Saturday, February 9, 2013

Fic : Défi n°3 : Le Moulin - Louise

3e Fic, texte de Louise

Cette fic est un peu différente des autres car on n'a eu qu'un sujet commun :

Un dimanche peu après l’arrivée de mélusine au manoir. Doit contenir un passage au vieux moulin.

La propriété Montigny contient un vieux moulin au fond du parc, il fallait bien l'utiliser !



Bienvenue Mélusine !


Cela faisait quelque temps que Mélusine était au manoir. Son arrivée avait chamboulé tout le petit monde qui y vivait ; Delacroix voyait en elle un nouveau camarade de jeu, et Absinthe une fille avec qui passer du temps tranquillement sans se faire tirer les couettes. Cependant, elle n’était pas vraiment de cet avis. Passé la surprise des premières rencontres, elle évitait sciemment les deux enfants pour passer tout son temps dans les jambes de Montigny. Elle était trop intimidée par les deux petites brutes.
Il faut dire que le premier jeu auquel elle fut conviée consistait à simuler une autopsie. Delacroix venait de découvrir le fascinant métier de médecin légiste dans un de ses livres d’enquête, et Absinthe était ravie de pouvoir enfin jouer autre chose qu’un cadavre duquel on trifouillait les entrailles. Mélusine avait tenté de refuser poliment, les cheveux dressés sur la tête en voyant la panoplie de couteaux étalés sur une table basse, et la soirée s’était finie en course effrénée pour échapper aux deux petits tortionnaires. Elle n’avait trouvé refuge que dans le bureau du gentil Montigny, qui jouait à présent le rôle non avoué de garde du corps.
Elle jouait silencieusement à la poupée dans son bureau, le suivait à la bibliothèque et ne se séparait de lui que de très rares instants. Elle savait bien que la situation devait être éprouvante pour ce charmant monsieur, mais elle ne pouvait se résoudre à s’éloigner beaucoup de lui lorsqu’elle voyait les deux petits monstres chuchoter à son sujet en la scrutant. Elle sentait leur regard mauvais et cruel se poser sur elle, et des frissons lui glaçaient le dos chaque fois qu’elle entendaient leurs murmures cachottiers. Lorsqu’elle était seule dans les couloirs, les ombres prenaient des formes ailées et elle croyait entendre des rires enfantins et glauques derrière chaque tournant.

Alors elle eu l’impression que le monde s’écroulait sous ses pieds lorsque Montigny lui annonça un soir qu’il avait des affaires à régler à l’extérieur de la propriété, et qu’il ne pourrait pas l’emmener avec elle. Elle pleura, supplia, trépigna mais rien n’y fit. Elle devrait passer la soirée en compagnie de son frère et sa sœur de clan pour plus de sécurité. Ce qu’il aurait vraiment fallu pour sa sécurité pensait elle, c’était d’enfermer les deux enragés dans une tour et d’en oublier la clef.

Ils étaient encore dans le bureau et il allait bientôt partir. Montigny préparait les derniers documents à mettre dans une petite valisette, moucha une dernière fois Mélusine dont les yeux débordaient encore de larmes et la prit par la main. Elle savait où il l’emmenait. Vers son trépas, sa mort, son enfer, sa…
« Allez ne t’en fais pas. Ils ne sont pas méchants, ils ont juste voulu te taquiner la dernière fois. Et s’ils te font du mal, ils auront affaire à moi. »
Il parlait doucement pour la calmer un peu, mais elle avait toujours l’air aussi nerveuse. Il lui sourit, défit sa montre et la lui donna.
« Tu sais lire l’heure ? Bon, regarde, quand la petite aiguille sera là, je serais à la maison, d’accord ? Ça ne fait pas beaucoup de temps, n’est-ce pas ? »

Mélusine regarda la montre et hocha la tête. Elle savait maintenant combien de temps elle devait survivre jusqu’au retour de son sauveur.
Il lui attacha la montre autour de son petit poignet et la conduisit dans le salon.
À peine arrivée à la porte, elle entendit de grands cris. En entrant, elle vit Delacroix et Absinthe qui se chamaillaient dans le fauteuil. Ils avaient tous les deux le visage barbouillé de feutre, et chacun tirait le plus fort possible sur ce qui restait d’un malheureux crayon de couleur.
« RENDS LE MOI ! LÂCHE LE, C’EST LE MIEN ! »
« TU ME PRÊTES JAMAIS RIEN, JE LE VEUX ! »
« TU CASSES TOUJOURS TOUTES MES AFFAIRES ! »
« OH LA MENTEUSE ! »
« CRETIN ! »

La situation avait l’air d’empirer. Absinthe avait réussi à arracher l’objet convoité des mains de son frère, mais l’avait de suite jeté plus loin, pour pouvoir se battre plus facilement. À présent, ils se roulaient tous les deux par terre, l’un tirant les cheveux de l’autre, qui lui mordait le bras. Ils ne s’arrêtèrent pas lorsque leur Père les souleva de terre et sépara les deux parties. Ils tentaient de s’infliger des coups de pieds tout en s’injuriant, lorsqu’ils s’aperçurent enfin de la présence de Mélusine. Celle-ci les regardait, tétanisée, la bouche ouverte en un rictus de frayeurs, les yeux ronds. Ils arrêtèrent enfin de se chipoter, et Montigny les reposa au sol.
« Je dois m’absenter un petit moment hors du manoir. Mélusine va rester avec vous pendant ce temps, donc vous ne la martyrisez pas. À mon retour, je ne veux voir aucune bêtise, c’est compris ? »
Il agitait un doigt menaçant sous leur nez, mais les deux petits monstres avaient déjà conclu une trêve en un regard.
« Oui Papaaaaa… On sera gentil avec elle ! » Répondirent-ils d’une voix angélique tout en regardant la petite nouvelle avec des yeux de prédateurs.

Il installa tous les enfants à la table, ramassa les coloriages qui avaient été éparpillés un peu partout et remit feutres et crayons dans leur pot. Il donna les dernières consignes avant de partir sous le regard suppliant de Mélusine, qui n’avait toujours pas dit un mot.
Dehors, la grande porte se ferma, une voiture démarra et s’éloigna peu à peu du manoir. Mélusine était donc piégée…
Elle déglutit et attrapa un coloriage qui représentait une licorne et des papillons, et se mit à utiliser ses feutres avec force. Elle n’osait pas lever le nez de son dessin, car elle savait que ses deux camarades la regardaient intensément. Elle entendit quelques chuchotis et augmenta sa vitesse de coloriage.
Elle osa enfin aventurer un regard discret au-dessus de sa feuille et fut surprise de voir les deux terreurs dessiner tranquillement sans se battre. Ils discutaient même calmement sans se donner des noms d’oiseaux. Étrange…
« Eh Mélusine, passe-moi le crayon orange. »
Elle se raidit. Delacroix lui avait parlé, et elle n’osait pas bouger.
« Steuplait. » Rajouta la voix.

Un silence pesant flotta dans la pièce. Elle ne bougeait toujours pas, ne parlait pas, et maintenant les deux enfants la fixaient du regard. Finalement, Absinthe soupira, se jeta presque à plat ventre sur la table pour atteindre le crayon qui était posé juste à côté de la main de Mélusine et le ramena à Delacroix sans oublier de la regarder d’un air dédaigneux.

« T’as pas d’langue ? » Lui lança t elle, acide.
Ils attendaient une réaction. Mélusine frissonna et osa un timide petit « Si si… » Avant de regarder sa montre. Non, elle ne venait pas de vivre des heures de calvaires, cela n’avait duré que quelques minutes. Elle sentit une vague de désespoir l’envahir.

« …va pas ? Eho ? Tu m’écoutes ? T’es sourde ? »
Elle fut brutalement sortie de ses pensées par un feutre que lui avait envoyé Delacroix dans la figure. Elle les regarda, les yeux pleins de larmes. Mais pourquoi la harcelaient-ils comme ça ?

« Faut te calmer, on va pas t’manger hein. » Absinthe avait l’air vexée.
Mélusine s’enfermait dans un silence gêné.
« Bon elle répond pas, ça veut dire qu’elle fera jamais partie du… Club. Et ceux qui ne font pas partis du Club, on passe notre temps à les… torturer. » Absinthe lui avait annoncé ça froidement, en la regardant droit dans les yeux. En entendant ça, Delacroix avait tout de suite pris la suite.

« Ouais ! Le jour, on les balance dans les toilettes pour qu’ils se réveillent tout dégoûtant la nuit, et on leur fait manger des ordures et des vers de terre, et on leur met du chewing-gum dans les cheveux, et… »
« Et on leur coupe les ailes et on leur fait manger leur propre nez. » Absinthe avait réussi à faire couiner Mélusine. Celle-ci déglutit et leur répondit d’une voix tremblante.
« Comment on fait pour faire partie du club ? »

Les deux monstres se regardèrent et un grand sourire carnassier apparut sur leur visage.
« Tu veux vraiment être dans notre Club ? Y a des épreuves pour y entrer. C’est très dur. Beaucoup de gens essayent d’y entrer, y en a même qui sont MORTS. »
Elle hocha la tête. Elle voulait être libre de cette tyrannie. Tant pis si elle devait faire partie d’une secte tueuse ou d’un groupe satanique. Au moins ils ne lui couperaient pas les ailes et le nez.
« Comment… comment il s’appelle, votre club ? »

Absinthe inspira pour répondre, mais Delacroix répondit plus rapidement qu’elle.
« Le Club Ultra-Secret des Aventuriers Détectives Super Héros! »
Absinthe jeta un regard furieux à son compère avant d’expliquer :
« Mais on est plus connu sous le nom de la Confrérie Secrète de la Mort Sans Pitié. »
Effectivement, le deuxième nom était plus effrayant. Elle préférait le premier.

« On doit se concerter avant de décider si tu peux passer les épreuves. Reste ici, on va revenir. » Annonça Absinthe.
Elle attrapa le poignet de Delacroix et ils s’enfuirent de la pièce, laissant la pauvre fillette toute seule.

Mélusine attendit un petit moment, regardant sa montre toute les trente seconde. Pourvu qu’elle puisse passer les épreuves et qu’elle réussisse… Pourvu que ça marche…

La porte du salon se rouvrit, et ses deux tortionnaires entrèrent solennellement.
« Tu vas passer la Grrrrrande Eprrrrreuve ! Attends les Examinateurs de la Confrérie dans la cour ! » Delacroix prenait une grande voix mélo-dramatique. 
« On doit rester ici pour ne pas influencer le jugement en ta faveur. » Dit Absinthe en souriant sournoisement.

Ils la poussèrent à l’extérieur du manoir et fermèrent les rideaux et portes de l’intérieur. Elle se retrouvait encore une fois toute seule, attendant dans le jardin en tremblotant.
Soudain deux faisceaux de lumière apparurent de derrière le bâtiment. Des bruits de pas crissaient dans le gravier de l’allée, et deux silhouettes blanches et fantomatiques apparurent.
On aurait pu remarquer qu’elles ressemblaient étrangement à Delacroix et Absinthe sous des draps, mais Mélusine était trop angoissée pour y penser.

La première silhouette qui gigotait beaucoup annonça qu’elle devait les suivre sans faillir. La deuxième, immobile, précisa que l’Epreuve Finale aurait lieu dans la Grande Chapelle de la Confrérie. Elles conduisirent mélusine sans ménagement dans la forêt, jusqu’à une petite clairière où passait un petit ruisseau, et où se trouvait un vieux moulin à eau. La construction semblait très vieille mais pas en ruine ; il manquait des tuiles, pourtant la grande roue semblait pouvoir encore marcher. De mauvaises herbes, du lierre et de la mousse recouvraient presque tous les murs, et des chauves-souris faisaient des aller retours au travers de quelques trous. Des lapins détalèrent en voyant les trois personnes approcher.
Ils s’arrêtèrent et ouvrirent la porte du moulin ; elle s’ouvrit dans un horrible grincement et une odeur de bois pourris.

« Entre… Ton épreuve se déroule à l’intérieur… »
« Que dois-je faire ? »
« Te taire. » Répondit la silhouette tranquille d’une voix cinglante.
« Tu dois rester toute seule dans le noir, et tu dois rien dire. Si tu cries une seule fois, t’es éliminée ! »

Mélusine dégluti et entra à l’intérieur. La porte se referma dans un claquement, et un bruit métallique lui fit comprendre qu’elle était verrouillée.
Elle refoula ses larmes et attendit un petit moment de se faire à l’obscurité.
Ça sentait la moisissure, la poussière, la terre. Les murs étaient froids et humides, et les engrenages du moulin qu’elle commençait à apercevoir dans l’obscurité étaient couverts de vieille farine moisie. Un arbuste avait même commencé à pousser entre les dents d’une grande roue. Une chouette qui n’était pas encore partie chasser hulula et la regarda s’accroupir au milieu de la pièce ; le ciel et les étoiles étaient parfois visibles au travers du toit en dentelle et éclairaient faiblement l’intérieur.
Elle soupira, les bras croisés autour de ses genoux. Combien de temps devrait-elle attendre ici ? C’était peut-être un piège. Peut-être allaient-ils l’abandonner là pour toujours, et la laisser mourir de faim et d’ennuis toute seule. Un frisson de désespoir la submergea.

Soudain, elle entendit un bruit étrange. Une sorte de grattement… et un souffle rauque… et plus loin, un grognement…
Une goutte froide et gluante tomba le long de sa nuque.
Ses cheveux se dressèrent sur sa tête.
Elle toucha doucement ce qui coulait à présent dans son dos et le porta à ses yeux et réprima un cri.
Malgré l’obscurité, elle devinait la couleur du liquide.
C’était rouge.

Elle leva le nez en tremblant, inquiète de découvrir d’où ce sang provenait, mais elle ne vit aucun cadavre suspendu au-dessus de sa tête. Cependant, elle se leva et alla se coller contre le mur le plus proche. Il n’était pas bien solide et plein de trous, les pierres s’effritaient sous ses coudes, mais ça la rassurait de sentir quelque chose de dur dans son dos.
Le moindre craquement prenait une nouvelle dimension. Les ombres s’allongeaient et prenaient des formes grotesques et effrayantes ; les pièces d’engrenages du moulin avaient la forme d’appareils de torture où se cachaient des monstres ; et des yeux la regardaient de partout, ils l’observaient, ils la scrutaient…
Mélusine sentait son cœur s’emballer, elle essayait de se résonner, se dire qu’il n’y avait rien et que tout venait de son imagination, mais cela ne faisait que renforcer sa peur.
Toujours plaquée contre le mur, elle haletait en silence, terrorisée à l’idée que les monstres la remarquent.

Soudain deux mains sorties du mur lui attrapèrent les épaules ; elle allait hurler quand un objet froid et visqueux fut projeté sur son visage et retomba sur le sol.
Tétanisée, elle voulu crier mais aucun son ne sortait de sa gorge ; elle ne parvint qu’à gémir maladroitement en voyant un énorme crapaud la dévisager.
Elle essaya de se dégager des mains qui l’enserraient toujours, mais celles-ci ne voulaient pas lâcher prise. Le crapaud coassa avant de s’en aller en sautillant.

Épuisée, à bout de nerf, elle s’arrêta de combattre et voulu s’écrouler. Elle ne pouvait lutter contre ces démons, alors qu’ils la mangent tout de suite et que son calvaire s’arrête enfin…
Tout en sanglotant, elle baissa enfin les yeux sur les mains qui l’enserraient.

Elles étaient bleues électriques.
Un pansement avec des avions ornait même le bout d’un des doigts, et les poignets étaient recouverts de traînées de couleurs différentes.
Elle retint son souffle et tendit l’oreille ; elle entendit un petit rire et des chuchotements qui venaient de l’extérieur…

«… une drôle de tête quand je lui ai envoyé le crapaud... »
«… crie toujours pas. On fait quoi maintenant ? Peut être… »
«… Non c’est trop méchant ça, faut pas abuser sinon… »
«…arrête maintenant ou bien on continue encore un… »
«… crise cardiaque, la pauvre… »

C’était trop fort ! Pendant tout ce temps ils se payaient sa tête ! Comment avait-elle fait pour ne pas deviner ! Comment avait-elle fait pour ne pas reconnaître ces deux abrutis sous leurs draps ?

Ses yeux rougeoyèrent dans le noir et elle s’arracha des mains qui la retenaient.
Furieuse et essoufflée, elle se mit à frapper les murs de ses poings en hurlant toute sa rage contre les deux misérables qui avaient abusé de sa crédulité.

« Vous êtes méchants, cruels et vicieux ! Vous vous êtes bien amusé, j’espère, parce que quand je sortirais de là, je vais vous arracher les ailes et vous les faire manger ! Vous n’êtes que deux abrutis stupides et odieux ! Je vous DETESTE ! »

Elle continuait à tempêter en frappant tout ce qui se trouvait à sa portée, quand le grincement de la porte qui s’ouvrait la rappela à l’ordre. Elle attendit en soufflant que quelqu’un rentre mais elle ne vit aucune silhouette arriver.
Elle s’approcha de la porte et mit un nez dehors. Tout était silencieux. Seul un petit pot de gelée de groseille trônait sur un petit rocher.

Ah ! Les lâches ! Ils s’étaient enfuis ! Les minables ! Ils avaient même dû faire dans leur culotte tellement elle avait crié fort ! Ils ne l’embêteraient plus de sitôt ! Ils ne…

« Aïe ! »

Une pomme de pin rebondit sur sa tête.
Mélusine se retourna juste à temps pour voir deux silhouette s’enfuir en rigolant. Elle partit à leur poursuite en hurlant des insultes ; ils remontaient vers le manoir.
Elle courrait, courrait, à travers les buissons, se prenait des branches dans la figure, se griffait les bras dans les fougères, se prenait les pieds dans des racines. Elle manqua de tomber dans la boue plusieurs fois, mais ne s’arrêta jamais ; elle allait leur faire payer l’enfer qu’elle venait de vivre.
Elle sortit enfin de la forêt et vit les deux petites silhouettes rentrer précipitamment dans le manoir ; elle les coursait toujours. Elle arriva enfin dans les grands escaliers, et remarqua même qu’ils l’avaient attendu tout en haut. Leurs deux visages radieux la contemplaient du haut de l’étage. Delacroix lui jeta une dernière pomme de pin qu’il avait gardée, rigola et ils reprirent tous leur course effrénée.

Elle les vit enfin, assis l’air de rien en train de déguster des cookies dans la cuisine. Ils lui sourirent.
Déchaînée, elle se précipita sur Absinthe, lui asséna un coup de poing vengeur dans la mâchoire et la flanqua par terre pour la secouer de toutes ses forces. Celle-ci lui répondit par des coups de pieds fous et des cris hystériques, et Delacroix se jeta dans la bagarre en tapant à gauche et à droite en s’amusant comme un petit diable.

« Non mais c’est fini, oui ? C’est quoi ces manières ? »

Mélusine se redressa instinctivement en entendant la voix amusée de Montigny. Il était enfin rentré ! Mais elle vivement fut ramenée dans la bagarre par Delacroix qui lui sauta dessus depuis une chaise en annonçant des prises de catch.

« Papa ! Regarde ! Je fais le 619 ! Et la prise du marteau-pilon ! Yahaaaa ! »
« Essaye d’éviter ma prise du crocodile, misérable ! » la défia Absinthe en lui enserrant les jambes de toutes ses forces.

Mélusine, voyant que sa colère ne servait à rien, s’éloigna de la mêlée. Cela n’avait donc mené à rien ?
Elle prit le chocolat chaud que lui tendait Montigny et but quelques gorgées en regardant la fin du combat. Égalité, l’arbitre ayant offert à chacun une part de gâteau. Tout le monde se mit à manger sans bruit.

« Alors, qu’avez-vous fait pendant mon absence ? Pas trop de bêtises, j’espère… » Montigny prenait des nouvelles de ses petits monstres.

« On a joué avec Mélusine » postillonna Absinthe entre deux bouchées.
« Ah ? Vous avez joué en compagnie de Mélusine ou avec Mélusine ? » Il lança un petit regard interrogateur à l’intéressée.
Celle-ci prenait son inspiration pour dire à quel point elle avait été maltraitée, mais Delacroix répondit plus vite qu’elle.

« C’était TROP bien. On a fait un super club d’aventuriers supers héros super secrets de la mort qui tue et on a joué à lui faire peur et maintenant elle fait partie du club mais en fait on avait pas de club c’était juste pour l’embêter mais en fait on s’est bien amusé tous ensemble. »
Delacroix avait débité tout ça la bouche pleine et sans prendre une seule inspiration, les yeux brillants en se rappelant à quel point il venait de vivre un moment extraordinaire. Puis il se remit à engloutir sa part de gâteau en faisant des miettes partout.

« Mais ça m’a l’air très intéressant tout ça ! Il va falloir que vous me racontiez tout en détail ! »
Ils s’installèrent tous dans le salon, sur le canapé ou avachi sur l’épais tapis pour partager leur journée, Delacroix puis Absinthe en premiers.
Mélusine fut très surprise par leur récit ; elle s’attendait à des moqueries, mais à la place les deux zozos ne tarissaient pas d’éloge sur le courage de la petite nouvelle. Elle n’avait pas crié et elle avait même voulu leur mettre une raclée ! Elle les avait poursuivis à travers toute la forêt ! Et elle s’était battue à main nue contre un crapaud géant et cracheur de feu qui l’avait attaqué dans le moulin ! Quelle bravoure !

« Et toi, Mélusine? J’ai l’impression qu’ils se sont bien amusés, mais toi qu’en penses-tu ?  T’es-tu ennuyée? »

Il fallait bien reconnaître qu’elle n’avait pas vu le temps passer. Tout était allé très vite. Et en y repensant, ça faisait une belle aventure ; elle était passée par toutes les émotions possibles en moins d’une soirée, alors qu’elle s’était un peu morfondue toute cette semaine. Et ils n’avaient pas l’air si terribles ; on aurait dit qu’ils avaient manigancé tout ce petit jeu pour la tester, mais pas méchamment…
Elle aquiesca  mais resta silencieuse sur ce qu’elle avait vécu.

Rassuré, Montigny lui sourit et demanda ce qu’ils voulaient tous faire à présent. Les deux voyous se mirent à hurler en même temps, levant les poings et commençant même à se chipoter pour imposer son idée.
« Un film ! On va voir un film ! Celui avec le monstre géant ! »
« Nan une histoire ! Tes films sont trop nuls ! »
« Nan c’est tes histoires qui sont toutes moisies ! »
« Même pas vrai d’abord ! C’est toi le moisi ! »
« Répète c’que t’as dit ! »
« T’es tout moisi et tes films aussi ! »

Montigny les calma et les sépara puis proposa d’écouter ce que Mélusine présentait comme activité. Celle-ci ne pensait à rien, mais un élan d’intrépidité lui fit ouvrir la bouche, comme pour contester le choix des deux autres.
« Et si on jouait à quelque chose ? Un jeu tous ensemble ? »

Montigny approuva tout de suite, suivi des deux enfants. Delacroix sautait partout sur les fauteuils en hurlant de joie, et Absinthe faisait la liste complète des jeux de société qu’ils avaient en réserve, afin d’aider Mélusine à bien choisir.
Après moult discussions, un simple jeu de carte fit l’affaire ; certains jeux étaient encore trop compliqués pour eux, certains finissaient toujours en querelles abominables à propos de tricheries, et d’autres étaient incomplets, les pions manquants se trouvant dans l’estomac de quelqu’un ou disséminé à travers le manoir.

On s’attabla et on sorti un jeu, un peu abîmé par l’usage. Montigny distribua les cartes ; et tout le monde fut bientôt silencieux, observant sans se cacher les autres joueurs. On épiait les moindres gestes, les moindres tics révélateurs, chacun retranché derrière son jeu. Des regards en coin s’échangeaient ; on toussait ou se raclait la gorge pour faire croire à une tactique ; et on abattait les cartes d’un air vainqueur avant de se faire couper le sifflet par un plus fin stratège.
Au début, Mélusine joua en défense, suivant le jeu selon les cartes qu’on lui imposait et elle perdit beaucoup de fois. Cependant, elle n’abandonna pas, et plus la soirée avançait, plus elle parvenait à déchiffrer les tactiques adverses, lui permettant de passer à l’attaque et de changer le cours de la partie, ce qui avait l’air de réjouir tout le monde. Plus la partie défilait, et plus elle se détendait, comprenant les mécanismes de réflexion de ses deux camarades ; Montigny restant un joueur indéchiffrable.

Delacroix essayait des ruses complexes, tellement surréalistes qu’elles ne marchaient pratiquement jamais ; mais cela donnait d’étonnant résultat. Il perdait avec panache, préférant le style que le résultat, se disait Mélusine.
Absinthe était brève mais semblait avoir réfléchi ses gestes bien auparavant. Ses manœuvres étaient simples mais efficaces, loin des méthodes alambiquées de son frère. Elle se fixait un but et faisait tout pour y arriver, quitte à perdre la presque totalité de ses cartes pour parvenir à ses fins ; acharnée, cela lui valu de remporter un bon nombre de manches. Elle ne se vantait pas de ses techniques et restait très réservée sur son jeu, alors que Delacroix ne pouvait s’empêcher de pousser des exclamations à chaque nouvelle carte, mettant en garde les autres contre sa redoutable stratégie qui, cette fois, marcherait à coups sûrs.

La partie dura longtemps, et se termina dans des éclats de rires et des blagues gentilles ; l’atmosphère n’était plus ce qu’elle était en début de soirée, quand Mélusine, encore timide, était arrivée en tremblant. Maintenant elle connaissait les qualités, forces et faiblesses de chacun. On totalisa les scores, et il advint qu’elle remportât la partie haut la main, suivie de Montigny, d’Absinthe et finalement de Delacroix. Beau joueur, il félicita la gagnante et réclama une revanche pour la nuit prochaine, car le jour allait bientôt se lever.

Mélusine sourit et lui affirma en rigolant que quoi qu’il fasse, elle le battrait toujours ; Delacroix en fut ravi et la défia dans un discours grandiose que jamais il n’abandonnerait , et qu’elle aurait gagné le jour où son cadavre reposerait à côté du jeu de carte. Mais l’aurore approchait, on avait plus le temps pour les fanfaronnades, et Montigny les escorta jusque sur le toit, où chacun prit sa pose.
Le soleil apparut enfin et transforma en pierre les trois enfants.

Sur le toit, trois statues se donnaient la main en souriant.

- Louise, 2009

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