle. “Ne comprends-tu pas ? L'avenir de notre espèce est ici, sous tes yeux, dans ces salles.”


“Vous en avez d'autres ?” Demanda Grimm effaré


“Peut être” répondit-elle malicieusement. “Je peux te montrer le reste si tu décides de nous rejoindre. Tu n’as encore rien vu. Pense à tes ailes ! Ne voudrais-tu pas ressentir à nouveau le vent sur ta peau pendant que tu descends en piqué ? Aucune gargouille ne devrait être interdite de ce droit inaliénable.”


“Je n'ai pas encore décidé.” souffla Grimm.


“Je ne sais pas ce qu'il te faut !” Retorqua Demona. “Mais bon. Prends ton temps pour réfléchir”.


“Ce n'est pas comme si j'avais le choix”, grommela t il dans sa barbe. “Je suis coincé ici.”


“Quoi ?”


“Je vais réfléchir.” promit Grimm.


“N'attends pas trop longtemps car mon offre ne sera peut être plus valable.” précisa Demona.


“Je voudrais remonteŕ si ça ne vous dérange pas. Je me sens... à l'étroit ici.”


“Bien. Je peux comprendre. Ça peut être un peu beaucoup à gérer pour une première fois. Retournons dans mon appartement.” concéda-t-elle.


Sur le chemin du retour, Grimm retourna la question dans tous les sens. Cette... production de clones lui hérissait le poil et le mettait hors de lui. Il n'arrêtait pas de repenser à la Morphine que lui connaissait. Savait-elĺe qu'elle n'était qu'un clone . Qu'un exemplaire parmi tant d'autres ? Comment réagirait-elle si elle était au courant ?


D'un autre côté la possibilité pour lui de récupérer des ailes fonctionnelles était tellement inespérée ! Il avait abandonné l’idée depuis tellement longtemps. Peut être que les progrès de la médecine des humains pouvait aussi être bénéfique pour les Gargouilles ! Mais cela valait-il le fait de fermer les yeux sur les clones qu’engendrait cette entreprise ? Et puis en parlant de Destiny Developments. Il savait que c’était contre cette firme que ses compagnons se battaient. Et que la grande boss, le cerveau était une femme nommée Dominique Destine. Une femme fortement demandée et courtisée mais très avare en apparitions et difficile à obtenir pour un rendez vous ou une réunion. Alors que faisait cette gargouille ici ? Quel lien avait-elle avec Dominique Destine ?


Toute cette histoire avec tant de zones d’ombres sentait le moisi. Et il était pile au milieu, sans porte de sortie, sans espoir de s’échapper ou de sortir tout seul par la grande porte. Il savait désormais qu’il était observé par les caméras dès qu’il sortirait du logement au dernier étage. Et rien ne le garantissait qu’il n’était pas épié là bas aussi.


L’ascenseur atteint le quarante deuxième étage et s’ouvrit sur le vestibule qui donnait sur l’entrée de l’appartement. Demona mit ses doigts sur un lecteur d’empreintes digitales. Une diode verte bipa et la porte s’ouvrit.


“Et tous ces clones. Qu’allez vous en faire ?” Demanda Grimm à l’instant où il rentrait dans le grand salon. “Quel est leur niveau d’intelligence et que comptez-vous en faire ? Je suis sûr que ce n’est pas pour la beauté de leur naissance que vous les avez faits venir dans ce monde !”


“Tu poses beaucoup de questions pour quelqu’un qui se dit pas intéressé.” rétorqua Demona. Visiblement elle ne voulait pas répondre à sa question. Grimm était désormais certain que ce n’était pas avec une intention altruiste et totalement désintéressée que ces clones avaient été créés. Il y avait une raison secrète que cette Demona refusait de lui dire.


“Cette… armée de clones que vous avez là. Ce n’est pas … bien.” répondit-il simplement. Il se dirigea vers la terrasse où l’air frais de la nuit contrastait avec l’air chaud et climatisé de l’intérieur de la tour et de l’appartement. Demona le suivit sur le grand balcon.


“Il n’y a plus de bien ou de mal dans notre cas ici.” répliqua-t-elle Demona en haussant le ton. Elle commençait visiblement à perdre son sang froid. “Il y a la survie de notre espèce face à des humains qui ne font que détourner ce qui NOUS revient de droit.”


“Vous voulez faire la guerre à une planète entière ? Bon courage !” rétorqua Grimm.


“J’ai l’impression d’entendre Goliath !” souffla-t-elle


“Je ne sais pas qui est ce “Goliath” mais il a l’air de quelqu’un de sensé.”


“Ce Goliath est un lâche !” s’emporta son interlocutrice dont les yeux commencèrent à luire d’un rouge profond.


Il sentit qu’il avait touché une corde sensible. Cette femme n’était pas si… lisse et altruiste qu’elle voulait bien montrer. La conversation commençait à tourner à vau-l’eau et Demona commençait à montrer son vrai visage. Celui de quelqu’un qui ne supporte pas que le plan n’aille pas dans la direction qu’elle voulait.


“Mais ne parlons pas de lui. Si tu ne le fais pas pour l’avenir de notre espèce, fais le au moins pour toi ! Je t’offre de nouvelles ailes et tu hésites ?” continua-t-elle, jetant sa dernière carte.


“C’est vrai que l’idée d’avoir de nouvelles ailes est plus que tentant mais ce que vous faites ici me parait… mal. Et vous avez l’air bien intéressée pour m’inclure dans votre affaire pour être honnête dans vos intentions. Je sais ce que c’est que d’être la créature de quelqu’un d’autre et il est hors de question que ces gargouilles innocentes subissent la même chose.”


“Tu ne veux donc pas t’associer avec moi dans ce projet.”


“Non, vous m’avez bien compris. Et je ne compte pas vous laisser faire.” répliqua Grimm.


“Et comment comptes-tu t’y prendre pour m’arrêter, l’estropié ?” rugit Demona, perdant définitivement patience.


“Ah voilà ! Le masque est tombé.” dit-il calmement. “Ça aura été rapide pour faire tomber cette façade de fausse gentillesse.”


Demona grogna, ses yeux brillant de plus belle.


“C’est ta dernière réponse, alors.”


“Vous ne m’aurez pas. Ni moi, ni mon ADN.” répondit Grimm.


“Tu sais que tu ne sortiras pas d’ici, j’espère. Il n’y a aucune issue ici. Et visiblement tu ne peux pas prendre la voie des airs !”


“Ҫa, c’est vous qui le dites !” s’écria Grimm avant de se jeter en chute libre par dessus la terrasse, prenant de court Demona qui ne s’était pas attendu à ce qu’il saute par dessus le balcon.


“Le Fou !” jura-t-elle en se penchant au dessus du vide. Elle se jucha sur la bordure et se lança à la poursuite du fuyard.


Grimm descendait avec une vitesse exponentielle. Tomber du quarante deuxième étage alors qu’il lui était impossible de voler était sans doute la pire idée qu’il avait pu avoir dans son existence. Mais c’était la seule porte de sortie qu’il avait pu entrevoir. Les étages passaient devant lui en accélérant et il vit rapidement que Demona était derrière lui.

Il se concentra et se replia pour prendre encore de la vitesse. C’était sa dernière chance d’échapper à son assaillante.

La gargouille bleue se rapprochait dangereusement lorsqu’au dernier moment, Grimm étendit ses ailes dans une dernière tentative désespérée de freiner sa chute.


L’air s’engouffra dans les ailes à une si grande vitesse que les plaies s’ouvrirent un peu plus. Grimm hurla de douleur mais l’action eut le résultat escompté car cela ralentit la chute avant que la gargouille arrive à proximité du sol. Sa stabilité n’était pas des plus sûres mais il réussit tout de même à toucher le sol sans encombre. Il avait cru atteindre le rez de chaussée mais à la place il avait atterri sur le toit du bâtiment le plus proche de la tour Destine. Demona toujours à ses trousses et plus proche que jamais, il se mit à courir. Le bord de l’immeuble se rapprochait de plus en plus et il vit que le sol était plus loin qu’il ne l’avait cru. Mais pas le choix ! Il finit par sauter au dessus de la balustrade encore une fois au moment où la gargouille bleue allait lui mettre la griffe dessus et ne dut son salut qu’au métro qui sortit de son tunnel juste à ce moment-là pour s’engager sur la traversée de la Seine, en direction de Paris. Demona ne put rivaliser avec la vitesse du métro 1 et abandonna sa course en émettant un hurlement de frustration. Les usagers du métro relevèrent la tête et regardèrent par la fenêtre mais ne virent qu’une vague silhouette ailée qui repartait vers les sommets des tours de la Défense. Ils la prirent pour un oiseau à cette distance, retournant à la lecture du Ponctuel ou du dernier Mary Higgins Clark.


Sur le toit de la rame, Grimm reprenait ses esprits. Il avait mal partout, était complètement étourdi, ses ailes le faisaient souffrir atrocement mais il était vivant. Il n’en revenait pas lui même que sa tentative désespérée ait fonctionné.

Il s'aplatit sur la carlingue au moment où le métro rentra dans son tunnel après le pont au dessus de la Seine, essayant de ne pas perdre un bras ou se faire décapiter.

Dès qu’il le put, il sauta du train urbain et se réfugia dans l’un des nombreux renfoncements qu’offraient les tunnels des métros. C’est là qu’il attendit que le métro reparte. Il fut dès lors plongé dans l’obscurité, tout juste éclairé par les maigres loupiottes qui égrenaient les galeries souterraines. Il décida lors de se mettre en route en suivant les rails. Il allait bien voir où cela allait le mener.


Dans sa marche, il manqua de se faire renverser par deux fois par une rame arrivant à toute berzingue. Et puis après plus rien. Sans doute le dernier métro.

Les stations se suivirent et s’enchaînèrent, heureusement vidées de leurs usagers. “Sablons”, “Porte Maillot” “Charles de Gaulle Etoile” etc. Ce fut quand il arriva à “Palais Royal - Musée du Louvre” après plusieurs heures de marche qu’il décida de s’arrêter pour la nuit. Voilà quelque chose qu’il connaissait. Ou plutôt qu’il connaissait à travers Mélusine qui vénérait ce lieu et qui y venait dès qu’elle le pouvait. Pourquoi n’y avait-il pas penser avant ? Il l’avait déjà accompagné quelques fois, grâce à Svenn qui l’avait héliporté jusqu’ici. Retrouver un lieu connu lui mit du baume au coeur. Et il était temps qu’il s’arrête, redoutant l’arrivée du soleil. Il ne voulait pas se retrouver coincé sous terre. Au moins ses ailes guériraient-elles de sa chute libre !


Grimm se débrouilla pour ressortir à l’air libre, arrachant au passage quelques grilles qui fermaient les stations et émergea près de la grande pyramide du Louvre. Il prit une grande inspiration d’air frais, appréciant de fait de ne plus être sous terre. Il avait tendance à être assez claustrophobique. Après quelques instants, la gargouille rouge se dépêcha de disparaître hors de la vue des éventuels passants, grimpant à mains nues sur la façade de l’ancien palais royal. Ici, sur le toit, il se sentirait plus en sûreté ! Plus de Demona à ses trousses, dans un lieu connu, Ce n’était pas grand chose mais dans l’état où il était, il décida de se contenter de ces petits bonheurs


A bout de forces, les muscles endoloris, les ailes qui saignaient encore par endroits et qui l’élançaient, il réussit tant bien que mal à se traîner jusqu’au toit et se cala facilement contre une des nombreuses statues qu’offrait le palais royal.

Là, accablé par tout ce qui s’était passé, quelques heures avant l’aube, il s’évanouit.


*** *** ***


Manoir Montigny - Vincennes, 1h du matin.


Troisième nuit sans Grimm.


Mélusine errait dans le manoir, le visage terne, fermé tel un fantôme. Absinthe ne savait plus quoi faire. Ils avaient tout tenté. Arnaud Lanvin avait retrouvé le SDF qui avait aperçu Grimm, du moins il fallait vérifier qu’il s’agissait de lui. Il s’était rendu à l’hôpital Sainte Anne dans le 14e arrondissement et avait pu accéder à l’homme que visiblement, la vie n’avait pas épargné. Echevelé, le regard dans le vague, le vieil homme était sous le coup des médicaments. Il put néanmoins répondre au journaliste, du mieux qu’il pouvait.

Ainsi, Arnaud avait pu avoir une description de la créature que le sans-abris avait vu ou cru voir et dans quelles circonstances.

Une peau rougeâtre, une queue, des ailes en lambeaux, ça correspondait plutôt bien au personnage.

La créature avait été aperçue dans les environs de la gare de Lyon, en train de se servir dans les poubelles d’un supermarché. L’homme avait d’abord cru qu’il s’agissait d’un homme au trench-coat complètement délabré. Et puis l’homme au trench-coat s’était retourné et le sans-abri avait cru voir une queue dépassant de sous ce qu’il croyait être le manteau, qui n’était pas du tout un manteau.

La… chose s’étant sentie épiée avait vite déguerpi avant que le vieil homme puisse comprendre ce que ses yeux avaient vu. De surcroît, ses antécédents mentaux et l’alcool ne faisaient pas bon ménage avec le stress de ce qu’il venait de voir. Il avait alors commencé à divaguer sur ce dont il avait été témoin, mélangeant tout avec des absurdités, des divagations propres à ses traumatismes passés et ses affections mentales.

Ses compagnons d’infortune en avaient eu assez de lui et l’avaient emmené dans un abri de jour qui l’avait redirigé vers Sainte Anne.


Arnaud Lanvin était revenu raconter tout cela au manoir, espérant voir enfin le visage de Mélusine s’éclairer un peu. C’était la piste la plus récente et la plus concrète qu’ils avaient pu avoir jusqu’ici.


“Bien. Nous savons qu’il est encore vivant et qu’il a été vu prêt de la gars de Lyon il y a deux nuits de ça.” résuma Absinthe.


“Alors que fait-on maintenant ?” demanda alors Delacroix. “Nous sommes déjà allés à la gare de Lyon la nuit dernière et nous n’avons rien trouvé. Aucune trace de lui.”


Absinthe se tourna vers Mélusine.


“Mélusine, ton sort de localisation, tu l’as fait plusieurs fois, n’est ce pas ? Quels lieux indiquait-il ? Est-ce qu’il mentionnait plusieurs fois les mêmes endroits ou bien c’était des emplacements différents ?”


L’apprentie sorcière réfléchit. “Et bien en effet il y avait bien la gare de Lyon dans la liste. Et puis aussi… La Défense, le Louvre, les Tuileries, Bastille, et le Champ de mars aussi.”


“Et si chacun de ces lieux était des emplacements où Grimm était passé pendant sa fuite ?” proposa Arnaud. “Il a déjà fait Bastille et la Gare de Lyon donc je pense qu’on peut les rayer de la liste. Il nous reste donc la Défense, le Louvre, les Tuileries et le Champ de Mars. Si on s’y prend bien, à nous tous, on peut couvrir chacun de ces lieux. Qu’en pensez-vous ?”


“C’est pas du tout idiot.” approuva Delacroix. “Je m’occupe de Bastille. Absinthe, tu veux prendre le champ de Mars ? Svenn peut emmener Richelieu pour ratisser la Défense. Et toi Arnaud ? La Défense ça te va ? Il reste les Tuileries et le Louvre.”


“On emmène Morphine ?” suggéra Absinthe. “Elle pourrait nous être utile et en plus elle sera contente de sortir d’ici.


“C’est une idée, oui.” concéda Delacroix.


“J’emmenerai Morphine avec moi au Louvre.” proposa Mélusine. ”Les Tuileries c’est juste à côté. On pourra couvrir le périmètre toutes les deux.”


“Et si on prenait des Talkie Walkie pour pouvoir communiquer ?” souffla la gargouille au museau de dragon dont les yeux s’éclairèrent avec espoir. “On pourra se tenir au courant si on l’a trouvé ou pas, non ?


“Tu en as assez, de talkie walkies pour tout le monde ?” demanda Absinthe avec sarcasme.


“Evidemment ! Pour qui me prends-tu ?” répondit la gargouille bleue.


*** *** ***


Dans les environs de trois heures du matin, tout le clan ainsi qu’Arnaud Lanvin se réunirent dans le hall du manoir pour “synchroniser leurs montres” comme le disait Delacroix. Morphine était super excitée à l’idée d’enfin participer à une opération du clan. Elle avait du mal à tenir en place mais la gargouille bleue au perfecto tentait de la remettre à sa place. Il distribua à tout le monde les talkies walkies et briefa tout le monde comme s’il avait fait ça toute sa vie. Absinthe se dit qu’il regardait décidément trop de films d’actions.


“Mettez vous sur le canal 9. Comme ça on pourra communiquer comme il faut. Ils ont un rayon de cinq kilomètres. J’espère que ce sera suffisant !”


Arnaud qui était censé ratisser la Défense avait un doute pour savoir si oui ou non ce gadget allait lui être utile.


“Si ça ne fonctionne pas bien, j’ai aussi ces téléphones portables. C’est du dernier cri.” Il dégaina deux énormes boîtiers aux touches en plastique et à l’antenne flexible. “Je n’en ai que deux par contre. Absinthe prends le, on pourra communiquer facilement avec ça si je suis hors de portée avec les Talkies. Mon numéro est enregistré dans la liste des contacts.”


Delacroix regarda les deux téléphones comme Indiana Jones admirait une relique Inca.


“Oooooh. Je peux voir ?”


“Pas maintenant, Delacroix.” répliqua Absinthe. “On a d’autres choses plus importantes à faire.” Elle se dit qu’Arnaud avait eu raison de lui donner le téléphone à elle plutôt que Delacroix.


“Bon très bien. On y va.” Poursuivit-elle. “N’oubliez pas, il faut revenir ici avant que le soleil se lève. C’est à dire, selon l’éphéméride de Météo France, 5h42. On est d’accord ?”


Tout le monde hocha de la tête. Arnaud remonta dans sa voiture et partit en direction du périphérique afin de se diriger vers le quartier de la Défense.

Les gargouilles et le griffon grimpèrent sur la terrasse pour prendre assez d’élan et profitèrent rapidement d’un courant ascendant et partirent en direction des lumières de Paris, avant de bifurquer chacun vers leur destination.



*** *** ***


Palais du Louvre - entre trois heures et demi et quatre heures


Mélusine et Morphine arrivaient en vue du Palais du Louvre en ayant déjà survolé les Tuileries. De nuit, sa vue mettait toujours la jeune gargouille verte en émoi. Ses murs mis en valeur par l’éclairage, les statues figées dans leurs poses gracieuses. Tout respirait l’art, le beau, l’antique, l’immortel, l’intemporel. Et c’était une ambiance et une vue dont Mélusine ne pouvait ni ne voulait se passer. Elle venait ici, même juste pour passer le temps plusieurs fois par mois. Elle était allée jusqu’à montrer ce bâtiment majestueux à Grimm, espérant partager avec lui un moment d’intimité et une partie d’elle-même. Son clan savait qu’elle appréciait ces lieux mais aucun n’avait vraiment pris la mesure de l’importance que le Louvre avait pour elle. C’était un lieu chargé d’histoire, de beauté, d’élégance, de culture. Il lieu où elle se sentait elle même et comme chez elle.

Grâce à ses contacts qu’elle avait eu grâce à Sigrid Beauchamps, l’ancienne petite amie de Père, elle avait réussi à obtenir un droit de visite permanent dans le musée, pour autant qu’elles se fassent en dehors des heures d’ouverture. Ainsi, au gré de ses envies du moment, elle pouvait visiter la galerie égyptiennes, admirer les armures de François Ier, profiter de Mona Lisa pour elle toute seule, se perdre dans les Noces de Caana… Chaque jour était différent, chaque visite lui apportait quelque chose de nouveau.


Mais elle n’était pas venue jusqu’ici pour visiter l’aile Richelieu et les statues de la cour Puget…


Les deux filles avaient plané au dessus des Tuileries sans rien remarquer de particulier. Le Parc était de toute façon fermé aux passants depuis longtemps et de toute façon les sans abris n’osaient plus venir y planter leur tente à cause des rondes de police régulières et les directives de la préfecture qui visaient à ne pas “détériorer” l’image de carte postale de ce lieu mythique pour les touristes. On avait fait comprendre aux SDF qu’il ne valait mieux pas qu’ils passent là nuit ici.

Ainsi Mélusine et Morphine purent investir les lieux avec plus d’aise que Delacroix à la Bastille par exemple. Mélusine volait en rase motte tandis que Morphine restait au dessus de la cime des arbres afin d’avoir une meilleure vue d’ensemble. Il lui était donc plus simple de repérer le moindre mouvement à plusieurs centaines de mètres.


“Tu vois quelque chose, Morphine ?” demanda Mélusine à à la petite gargouille rouge qui était drôlement heureuse d’ENFIN sortir du manoir qu’elle n’osait faire sa boudeuse et consentit à obéir aux gargouilles plus âgées, ce qui en soit était un exploit quand on connaissait Morphine.


“Non, rien de spécial.” répondit Morphine, déçue. Elle prenait décidément son rôle très à coeur.


“C’est pas grave. C’est qu’il n’est pas là. Allons vers le musée.” indiqua Mélusine qui reprit un peu d’altitude pour rejoindre sa camarade. “Faisons déjà un tour en altitude.”


Les deux filles prirent un courant ascendant et montèrent en spirale pour pouvoir avoir le palais en entier sous les yeux. Le site était grandiose.


“Prends le pavillon de gauche, côté rue de Rivoli. je m’occupe du côté quai des Tuileries. N’oublies pas de vérifier les petites courettes, on ne sait jamais. On se retrouve au dessus de la cour carrée.” ordonna Mélusine avant de se séparer de l’adolescente, la laissant partir de son côté.


Pour le moment il n’y avait rien à signaler. Rien de particulier. Mélusine enragea. Elle commençait à se dire qu’il n’y avait plus d’espoir. Elle ne l’avait pas retrouvé et sauvé des griffes de ces néo-nazis pour le perdre sur une simpe dispute !? C’était sa faute à lui s’il avait fui, lui, son tempérament et sa jalousie. Mais c’était elle qui l’avait giflé. Tout était parti de là.


Elle suivit les salles Napoléon III et Henri IV sans grand succès, sous les regards réprobateurs de tous les hommes d’état qui jallonaient les murs. Elle avait l’impression que même eux la considéraient comme responsable.

La grande Pyramide du Louvre si souvent décriée se dessinait, solennelle sur sa gauche, toute transparente dans son écrin de pierres. Mélusine redescendit un peu d’altitude pour passer au dessus des toits, entre pontons et cheminées.

Toujours rien.

Après quelques minutes de vol, elle retrouva Morphine en vol stationnaire au dessus de la cour carrée, cette magnifique cour carrée qui ponctuait de manière magistrale le corps du musée.


“Alors tu as vu quelque chose ?” demanda-t-elle à sa jeune compagne.


“Non, rien du côté de la rue de Rivoli. Nada.” répondit désolée Morphine. Elle aussi était contente de participer aux recherches, d’autant que Grimm était aussi l’un des pensionnaires du manoir qu’elle préférait. Pas très locace, peu démonstratif, mystérieux. Parfait pour une petite gargouille adolescente en pleine explosion d’hormones.


Soudain Morphine cligna des yeux et parut attirée par un détail au côté Est de la cour carrée.


“Attends, regarde !” s’écria-t-elle.


“Quoi ?”


“Là bas regarde ! Derrière la statue de l’angelot !” rajouta Morphine avant de planer vers l’ombre qu’elle avait aperçu. Une ombre qui n’avait pas l’air d’appartenir au lieu, qui ne collait pas à l’architecture.

De fait, en se rapprochant, elles découvrirent Grimm, étendu derrière une statue d’ange potelé en train de jouer de la flûte. Il avait l’air dans un sale état, des contusions un peu partout sur les bras et les pattes, des coupures ici et là. Ses ailes présentaient un cuir aux coupures un peu plus ouvertes que d’habitude et étaient couvertes de sang coagulé. Il était évanoui pour le moment et avait le souffle court.


Mélusine n’en croyait pas ses yeux et se rua vers son frère de clan.


“Grimm ! GRIMM ! Réponds-moi ! Réveille-toi !” s’exclama-t-elle en essayant de lui faire ouvrir les yeux. Mais il ne répondait pas à ses sollicitations et restait désespérément les yeux fermés. Au moins respirait-il même si cela avait l’air difficile et douloureux.


“Dis moi, quelle heure est-il, Morphine ?” demanda-t-elle, craignant que l’aube soit trop loin pour que le sommeil de pierre fasse son oeuvre et guérisse la gargouille evanouie.


“Il est presque quatre heures du matin.’ répondit Morphine “L’aube n’arrive que dans une heure. On n’est pas assez forte toutes les deux pour le ramener au manoir. Il nous faut au moins Delacroix ou Svenn.”


“On va déjà les prévenir. Attends, j’ai le talkie Welkie dans ma poche.” s’exclama-t-elle en sortant l’appareil de la poche de son blouson. “Comment ça marche ce truc déjà…” Mélusine tourna le bouton, entendant un petit clic puis des grésillements. Elle changea la fréquence pour se brancher sur la fréquence 7, comme l’avait dit Delacroix et approcha l’appareil de sa bouche.


“Allo, Delacroix ? Absinthe ? Arnaud ? vous m’entendez ?”


“scrich scrich scrich”


“Allo, est-ce que vous m’entendez ? On l’a trouvé ! on a trouvé Grimm ! Répondez !”


L’appareil resta muet.


“Et merde ! Franchement ! Delacroix et ses gadgets qui marchent pas !” Grommela-t-elle. “Non mais, quelle tête de linotte ! Je suis sûre que ces trucs viennent de Toys ‘r Us !”


“Qu’est ce qu’on fait maintenant ?” demanda anxieuse l’adolescente.


“Je ne sais pas. On ne peut pas le laisser ici mais on ne peut pas l’emmener. En plus les autres sont injoignables et l’aube n’arrive que dans une heure…” répondit Mélusine. “Attends j’ai une idée... Est-ce que tu te sens de retourner toute seule au manoir ?”


“Oui je pense… j’ai bien mémorisé le chemin.”


“Bien. Je vais rester avec lui ici toute la journée et tu préviendras les autres où nous nous trouvons. Comme ça vous viendrez nous chercher demain au crépuscule. Je ne peux pas le soulever à moi seule alors qu’il est inconscient. On va avoir besoin de Svenn ou Delacroix. Je ne vois que ça comme solution.”


“Ok.” dit Morphine en hochant de la tête. “Prends soin de lui. On revient demain.”


Mélusine hocha de la tête et vit Morphine étendre les bras et s’envoler vers l’est.

Elle se retourna ensuite vers Grimm. Son visage semblait las, derrière les ecchymoses et les coupures. Qu’avait-il bien pu voir pendant sa fugue pour se retrouver dans cet état-là ? Rien de grave espérait-elle. Soudainement, Grimm fronça les sourcils comme s’il était pris dans un mauvais rêve. Il marmonna dans son sommeil, murmurant des mots qui n’avaient aucun sens.


“Shhhh. Je suis là, je veille sur toi.” chuchota Mélusine qui s’installa derrière Grimm de telle sorte que sa tête et ses épaules reposaient sur ses genoux. “Ca va aller.” lui promit-elle.


C’est dans cette position que le soleil les surprit, les plongeant tous deux dans un sommeil réparateur à la fois pour le corps et l’esprit. Mélusine avait eu tellement peur de perdre Grimm pour toujours, après s’être donné tant de mal pour le tirer des griffes de ses bourreaux afin qu’il ait une vie normale ! Elle espérait que Morphine avait eu le temps de retourner jusqu’au manoir et qu’elle ait pu mettre les autres au courant. Normalement ils auraient tous du rentrer avant que l’aube ne les recouvre.


*** *** ***


Le soleil se coucha tard en ce mois de Juin. La soirée s’était déjà bien avancée lorsqu’il voulut bien disparaître derrière l’horizon, faisant apparaître des craquelures sur ces drôles de statues derrière l’angelot. Heureusement une statue de plus ou de moins sur le Palais du Louvre passait assez inaperçu.


Les gargouilles se libérèrent de leur peau de pierre avec vigueur et délivrance. Grimm mit un temps à se remettre. Où était-il ? Ah oui les toits du Louvre ! Et c’est avec surprise et soulagement qu’il reconnut un visage familier. Un sourire barra son visage, dispersant les ombres qui le préoccupaient juste avant.

Mélusine accueillit avec ravissement ce sourire, elle qui n’en avait jamais vu sur son visage tout le temps si troublé et en colère.

Sans prévenir, il la prit dans ses bras et la serra contre lui.


“Tu m’as retrouvé.” souffla-t-il dans ses cheveux.


“Oui enfin ! On était tellement inquiet ! On ne savait pas où te chercher ! Où étais-tu passé ?” lui demanda-t-elle alors qu’elle se redressa. Les questions se bousculaient dans sa bouche.


“C’est une longue histoire. Mais ça va mieux maintenant. Tu m’as retrouvé !” répéta-t-il.


“Oui. Les autres ne vont pas tarder à venir. Morphine les a prévenu de où nous sommes. On pourra rentrer à la maison.”


“Avec plaisir !” conclua la gargouille rouge.


*** *** ***


Plus tard dans la nuit, le clan rentra enfin tout entier au manoir, et tous accueillirent avec chaleur le fuyard. Même Arnaud était venu pour se mêler à la liesse et fêter le retour de Grimm. Après tout, c’était également grâce à lui qu’on avait pu le retrouver.

Tous étaient très curieux de savoir où la gargouille rouge avait bien pu passer ces trois nuits à découvert. Grimm comprit que le temps du débrief était venu. Toutefois, il resta assez vague dans un premier temps, afin de ne pas parler de cette histoire de clones devant Morphine. Il ne voulait pas effrayer la gamine pour une histoire où elle n’y était pour rien. Il serait bien temps de tout expliquer le moment venu à un public restreint. Montigny, cet humain Arnaud Lanvin, Delacroix, Absinthe et Mélusine devaient être mis au courant de ce dont il avait pu être témoin à la tour Destine. Ce n’était pas rien ce qu’il se passait là bas.

Et puis il y avait quelque chose dont il allait devoir parler à quelqu’un. Ces avancées scientifiques qui selon Demona, lui auraient permis de récupérer des ailes valides. Ce espoir que cette nouvelle avait fait naître en lui était difficile à gérer. Serait-il possible qu’il soit guéri un jour ? Qu’il puisse enfin revoler, ressentir le vent dans ses ailes pendant une balade aérienne ? Cette sensation qu’il avait cru oublier. Il se rendit compte qu’il désespérait de la ressentir à nouveau un jour. Peut être pouvait-il contourner Demona et son savant fou. Peut être y avait-il d’autres scientifiques autant capables que ce … Sevarius.

Mais au moins, avec toute cette mésaventure de quelques nuits, il avait trouvé un but. Contrecarrer les plans absurdes et dangereux de cette gargouille folle, et retrouver un moyen de recouvrer ses ailes.

Et c’était une toute nouvelle excitation qui naissait dans la poitrine de Grimm.



- FIN -

FIC - Nanowrimo - Le Cabinet de Curiosités

 Je me suis rendu compte que je n'avais jamais posté cette fic-ci :/ Mea culpa !

La voici !

1974 - BANDE SON : 


Lynyrd Skynyrd - Sweet Home Alabama

ABBA - Waterloo

Alice Cooper - School’s Out

Bob Marley - No woman no cry

Carl Douglas - KungFu fighting

Eric Clapton- I shot the sherif

George McCrae - Rock you baby

LaBelle - Lady Marmelade

Bad Company - Can’t get enough 

David Bowie - Rebel rebel

Ohio Players

Eart wind and fire

Shame shame shame

Barry White

Gloria Gaynor - Never gonna say goodbye


Mots obligatoires : Balançoire - ruisselant(e) - sorcière



- Le Cabinet des Curiosités -


Août 1974


C’est par une nuit chaude à Vincennes que commence ce récit. Le mois d’août avait eu quelques semaines particulièrement caniculaires. Jusque tard le soir l’atmosphère restait moite et il n’était pas rare de voir les fenêtres ouvertes partout dans la ville pour laisser entrer l’air frais. Ceci eut pour conséquence que les rues résonnaient de musique endiablée parfois tard dans la nuit. On pouvait entendre ça et là la bande son de l’été 1974. De Waterloo d’Abba au Téléphone de Claude François, en passant par le Kungfu Fighting de Carl Douglas, cette nuit reflétait la bonne humeur et l’insouciance propres aux nuits d’été et à ces mois post-élections présidentielles.


Au Manoir des Muscari se préparait un événement que ses habitants allaient conserver comme un souvenir précieux. Delacroix était extatique. la jeune gargoyle faisait les cent pas sous la lampe du petit salon, attendant avec impatience l’arrivée d’Isidore Montigny. Des mois qu’ils attendaient cette nuit qu’il leur avait promis ! 

Car cette nuit, c’était la toute première fois que les trois gargouilles protégées de Montigny allaient sortir du manoir qui avait été l’alpha et l’oméga de toute leur existence, jusqu’à maintenant (hormis Mélusine qui avait vécu au XIVe siècle et quelques mois dans un monastère de Gascogne mais là nous sommes hors de propos.)


Même si quelques mois avant l’arrivée de Mélusine en 1964, Delacroix et Absinthe étaient déjà sortis en douce la nuit dans les rues de Vincennes et les villes attenantes afin de goûter aux charmes des pavés vincennois, ils n’avaient jamais été plus loin que ce petit square à quelques centaines de mètres du manoir, peuplé de jeux inusités pendant la nuit, de balançoires vides et de tourniquets désoeuvrés. Heureusement ils n’avaient croisé que quelques chats. Les deux gargouilles s’étaient fait attraper par Henri qui avait tôt fait de les rapatrier à l’intérieur de la propriété qui était bien assez grande pour assouvir leur curiosité, mais surtout là où ils étaient encore en sécurité. Malgré les nombreuses années d’existence, ils n’étaient que des enfants. 

Les trois gargouilles avaient atteint l’âge de douze ans (soit le double en années de vies humaines) et avaient donc déjà traversé deux décennies. Les années soixante dix se remarquaient surtout à leur allure vestimentaire, pantalon patte d’eph’ pour Delacroix, bandeau dans les cheveux pour Absinthe et fleurs de patchouli sur le jean pour Mélusine. Malgré leur vie recluse, ils étaient tout à fait en concordance avec leur temps.

 

Donc ce soir, cela allait être la première fois que Père allait les emmener à Paris. Cet Eldorado dont ils avaient tant vu les photos sur les livres et les magazines, admiré les images à la télévision également.

Absinthe avait mis sa plus jolie robe à l’occasion de cet événement et Delacroix avait promis de bien se tenir. 


Isidore Montigny se décida enfin à entrer dans le salon, toujours vêtu de son veston bleu marine et de sa montre à gousset. Il avait toujours eu cet air classe des hommes d’avant guerre, toujours coiffé d’un chapeau et habillé d’un costume bien taillé. Il était suivi de Mélusine qui semblait bouder, son sempiternel livre de sorts entre les mains. 


“Non Mélusine. Cette fois-ci il va falloir que tu laisses ton grimoire à la maison.” expliqua calmement le professeur Montigny.


“Mais Père !” protesta-t-elle.


“Nous n’en aurons pas besoin là où nous allons.” poursuivit-il.


“Et où allez-vous nous emmener Père ?” demanda Delacroix avec excitation.


“Ah ça ? C’est une surprise, mon petit.” Montigny savait qu’il fallait garder un peu de mystère pour intriguer Delacroix assez profondément pour qu’il se tienne à carreaux.

Il rassembla les trois enfants autour de lui et leur confia :


“Ce soir, il y a de fortes chances que vous rencontriez un autre humain. Alors je veux que vous vous comportiez correctement.”


“Oui Père !” répondirent-ils presque en coeur. Non seulement allaient-ils ENFIN se rendre à l’extérieur mais également rencontrer un nouvel humain ! Quelle excitation !


“Allons, venez. Nous allons prendre la voiture et Henri nous conduira à notre destination.”


Le professeur les emmena jusqu’au garage de la propriété où trônaient trois belles cylindrées. Une Chevrolet Corvette et une petite Mustang se reposaient sous une grande bâche crème. Isidore Montigny avait toujours été fan des voitures américaines.  Henri et sa moustache les attendaientt près de la Mercedes 450 dont les vitres avaient été teintées pour garantir la sécurité de ses passagers. 


Il installa les enfants à l’arrière dans le véhicule et Montigny à ses côtés sur le siège passager. Le fidèle employé de Montigny s’était habitué à la présence de ces drôles de créatures. C’était l’un des rares hommes à être dans la confidence et il était fier que le professeur ait assez confiance en lui pour partager avec lui cet énorme secret.


Delacroix, excité comme à son habitude avait du mal à tenir en place.


“On va où ? On va où ?” 


“On n’ira nulle part si tu continues à gigoter comme ça !” soupira Absinthe à ses côtés, tentant de garder un tant soit peu de dignité sur le siège de la voiture. Ils avaient tous replié leurs ailes afin qu’elles prennent moins de place dans l’habitacle mais avec Delacroix à sa gauche, c’était plus que compliqué.


“Absinthe a raison, Delacroix.” confirma Isidore Montigny. “Mais je suis persuadé que la surprise vaudra bien l’attente. Je vous ai bien promis quelque chose d’exceptionnel pour votre première sortie à Paris, non ? ” 


Contre toute attente, cela suffit à calmer la tornade bleue qui resta sage comme une image tout au long du trajet. 


La voiture s’engouffra dans les rues de Vincennes, encore éclairées par les lampadaires, au son de Gloria Gaynor qui ne voulait jamais dire au revoir. Les gargouilles étaient collées aux vitres, heureusement invisibles de l’extérieur, les yeux écarquillés, absorbant tout ce qu’il pouvait voir à l’extérieur. Les ponts, les passants, les devantures de magasin. Les autres voitures ! Tout était sujet à émerveillement et découvertes.

Après quelques minutes, la Mercedes traversa l’espace du périphérique et pénétra dans Paris par la porte de Bercy pour longer les quais de seine vers le Nord.


“Regarde ! c’est la Seine !” s’émerveilla Absinthe. L’ombre énorme de la gare d’Austerlitz se dessinait à l’est, de l’autre côté du long serpentin sombre aux reflets dorés.


“Tu crois qu’il y a des poissons là dedans ?” s’interrogea Delacroix.


“Sans doute, mais je ne sais pas si on peut les manger…” lui répondit Mélusine.


“Et tu crois qu’il y a des crocodiles comme à New York ?” continua-t-il.


“C’est dans les égouts qu’il y a des crocodiles, à New York. Et encore c’est ce qu’on m’a raconté.” répondit Montigny qui entra dans le jeu.


“Vous en avez vu à New York, Père ?” s’enquit la petite gargoyle bleue.


“Non, je n’ai jamais eu l’occasion d’en croiser un. Tu en verras peut être un jour si tu y vas.”


La voiture tourna sur le pont d’Austerlitz, traversa la Seine et s’engouffra dans une rue Buffon déserte. A quoi s’attendre d’autre à une heure du matin ? La voiture s’arrêta et éteignit ses phares. Montigny se retourna.


“Voilà nous sommes arrivés. Henri et moi, nous allons devoir nous garer dans l’enceinte du musée mais il ne faut pas que les gardes vous voient. Vous allez donc descendre ici et grimper sur ce bâtiment que vous voyez ici à votre droite.” dit-il en désignant le mur rouge aux grandes fenêtres qui se dessinait derrière les hautes grilles. “Allez sur le toit. Vous y trouverez une porte qui donne sur l’intérieur du bâtiment. J’ai demandé à Sigrid de la laisser ouverte. Attendez-moi là bas, je vous rejoindrai d’ici vingt minutes.”


Les trois enfants hochèrent de la tête. Cette soirée était diablement excitante. Ils se demandaient toujours ce que le professeur leur avait préparé. Des trois, Absinthe était la seule à avoir reconnu les édifices du Museum d’Histoire Naturelle qu’elle n’avait vu que dans les livres. 


Henri sortit du véhicule, fit le tour et vint ouvrir la portière arrière. Delacroix, Absinthe et Mélusine sortirent sur le trottoir. 


“Et évidemment vous connaissez la doctrine : Ne vous faites pas voir ! A tout à l’heure mes petits.” rajouta-t-il avec tendresse. Montigny leur fit un baiser sur le front, comme à son habitude.


Les gargouilles acquiesçèrent une nouvelle fois et d’un pas agile se dirigèrent vers les grilles du musée. Ils les dépassèrent sans aucune difficulté et entreprirent de grimper au mur comme toute bonne gargoyle, à l’aide de leurs griffes.


De leur côté, Henri remonta au volant de la Mercedes, redémarra le véhicule et conduisit la voiture jusqu’au parking du bâtiment.


Absinthe fut la première à atteindre les toits et regarda autour d’elle. Le lieu était somptueux. Elle traversa le toit et alla s’installer de l’autre côté afin d’admirer la vue de l’intérieur de l’enceinte du musée. En bas, s’étendaient allées bordées de peupliers, les jardins botaniques couverts de fleurs, toujours éclairés par la lumière orangée des lampadaires même à cette heure de la nuit. C’était juste une vue somptueuse. De là où ils se trouvaient, ils pouvaient admirer les bâtiments adjacents, dans ce style si caractéristique du XIXe siècle. Imposant, élégant. Tout respirait l’intelligence et la science ici. Une atmosphère qu’appréciait profondément la petite gargoyle aux cheveux verts. 


Mélusine s’approcha et soupira d’aise.


“C’est beau ! Et regarde toutes ces fleurs !”


“Oui c’est magnifique.” approuva Absinthe.


Delacroix les rejoint et apprécia la vue. 


“Tu crois qu’on pourrait planer d’ici ?” demanda-t-il.


“Moui sans doute ! Ça doit être bien agréable ! Mais bon, nous ne devons pas rater Père.” lui répondit-elle.


“Tu sais où l’on est, là ?” continua Delacroix.


Absinthe se retourna et tenta de se repérer par rapport à ce qu’elle connaissait du musée et ce qu’elle voyait.


“Oui nous sommes au muséum d’histoire naturelle, et je pense que nous sommes sur le toit de la galerie de paléontologie.”


“Paléo-quoi ?” s’écria-t-il d’un air interdit.


“Les os de dinosaures.” expliqua Mélusine qui vint en aide à Absinthe.


“Des os de dino ? Ooooooooooh” les yeux de Delacroix s’écarquillèrent.


“Bon très bien allons-y !” ordonna Absinthe. “Tu ne voudrais pas nous mettre en retard Delacroix, non ?” 


Les trois gargouilles se mirent en route pour rejoindre l’autre bout du bâtiment où apparemment se trouvait la porte en question.


“Et au fait, c’est qui cette Sigrid ?”



*** **** ***


Dans le parking du département de paléontologie, une femme d’âge mûr et un homme en costume noir étaient en train de regarder la mercedes 450 se garer. L’homme était clairement de la sécurité. Elle, mince, elle était habillée d’un tailleur gris souris et sa chevelure jadis blonde tirait désormais vers un blanc élégant et était retenue dans un chignon strict dont aucun cheveu ne dépassait. Elle dégageait une assurance et une autorité certaines. Cependant, certains signes trahissaient une impatience dissimulée. Un sourire qu’elle tentait de cacher, un pied qui battait la mesure. Sigrid Beauchamps avait hâte de retrouver son ami d’enfance, Isidore Montigny avec qui elle avait partagé son amour pour la zoologie et sans doute plus. Mais surtout, leur passion commune pour la cryptozoologie, cette discipline si décriée par les scientifiques sérieux et poussiéreux de l’Ecole Française. Elle avait du laisser cette passion de côté pour réussir à gravir les échelons de la Recherche en Zoologie traditionnelle, ce qui l’avait menée jusqu’à la direction du département de Zoologie du Museum d’histoire naturelle dont elle fut la première femme à obtenir le poste. Le milieu scientifique français était encore un monde très masculin et obtus où ces messieurs ne voyaient pas d’un très bon oeil l’arrivée d’une femme à de telles responsabilités. Jean Dorst, le directeur général du musée avait eu un certain cran de nommer Sigrid à ce poste l’année précédente. Et malgré les jalousies, les méchancetés et les démonstrations de mauvaise volonté auxquelles elle avait dû faire face, Sigrid avait su gérer la situation et s’était montrée parfaitement capable.


La Mercedes s’immobilisa et le chauffeur alla ouvrir la porte à Isidore Montigny qui sortit armé d’un immense bouquet de fleurs exquises, parsemées de roses rouges. Un large sourire étira les lèvres de Mlle Beauchamps qui vint accueillir son vieil ami. Plus de vingt ans les séparait de leur dernière rencontre survenue dans de fort douloureuses circonstances. Sigrid n’était alors qu’une simple professeur - chercheuse à l’école doctorale du musée et Isidore avait dû arrêter ses activités scientifiques pour s’occuper de la fondation de son père à plein temps. Sigrid était partie en Amérique du Sud pour continuer ses études sur la préservation du Grand Condor des Andes et n’était revenue que pour endosser ses nouvelles responsabilités au musée. Ils avaient alors repris contact.


Sigrid Beauchamp prit le bouquet qu’Isidore Montigny lui tendit et le huma. De nombreux souvenirs lui revinrent en tête.


“Isidore ! Je suis tellement heureuse de te revoir !” s’écria-t-elle en prenant la main du professeur dans l’une des siennes.


“Regarde-toi ! Tu n’as pas changé, Sigrid ! Toujours aussi somptueuse” Il embrassa tendrement et chaleureusement son amie sur la joue. 


“Je suis si heureux que tu aies accepté cette invitation. J’avais peur que tu sois trop occupée avec tes nouvelles fonctions pour accorder un peu de temps à un vieil ami.”  continua-t-il d’un ton espiègle.


“Ooooh ne dis pas de bêtises, idiot !” répondit-elle en lui tapotant la main. “J’ai toujours du temps pour mon ami Isidore voyons ! Allons-y de ce pas ! Nous avons beaucoup de temps à rattraper”  finit-elle en lui prenant le coude.


“André, vous pouvez nous laisser désormais. Je ne crains rien, comme vous pouvez le constater.” expliqua la conservatrice à l’homme de la sécurité qui regardait d’un air rassuré ce vieil homme avec qui la directrice avait rendez vous à cette heure si cocasse.


“Henri, pouvez-vous m’attendre ici jusqu’à mon retour ?” demanda Isidore.


“Bien monsieur.” Répondit le chauffeur.


Le couple de scientifiques se mit en route et pénétra dans les locaux internes du département de Paléontologie.


“Ah la la ! André ne voulait pas me laisser tranquille !” s’écria la scientifique. “Il fait bien son travail mais qu’est ce qu’il est suspicieux ! En même temps, quelle idée de fixer un rendez-vous à une heure et demi du matin ? Dans la journée ce n’était pas possible ?” 


“Disons que je vis plutôt la nuit désormais.” confia le professeur.


“Tout de même ! Cette histoire de porte sur les toits à laisser ouverte, et puis demander une visite du musée à cette heure-ci, non mais quelle idée ?! Si je ne te connaissais pas, j’aurai pu croire que tu envisageais de cambrioler le musée !” insista-t-elle.


“Pourtant tu aimais me rendre visite à des heures indues à l’époque de la faculté des sciences ! N’aimes-tu plus les surprises et les aventures ? le Musée t’aurait-il rendue trop sérieuse ?”


“Loin de là ! Je suis juste curieuse. D’ailleurs je ne savais pas que tu avais des enfants !” 


“C’est un peu plus compliqué que cela.” dit-il d’un air embarrassé.


Un silence s’installa, tandis que les deux scientifiques grimpaient les escaliers qui menaient au dernier étage. Isidore Montigny ferma les yeux et prit une longue inspiration.  


“Te souviens-tu de cette époque où il a fallu que je laisse mon poste de professeur à la Faculté des Sciences ?”


“Comment pourrais-je ne pas m’en souvenir ? Bien sûr ! Il n’y a pas que ta chaire que tu as laissé tomber.” répondit-elle, ne souriant plus, reprenant un ton sérieux, voire même douloureux. Visiblement cela avait été un moment très difficile pour elle.


“Je sais, Sigrid, et je suis encore désolé de t’avoir fait subir cette épreuve. Cela a été la décision la plus douloureuse et la plus difficile que j’ai jamais eu à prendre. Et je la regrette tous les jours.”


“Nous étions tout de même fiancés !” souffla-t-elle dans un reproche. Elle n’avait toujours pas digéré cet abandon, sans aucune explication. Et même plus de vingt ans après, la blessure avait du mal à cicatriser. La scientifique avait essayé d’oublier, de panser cet affront en partant à l’autre bout du monde et en se consacrant à son travail. Elle avait même cru qu’elle y était parvenue, lorsqu’elle s’était fiancée à Esteban Fuentes, le directeur du musée de paléontologie de Santiago du Chili. Mais quelques jours avant le mariage, réalisant soudain ce qu’elle était en train de faire, elle avait annulé les fiançailles et avait rejoint le Pérou, ruisselante de larmes. 


Des larmes qui commençaient à poindre dans le regard azur de la femme.


“Je suis terriblement désolé, Sigrid. Mais cette nuit, tu vas comprendre.” l’assura-t-il en lui prenant les mains. Il la regarda dans les yeux d’un bleu qu’il n’aurait jamais cru revoir un jour. Son coeur se serra à l’idée de ce que sa vie aurait pu être aux côtés de cette femme qu’il avait toujours regretté d’avoir laissé. 


“Que suis-je sensée comprendre ?” interrogea le vieille femme. 


“Je vais te montrer.” répondit-il. 


Isidore Montigny et Sigrid Beauchamps atteignirent le dernier étage, près de la porte qui donnait sur le toit. Ils s’arrêtèrent et Isidore se plaça entre Mlle Beauchamps et la porte.


“Tu te souviens que j’avais du partir précipitamment pour reprendre les affaires de mon père.” expliqua-t-il.


“Oui, je me souviens bien. Tu n’avais jamais voulu m’en parler plus en détail ni me montrer ce dont il s’agissait.” répondit Sigrid 


“Je ne pouvais pas à l’époque. Te souviens-tu également des recherches que nous avions fait à propos des fragments d’oeufs qui se transformaient en pierre le jour qui avaient été trouvés en Scandinavie ?” continua le professeur Montigny.


“Bien entendu ! Nous n’avions pas réussi à trouver une hypothèse cohérente à l’époque.” répliqua-t-elle mitigée entre un sentiment d’exaspération et de curiosité. “Où veux-tu en venir, bon sang ?!”


“ Et bien j’ai réussi à identifier ce que c’était”


“Quoi ? Tu as trouvé de quoi il s’agissait ?” répondit-elle avec excitation.


“Oui”, acquiesça-t-il de la tête. “Et j’ai même mieux encore.”


“En quoi cela concerne ton père et ce qu’il t’a légué ? Je ne comprends pas.”


Isidore ne répondit pas. 

“Est-ce que c’est ouvert ?”


‘Oui, j’ai fait ce que tu m’as demandé.” répondit-elle, quelque peu agacée


“Bien. Une dernière chose. Promets-moi de ne pas paniquer.”


Sigrid fronça les sourcils.


“C’est toi là qui me fait paniquer. Vas-tu l’ouvrir cette porte ?”


Sur ces mots, le professeur Montigny abaissa la poignée. Il n’y avait pas de retour en arrière possible.


La porte s’ouvrit sur le toit noyé dans l’obscurité mais trois silhouettes se détachaient nettement. Montigny s’écria :


“Venez les enfants, vous pouvez venir.”


La gargouille blanche fut la première à apparaître sous l’éclairage de la pièce. Interdite, Sigrid discerna tout d’abord les pattes aux trois doigts, la forme très particulière des jambes, la peau d'albâtre, les pointes sur les épaules et les phalanges, les mains à quatre doigts, les cheveux d’un vert profond et les ailes. Sans parler de la queue qui se balançait à mesure qu’elle marchait. Puis ce fut le tour la gargouille visiblement mâle d’un bleu électrique, aux piques sur les ailes et les coudes et au museau de dragon. Et enfin une gargouille verte aux boucles d’or entra sous la lumière. Ses pointes sur le nez, ses cornes molles qui reposaient sur ses épaules et sa queue terminée par des peaux qui ressemblaient à des nageoires.


“Jésus Marie Joseph !” les mots sortirent tout seuls de sa bouche tandis qu’elle fit un pas en arrière sous le coup de la surprise.


“Je t’avais dit que je voulais faire visiter le musée à trois enfants… Je te présente Absinthe, Delacroix et Mélusine.” annonça Isidore. “Voilà ce que m’a légué mon père et ce qui a fait que j’ai dû tout quitter.”


Sigrid resta là sans mot dire, les yeux écarquillés, une main sur la poitrine, l’autre laissa tomber le bouquet de roses rouges à terre. 


“Voyons les enfants. Je vous ai appris à être polis !” ajouta le professeur.


Intimidés, les trois gargouilles n’avaient pas osé ouvrir la bouche. Mélusine qui se contractait les mains, fut la première à parler.


“Bonjour Madaaaaame.” Les autres suivirent, gauchement. 


Sigrid se mit doucement à genoux. “Bonjour… Mélusine c’est ça ?”


La petite acquiesça de la tête avec un timide sourire.


Sigrid regarda alors Isidore d’un oeil nouveau. 


“C’est tout à fait incroyable.” souffla-t-elle. “Ce sont…”


“Des gargouilles. Elles se transforment en statues de pierre pendant le jour et redeviennent de chair et de sang la nuit tombée.” répondit le professeur.


“C’est tout bonnement fascinant !” s’exclama la scientifique. “Et ils volent ?”


“Ils planent pour être plus précis. Ils ne peuvent pas voler.” expliqua-t-il.


“Fascinant…”


La scientifique tendit une main hésitante vers l'aile de Mélusine. 


"Puis-je ?"


La gargouille hocha timidement de la tête. 


Sigrid toucha l'appendice dorsal avec une infinie douceur, comme s’il s’agissait de quelque chose de précieux et de fragile. Elle sentit sous les doigts les os et les muscles sous-jacents, la peau chaude, la légère vibration de la membrane des ailes. Elle n’osa toucher les cornes qui lui tombaient sur les épaules.


“C’est… je...je n’ai pas de mots.”


“Étrange ?” suggéra Montigny.


“Inespéré !” répondit-elle les yeux brillants.


“Tu leur avais promis une visite du musée, souviens-toi !” rappela le professeur.


“Oh oui, oh oui, les os de dinosaures !” s’enflamma Delacroix.


“Tu aimes les dinosaures ?” demanda Sigrid à la petite gargouille bleue. La peur du premier contact s’estompait. Elle se rendit vite compte qu’elle n’avait à faire qu’à des enfants. Certes, ailés et dotés de cornes et de queue mais avec des réactions d’enfants.


Delacroix secoua la tête avec enthousiasme


“Et quel est ton dinosaure préféré ?” demanda-t-elle avec amusement.


“Le T-Rex !”


“Ah, le Tyrannosaurus Rex ! Sais-tu que nous avons un crâne de T-Rex ici ? Et un diplodocus aussi !” 


“Whouaaaaaah !” fit-il avec les yeux comme des soucoupes.


“Vous voulez les voir ?”


“Oui oui oui !” s’exclamèrent en même temps les trois intéressés.


“Allons-y alors !” conclut-elle en leur montrant le chemin. “Mais il faudra faire attention aux gardes ! Ils surveillent les allées même la nuit ! Je vais aller m’en occuper !” 


Isidore Montigny et Sigrid Beauchamps échangèrent un regard complice. Elle leur emboîta le pas et tous se dirigèrent vers l’étage dédié au dinosaures.


*** *** ***


La galerie des dinosaures étaient l’une des collections les plus impressionnantes du musée. Les os grisâtres de ces reptiles disparus prenaient une dimension tout à fait différente de nuit, à la lumière des veilleuses. Sigrid s’était absentée quelques instants pour s’assurer que les gardiens de nuit leur ficheraient la paix et était revenue plus sereine et excitée que jamais. Son esprit de scientifique et de cryptozoologiste fonctionnait à plein régime à la vue de ces créatures sorties tout droit des mythes et des légendes. Imaginez-vous ! Des créatures ailées, dotées de la parole et de l’intelligence ! Quel sujet fascinant à étudier ! Sans compter tous les mystères de cette race qu’elle ne connaissait pas. En quoi ces enfants étaient-ils reliés aux fragments d’oeufs qu’elle et Montigny avaient étudiés ? 

Était-ce donc des oeufs de gargouille ? Elle brûlait d’assister à la transformation en pierre. Comment cela s’opérait-il biologiquement ? Par quels procédés ? Et comment volaient-ils ou plutôt planaient-ils ? Quel était leur régime alimentaire pour pallier à une telle dépense d’énergie ?

Montigny et elle allaient avoir bien plus que de vieux souvenirs à se remémorer.


A son retour dans la salle, elle découvrit les gargouilles en pleine admiration devant l’énorme squelette de mammouth qui imposait sa présence silencieuse. Elle ne put s’empêcher de se demander si leur race avait connu les grands reptiles avoisinants. Mais elle avait compris que ce soir, il n’était pas question de les étudier, eux. Pas de questions à leur poser. Pas d’études scientifiques. Elle aurait bien le temps d’éclaircir tous ces points avec Isidore. Tous ces points et d’autres encore, plus personnels.


La pièce était somptueuse pour qui la découvrait pour la première fois. Toute faite de bois en plafond de verre et en balcons de fer forgé, peuplée d'animaux à jamais disparus dont la taille et la prestance suffisaient à remplir l'espace, cette énorme salle était le parangon de ce qu’on pouvait imaginer d’une salle de musée.  

Les gargouilles se frayaient un chemin entre le crâne de tricératops, l’iguanodon, et tous les autres animaux dont ils ne connaissaient pas encore le nom. Curieux et avides de détails, ils bombardèrent de questions la zoologiste qui, malgré le fait que ce ne soit pas son domaine de prédilection, essaya de leur répondre au mieux.


“Est-ce que ça vous dit de voir le squelette d’une baleine bleue ?” demanda-t-elle en mettant ses mains sur ses genoux pour se pencher vers les créatures ailées.


“Vous avez ça ici ?” demanda Absinthe en levant un sourcil sceptique.


Sigrid ne perdit pas le change et répondit le plus désinvolte possible “Bien sûr ! Et puis nous avons un cachalot, un éléphant, une girafe, des gorilles et des chimpanzés, un rhinocéros, un…”


“Oh oui, oh oui, oh oui !!” s’écrièrent Delacroix et Mélusine de concert.


“Alors descendons d’un étage ! Je vais vous montrer ça.” Les gargouilles la suivirent comme des canetons suivent leur mère. Isidore Montigny, en voyant cela se dit qu’il n’avait peut être pas pris la bonne décision vingt cinq ans auparavant quand il avait décidé d’éloigner Sigrid de sa vie pour protéger ses nouveaux “enfants”. Peut être aurait-elle pu être une excellente figure maternelle pour eux. Et il n’aurait pas eu besoin d’abandonner l’amour de sa vie. 


La visite se continua jusqu’à ce que l’aube menace de pointer le bout de son nez. Il allait malheureusement être le moment de partir, à moins que l’on explique aux visiteurs du jour du musée la nouvelle acquisition de statues d’intérieur…


Les enfants dirent au revoir à Sigrid en lui faisant promettre de refaire une nouvelle visite dans les autres départements du musée. Delacroix alla même à lui faire un gros bisou baveux sur la joue, ce qui fit rire la scientifique.


“Oh oui ! Et avec un peu de chance, on pourrait voir cette sorcière qui erre dans les couloirs !” s’exclama Mélusine avec espoir. Absinthe roula les yeux dans ses orbites et rétorqua :


“C’est pas une sorcière, c’est Belphégor ! Et puis c’est pas au Museum d’Histoire Naturelle qu’elle est, c’est au Louvre…. Elle confond tout…”


“Si tu veux aller au Louvre, je connais quelqu’un qui pourrait nous y faire rentrer !” affirma la scientifique.


Isidore rit de bon coeur avant de se retourner vers Sigrid et lui prit les mains dans les siennes.


“Merci pour tout Sigrid. Merci infiniment.”


“Je t’en prie Isidore. Mais nous devons nous revoir ! Nous avons encore beaucoup de choses à nous dire et du temps à rattraper.”


“Avec plaisir ! Je n’y manquerai pas”


Un instant “awkward” se passa tandis que les deux ne savaient pas comment mettre fin poliment à la conversation. Un baiser sur la joue ? Une accolade ? Une poignée de mains ? Ce fut sans doute un peu des trois. 


Sigrid raccompagna l’équipée jusqu’à la voiture, s’assurant toujours que les gardiens de nuit ne leur poserait aucun problème et c’est une heure avant l’aube que la mercedes sortit du musée, reprenant la rue Buffon afin de faire route vers Vincennes. Dehors, les premiers travailleurs commençaient à sortir dans les rues, les boulangers faisaient une pause pour s’en griller une sur le trottoir, les fêtards allaient prendre le premier métro pour une bonne journée de sommeil. La vie reprenait à Paris.


*** *** ***


Une semaine plus tard, Sigrid Beauchamps avait appelé à la résidence des Montigny, demandant à voir Isidore en privé au musée. Isidore avait redouté cet appel, sachant qu’il allait arriver. Elle se s’était pas trop étendu sur le sujet, le professeur savait que Sigrid était plutôt du genre à préférer les conversations de visu plutôt qu’au téléphone.

Elle lui donna rendez-vous le lendemain au musée, une heure après la fermeture des portes.


Isidore s’y rendit avec Henri, comme à son habitude, lui proposant d’aller boire un café dans le bistrot d’à côté.


Montigny se fit escorter jusqu’au bureau de la directrice du département de zoologie et retrouva Sigrid dans un tailleur pourpre qui rehaussait son teint de porcelaine et ses cheveux d’un blond presque blanc. A l’arrivée de son invité, elle se leva et vint serrer dans ses bras son vieil ami qui fut surpris par le geste de la scientifique. 


“Je suis contente de te voir Isidore !” 


“Moi aussi Sigrid.”


“ Je voulais te reparler de… cette nuit de la semaine dernière.”


“Je suis désolée de t’avoir prise au dépourvu. Mais tu comprends que je ne pouvais pas t’expliquer avant de te les présenter. Tu ne m’aurais pas cru.”


“Oui peut-être” concéda-t-elle. “C’est donc ces gargouilles que ton père t’a laissé lorsqu’il s’est volatilisé ?”


“Oui. Mon père m’a légué deux oeufs de gargouilles lorsqu’il a disparu pendant la guerre. Nous ne savions pas ce que c’était, il avait juste laissé des instructions les concernant et il ordonnait juste… d’attendre qu’ils éclosent, dix ans plus tard.


“Dix ans ? la gestation est longue !” s’étonna Sigrid.


“Oui, il semblerait.” répondit Montigny en hochant de la tête.


“Pourtant j’ai vu trois gargouilles, et pas deux !” remarqua-t-elle.


“Oui. Mélusine nous a rejoint plus tard. Son histoire est plus que compliquée et met en doute toutes nos connaissances scientifiques. Je vais t’épargner tout ça.”


“Que d’histoires ! Il s’en est passé en vingt cinq ans !”


“Oui ! Et ce n’est pas peu de le dire !”


Un petit silence s’installa entre les deux. Sigrid se racla la gorge, cherchant visiblement ses mots.


“Il y a quelque chose que je dois te révéler, Isidore. Je ne t’ai pas tout dit, j’en ai peur.”


Le sourire d’Isidore disparut. Lorsqu’il avait prit la décision de présenter les gargouilles à Sigrid, il avait pesé le pour et le contre. Présenter une nouvelle race à un scientifique était un coup de poker. Mais il avait eu confiance en la Sigrid qu’il avait connu et aimé.

Il espérait qu’il avait fait le bon choix car le bien être et la vie-même de ses trois protégés pouvaient être mis en danger par ses agissements.


“J’espère que tu n’as pas l’intention de les enfermer pour les étudier parce qu’il est hors de question que je l’accepte.” s’écria-t-il gravement.


“Non, non Isidore. Loin de moi l’idée de mettre en danger tes enfants. J’ai bien vu l’affection que tu leur portes et l’inverse est vrai aussi. Et je ne veux pas gâcher cela.”, affirma-t-elle. “Toi et moi, nous avons tous deux fait de la cryptozoologie et nous avons toujours eu ces doutes quant à rendre public l’existence de tel ou tel animal, au risque de le mettre en danger. Nous avons tous les deux été contre ces procédés barbares et je n’ai pas changé d’avis. Je te rassure.” 


“Alors qu’essayes-tu de me dire, Sigrid ?”


“J’ai quelque chose à te montrer Isidore. Tout comme toi, tu avais quelque chose à me montrer. Viens avec moi.”


Elle se leva et se dirigea vers la porte de son bureau. Isidore restait assis dans sa chaise, hésitant de la marche à suivre, complètement dérouté.


“Tu me fais confiance, Isidore non ?”


“Bien entendu !”


Intrigué, le professeur se leva et suivit sa collègue. Tous deux se dirigèrent à travers les couloirs, les escaliers vers une sortie qui donnait sur l’extérieur du bâtiment de paléontologie et anatomie comparée. Au bout de l’allée trônait le pavillon principal tout au bout du jardin botanique, en face du pavillon de géologie, là où plus tard sera aménagée la Grande Galerie de l’Evolution.


Ils croisèrent de nombreux passants qui traversaient le jardin pour rejoindre la gare d’Austerlitz, ou bien des étudiants à la faculté des sciences qui saluèrent la conservatrice en hochant la tête ou en levant leur chapeau.


Ils pénétrèrent le bâtiment principal qui accueillait l’exposition temporaire “Le Sahara avant le désert” et se dirigèrent vers les locaux interdits au public. Montigny remarqua la présence de nombreux gardiens mais la présence de Mlle Beauchamps les rassura quant à la présence de son invité. Après tout, ces lieux étaient ceux de tous les scientifiques de Paris voire de France !


Descendant les escaliers pendant un temps qui lui parut interminable, enchaînant couloirs et détours, Isidore Montigny arriva près d’une vieille porte comme il en avait cinq par niveau. 


“Où sommes-nous ?” Osa-t-il demander.


“Dans un endroit qui n’existe pas. C’est tout ce que je peux te dire.”


Le vieil homme fronça les sourcils, se demandant où elle voulait bien en venir.


“Que veux-tu dire ?”


“Cette pièce est ce que l’on appelle ici communément “le Cabinet des Curiosités”. Son existence est tenue secrète du public voire même d’une partie des autorités, et est transmise de directeur du musée à celui qui lui succède. Toi et moi, pendant nos années où nous étudions la cryptozoologie, nous n’avions que des rumeurs sur ce Cabinet. Je peux te dire qu’il est réel.”


“Ah.. CE cabinet-là ? Il existe vraiment ?” chuchota le professeur.


“Oui. Et en temps que directrice du département de Zoologie, j’en ai la clé.”, déclara-t-elle en brandissant un cylindre en métal qui avait l’air d’avoir traversé les siècles.


“Et il y a quelque chose qu’il faut que tu voies.” rajouta-t-elle avant de se tourner vers l’huis qui lui aussi avait l’air d’être plus vieux que le bâtiment lui même.


La serrure émit des sons métalliques et ouvrit de nombreux verrous de l’autre côté de la porte. Le passage s’ouvrit laissant passer une effluve de poussière et de renfermé. Sigrid Beauchamp passa la première et alluma une grosse lampe à pétrole laissée à bon escient à l’entrée. La pièce n’était même pas raccordée à l’électricité du pavillon. La température était basse, fraîche comme il fallait pour la conservation des éléments que Dieu seul sait contenait cette pièce et à en juger par les murs, cette dernière était directement taillée dans la roche. Mlle Beauchamp alluma une seconde lampe à pétrole qu’elle tendit au professeur.


“Viens, suis moi, c’est au fond.” indiqua-t-elle avant de lui emboîter le pas.


Tendant sa lampe devant lui, Montigny remarqua un imbroglio d’objets, d’animaux empaillés, d’os, de squelettes et de morceaux de bois sculptés en tout genre, ce qui lui fit penser que le terme “Cabinet des Curiosités” correspondait parfaitement à cette pièce. Il tiqua devant une silhouette étrange tout à fait invraissemblable : de la taille d’un gros coq, il en avait la tête et le cou, mais son corps se terminait pas une queue de serpent. Un peu plus loin, une autre ombre dont il s’approcha pour découvrir un animal énorme qui rappelait le loup mais qui n’en était pas un, à la gueule puissante, aux yeux malsains, au poil roussâtre et avec une raie noire sur le dos.


“Doux Jésus, est-ce ce que c’est ce que je crois ?” souffla-t-il.


“Oui. Certains prétendent que la dépouille avait été enterrée quelque part dans les jardins du musée mais elle a toujours été là, conservée dans ce Cabinet.” expliqua-t-elle. “Viens c’est un peu plus loin.”


Ils avançèrent encore, apercevant ici une écaille d’une taille anormale, là une corne en spirale nacrée qui rappelait le narval mais d’une taille beaucoup plus petite.


“Voilà c’est ici.” déclara-t-elle.


Montigny s’approcha et découvrit à la lueur des lampes à pétrole un squelette monté et tenu par des tuteurs métalliques. La forme des os du crâne, les protubérances osseuses au niveau de l’arcade sourcilière, la disposition des tibias, fémurs et péronés, cette queue qui allongeait le coccyx et surtout ces ailes qui démarraient dans le dos et qui s’étiraient jusqu’au sol ne laissait aucun doute sur l’espèce à laquelle appartenait ce squelette. La taille était celle d’une gargouille adulte. Derrière elle, un second squelette dont les os laissait à penser qu’il s’agissait d’une femelle. Et à leurs côtés, trois oeufs dont deux encore entiers se dressaient dans une immobilité complète. Les squelettes et les oeufs semblaient avoir été entreposés ici depuis bien longtemps, sans doute des décennies, peut être des siècles. Et les autorités du musée avaient décidé de ne jamais les exposer. Pour quelle raison ? 


Montigny ne sut quoi dire devant toutes ces preuves. Il aperçut un petit écriteau au pied des créatures et put y lire ces mots manuscrits, notés à la plume : “Gargatus Gargolius - Espèce disparue à ce jour - Squelette découvert dans une tourbière d’Auvergne - 1784”


Il se tourna vers Sigrid.


“Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?” dit-il avec un ton de reproche.


“Et pourquoi ne m’as-tu rien dit à propos de tes “enfants” ?”


“Oui, c’est de bonne guerre.” concéda le professeur.


“J’ai découvert ces squelettes lorsque j’ai pris mes fonctions ici et que l’on m’a montré cette pièce secrète. Tu comprends donc mon étonnement d’avoir rencontré des spécimens vivants !”


“Combien savent ?” demanda-t-il.


“De ce que je sais, uniquement le directeur Jean Dorst et moi même, ainsi que les anciens directeurs encore vivants. Tous ont gardé le silence sur cette pièce. Beaucoup s’en contrefichent pour être honnête.”


“Il ne faut pas que cela sorte d’ici. Il ne faut pas que les gens sachent. C’est trop dangereux.” 


“Je suis d’accord.” répondit Sigrid.


“Il y a quelque chose qu’il faut que je te dise.”, poursuivit-elle. “Le directeur a prévu de faire un inventaire de cette pièce pour voir s’il y a des éléments qui seraient susceptibles de rejoindre les collections officielles du musée ou alors de les détruire définitivement afin d’en faire rentrer des nouveaux. J’ai peur qu’il ne décide de faire brûler ces squelettes en pensant qu’il s’agit de canulars comme ceux des hommes poissons ou des Nephilims.”


“Il ne faut pas laisser faire cela.” s’offusqua le professeur. “Penses-tu qu’il serait possible que ma fondation rachète ces squelettes ?”


“Le musée est toujours à la recherche de nouvelles subventions, alors pourquoi pas. Jean Dorst est plutôt ouvert lorsqu’il s’agit de financements privés. Je suis sûr que si tu avances une mallette pleine de billets, il tendra une oreille attentive.” 


Montigny acquiesça. Il allait devoir avoir une conversation avec Jacques Vaudreau, son ami qui s’occupait du côté financier de la fondation. Il ne pouvait se permettre de perdre une trace aussi importante que ces squelettes.


“Allez viens, il nous faut remonter.” s’écria la conservatrice. 

Tous deux se remirent en marche pour sortir de la pièce. Isidore attrapa la main de la scientifique, l’arrêtant dans son élan.


“Merci Sigrid. Merci infiniment.”


“Je t’en prie Isidore. Tu sais que tu peux toujours compter sur moi. Dommage que tu ne t’en sois pas souvenu il y a vingt-cinq ans.”


“Oui je sais. Et je le regrette tous les jours.” soupira-t-il en la regardant dans les yeux. “Il n’est pas trop tard tu sais.”


Sigrid rit amèrement. “Tu le crois vraiment ?” demanda-t-elle.


Isidore sourit en répondant par l’affirmative.



*** *** ***


C’est ainsi que quelques mois plus tard, un camion se présenta aux locaux de la Fondation pour le Savoir Universel avec un précieux chargement. 

Le Museum d’Histoire Naturelle avait reçu les financements d’un mystérieux mécène qui lui avait permis de d’agrandir les grandes serres et d’ouvrir un nouveau pavillon dont le musée manquait cruellement. En échange, le directeur fut bien content de se débarrasser de quelques vieilleries, sans doute des canulars récupérés dans quelque cirque ambulant. Il était persuadé que c’était lui qui avait fait une meilleure affaire que son partenaire.


Autant le laisser croire qu’il avait raison !